Habemus Papam, de Nanni Moretti

 

La grande évasion

Michel Piccoli dans Habemus Papam de Nanni Moretti“Je prie celui qui sera élu de ne pas se dérober à la charge à laquelle il est appelé, par crainte de son poids, mais de se soumettre humblement au dessein de la volonté divine”, dixit la constitution apostolique Universi Dominici Gregis promulguée par Jean-Paul II en 1996. Alors forcément, lorsque le futur ex-cardinal Melville (Michel Piccoli) fraîchement élu chef de l’Eglise catholique romaine, prend la poudre d’escampette pour mieux réfléchir à sa vie, c’est la panique au Vatican.

Il y a cinq ans, Nanni Moretti était venu au Festival de Cannes brocarder Berlusconi avec Le Caïman. De retour cette année avec Habemus Papam, présenté en compétition officielle, on se met à craindre le pire, ou le meilleur, pour le Vatican. Et bah même pas dis donc ! N’en déplaise à une minorité d’énervés qui crient déjà au blasphème, appellent au boycott sans même avoir vu le film ou brandissent toute leur indignation devant ce “film décevant, grotesque et offensif” (dixit les Papaboys, association de jeunes fervents catholiques).

Moretti y dresse le portrait d’un homme en proie au doute devant la lourde tâche qu’on s’apprête à lui confier. Un homme qui décide de filer à l’anglaise pour s’offrir, comme Audrey Hepburn, quelques vacances romaines pour vivre ses questions, s’y confronter et, surtout, retrouver une réalité qu’il avait presque oubliée. Certes, cet homme, c’est le pape. Sa tâche, incarner l’unité de l’Eglise en portant sur ses épaules l’avenir spirituel de millions de catholiques. Pour autant, ce film n’est ni de près ni de loin une charge contre le Vatican.

Le tour de force de Moretti est justement d’avoir su éviter l’écueil de l’attaque frontale. Sans doute certains l’attendaient là mais, pour cela, “il existe des livres, des documentaires, des articles de journaux”, répond le réalisateur. Le propos du cinéaste est ailleurs : raconter son Vatican, son conclave, ses cardinaux. Et dans le Vatican de Moretti, on fait venir un psychanalyste pour guérir un pape de ses égarements de l’âme. C’est l’empirisme scientifique qui vient au secours du Royaume des cieux. Dans le Vatican de Moretti, on joue au volley-ball, on danse, on chante et on a même le droit de refuser de porter la tiare. Benoît XVI lui-même ne confiait-il pas avoir pensé à son élection comme à une guillotine placée au-dessus de sa tête ? Et qu’on se le dise, le doute n’est pas une maladie mais, bien au contraire, la manifestation d’un état de conscience éveillé. “Le courage, c’est de comprendre sa vie, de la préciser, de l’approfondir”, disait Jaurès (1).

Avec Habemus Papam, Nanni Moretti signe un film à l’irrévérence subtile où la foi catholique et la dignité de ses représentants n’y sont jamais diffamées. Le film va d’ailleurs bien au-delà du seul catholicisme, au-delà même de la religion, pour s’intéresser de façon beaucoup plus universelle au rapport de chacun à ses croyances, ses névroses, ses désirs. Une réflexion sur la pratique du pouvoir, son poids et la solitude qu’il engendre.

(1) Discours à la jeunesse, Jean Jaurès, Albi, 1903.

Habemus Papam de et avec Nanni Moretti, avec aussi Michel Piccoli. Italie, 2011. Sortie le 7 septembre 2011. En compétition au Festival de Cannes 2011.