Bone Tomahawk, de S. Craig Zahler

 

Cowboys et équarrisseurs

Bone Tomahawk, de S. Craig ZahlerAprès un Frankenstein inaugural plutôt fastidieux, la compétition du 23e Festival du film fantastique de Gérardmer enchaîne sur Bone Tomahawk, un western horrifique totalement original et assumé. Une excellente surprise que l’on n’a pas forcément vu venir et qui mérite à coup sûr sa part de reconnaissance quand viendra le moment de distribuer les récompenses.

Après avoir profané par accident un étrange cimetière primitif, un malfrat trouve refuge à Bright Hope, une tranquille petite bourgade texane. Agités par leur « faim » de vengeance, les mystérieux Indiens qui sont à ses trousses profitent de l’aubaine de cette descente nocturne en ville pour faire leur marché. Ils emportent des chevaux, non sans avoir au préalable démembré le palefrenier, et kidnappent trois personnes, dont le profanateur. Au petit matin, le shérif local monte une équipe à la hâte pour aller les récupérer. La route sera longue et périlleuse…

Hormis Tarantino et son talent unique pour le cinéma transgenre, ils sont peu nombreux à s’être risqués dans le détournement d’un genre si exigeant et fortement codifié. On se souvient encore d’un Cowboys et envahisseurs de triste mémoire. Mais, pour sa première réalisation, S. Craig Zahler, scénariste entre autres du terrorisant The Incident et anciennement directeur photo, ce qui n’est jamais un mal, accomplit un sacré tour de force en maîtrisant son western de bout en bout tout en lui insufflant quand il le faut la sauvagerie effrayante et dérangeante d’un film gore. Car Bone Tomahawk est un western, un vrai, dont les Indiens sont juste beaucoup plus sauvages et dangereux que d’ordinaire. Construit en trois temps bien distincts, le film est un long et lent chemin vers la mort. Le premier, confiné aux intérieurs, installe chaque personnage dans une mise en scène quasi théâtrale. On sort ensuite au grand air pour un périple à travers les hautes plaines où les séquences, étirées parfois jusqu’au seuil de l’ennui, sont éclairées par le soleil, la lune, le badinage tarantinesque du quatuor de sauveteurs et les éruptions de violence. Enfin, retour en intérieur – dans la tanière de la tribu primitive – pour une acmé horrifique saupoudrée de contrepoints pince-sans-rire. Les idées de mise en scène fourmillent et les cadrages souvent habiles deviennent parfois somptueux, notamment dans la composition de certaines séquences nocturnes. La promesse horrifique du film est également tenue avec brio par la brutalité extrême de certaines scènes, notamment celle d’un équarrissage humain à rendre jaloux Jason un vendredi 13, et par un travail sur le son des fracas organiques particulièrement élaboré. Pour tenir la distance, il fallait que les archétypes du western soient solidement incarnés. C’est le cas grâce à un casting impeccable qui fait fuser les répliques savoureuses quelles que soient les circonstances : Kurt Russell, qui pour l’occasion a gardé ses bacchantes de « salopard », campe un brave shérif volontaire à la gâchette facile, Matthew Fox est parfait en dandy cynique et pontifiant, Patrick Wilson en mari éploré et boiteux a priori maillon faible du groupe, excelle comme toujours dans son rôle d’éternel jeune premier falot, et Richard Jenkins, l’œil torve mais malicieux, s’en donne à cœur joie en vieil adjoint du shérif au corps usé mais à la repartie toujours bien sentie. Entre eux la complicité est totale et jubilatoire, d’autant que S. Craig Zahler parvient à dérouler leur odyssée sanglante avec le flegme et la maîtrise d’un vieux routier du film de cowboys. Au final, Bone Tomahawk est un western qui ne se laisse jamais dévorer par le film gore qu’il est aussi. Juste un pur plaisir de cinéma. Du Tarantino slow-core, en quelque sorte.

 
Bone Tomahawk de S. Craig Zahler, avec Kurt Russell, Patrick Wilson, Matthew Fox, Richard Jenkins… Etats-Unis, 2015. Grand Prix du 23e Festival du film fantastique de Gérardmer. Sortie en mai 2016.