Chronic, de Michel Franco

 

Chronic, de Michel FrancoChronic est un film froid et âpre. L’un de ceux qu’on ne regarde pas pour aller mieux. Ce qui n’en fait pas un mauvais film – bien au contraire.

Michel Franco, dont c’est le quatrième long-métrage, ne fait jamais des choix faciles. Después de Lucia racontait le deuil d’une collégienne, Daniel & Ana le cauchemar éveillé d’un frère et d’une sœur, et A los ojos l’immobilité du système médical au Mexique. Alors Chronic, l’histoire de David, aide-soignant auprès de personnes lourdement malades, ne constitue pas une surprise dans sa filmographie. Autour de son personnage gravitent une malade du sida, une victime d’AVC restée paralysée, une cancéreuse. Dès les premières images, on sait qu’on va être confronté à la mort, à la douleur, à la question de l’euthanasie, à la façon de surmonter de telles épreuves. David (Tim Roth, pénétré par son rôle) est un aidant exemplaire, méticuleux, doux et dévoué, qui n’hésite pas à renvoyer chez lui l’infirmier qui vient le relever lorsqu’il juge nécessaire de rester auprès de son patient. Mais une fois revenu à la vie civile, il revêt un masque d’impassibilité et se révèle inapte à de « normales » relations sociales, que ce soit avec sa famille, une femme en deuil qui cherche du réconfort, ou un couple de jeunes mariés qui entament la conversation dans un bar. David est dépressif, trop souvent prostré dans sa voiture. Et c’est pourtant uniquement dans son métier qu’il semble trouver du sens à sa vie.

Le cinéaste mexicain refuse toute esthétisation : pas de musique, un éclairage naturel, des plans larges et désincarnés. Il use néanmoins d’un artifice : celui d’orienter le regard du spectateur dans la mauvaise direction. Ainsi lorsque David suit quelqu’un dans la rue ; lorsqu’il visite une maison ayant été construite jadis par son patient ; lorsqu’il s’invente un lien intime avec une patiente décédée. Autant de fausses pistes qui interrogent, avant toutes les questions de société sur la fin de vie, notre regard sur ces gens qui se consacrent à d’autres. David, d’apparence si gentil, altruiste, cacherait-il un lourd secret ? Pédophilie, perversion sexuelle, sociopathie ? Rien de tout cela, évidemment, mais cette suspicion est révélatrice : dans un monde où l’homme est un loup, toujours prêt à s’enrichir aux dépens des autres, à fermer les yeux lorsque c’est dangereux de les ouvrir, comment accepter qu’un homme soit prêt à tout sacrifier pour d’autres, qu’il connaît à peine ? Au milieu de Chronic, la famille d’un patient, qui préfère rester au rez-de-chaussée à faire la fête plutôt qu’aider le patriarche paralysé dans son lit à l’étage, porte plainte contre l’aide-soignant pour un prétexte fallacieux de harcèlement et de domination exercée. La vérité est bien plus triviale : la jalousie. David partage les derniers moments de la vie de ses patients, qui en sont également les plus humiliants. Naît entre eux un lien qui échappe au langage, de plus en plus indéfectible à mesure que les vivants se rapprochent du monde des morts. Pour les personnes extérieures à cette relation, c’est incompréhensible. David se sacrifie lorsqu’un mourant le lui demande, et accumule au fond de lui une somme infinie de peines et de désespoir, jusqu’au trop-plein, que Michel Franco a le courage d’affronter dans une ultime scène pénible et un brin moralisatrice : faire le bien, ça use.

 
Chronic de Michel Franco, avec Tim Roth, Bitsie Tulloch, Michael Cristofer… Mexique, 2014. Présenté en compétition au 68e Festival de Cannes.