Nuits blanches à Seattle : comédie romantique, mon amour !

 

Nuits blanches à Seattle, de Nora EphronBIM ! Sans prévenir, le syndrome de Garry Marshall vous secoue les membranes. Un générique de début débarque, classieux. La musique ? As Tears Go By. Casablanca. Doux Jésus. Deux acteurs mastodontes (pour l’époque) forment le couple parfait du film… mais ne se rencontreront vraiment que durant les deux dernières minutes ! On déguste, on savoure. Les cookies sont déjà prêts. Un verre de lait bien frais pas loin. Un feu de cheminée pour réchauffer les cœurs. La mauvaise foi est à sa place : dans le frigo ! C’est parti pour Seattle…

A l’époque, une femme élégante nommée Nora Ephron ne transformait pas encore Travolta en ange (Michael). Ne remakait pas Le Père Noël est une ordure (Mixed Nuts) en se disant que l’apparition divine d’Adam Sandler allait réévaluer la chose (malheureusement, cela n’a pas suffi). Ne filait pas un bol de soupe à Meryl Streep (Julie and Julia). Non, Nora, cette femme exquise, journaliste, du genre à acheter quinze mags féminins tout en trippant sur le regard d’Ingrid Bergman, se contentait d’explorer en belle chipie les mœurs de ses concitoyens, à travers le scénario de Quand Harry rencontre Sally.

Rob Reiner, grande période. L’amour est trituré à chaque réplique, la logique du couple est questionnée, ainsi que la psychologie féminine, et surtout, à travers les joutes verbales irrésistibles d’un Billy Cristal et les moues de Meg Ryan, c’est une idée qui est exploitée, une idée méta, somme, charnière, obsessionnelle : questionner à l’intérieur d’une comédie romantique le romantisme des temps nouveaux. Un concept qui a tellement échaudé Ephron qu’elle a tout casé dans son premier film en tant que réalisatrice : le fameux Nuits blanches à Seattle. Une virée de l’autre côté de l’Amérique, où un gamin parlant fesses va faire triompher l’amour. Ce que Love Actually – le Cloud Atlas de la rom-com [romantic comedy, ndlr] – va cristalliser en un maelström de séquences iconiques, ce petit film au gros succès, typique de la décennie 90, le chuchotait.

Meg Ryan dans Quand Harry rencontre SallyPlutôt que de prendre le virage du caustique anglais, ce témoignage d’une midinette en puissance fonce à toute blinde sur la route de la nostalgie, la bonne grosse mélancolie fanatique post-Leo McCarey, Howard Hawks et George Cukor, toutes ces figures fantasmagoriques du genre qui font fondre les célibataires en quête d’idéal et autres cinéphiles, les larmes aux yeux.

Chez la Nora, Elle et lui devient un leitmotiv, un modèle qu’on se file de génération en génération. De l’ado à la trentenaire. Les dialogues des meilleures romances des années 1950 deviennent utopiques, perçus sur un plan presque régressif. L’énorme madeleine de Proust. Si Nuits blanches à Seattle ose la citation et donc la notion d’héritage, c’est pour mieux s’affirmer et s’assumer comme de la romance par excellence, à coups de tubes musicaux à la Tammy Wynette, de slogans nous vendant le véritable amour style conte de fées, de Grosse Pomme filmée façon coucher de soleil. On n’est pas loin du Merveilleux.

Cette sentimentalité prégnante, on la chope comme un plaisir même pas honteux (au fond), on savoure l’univers de la love story aux nuits étoilées, aux airs jazzy, aux notes de piano capables de transformer un fan hardcore des poèmes de Jörg Buttgereit en nounours sorti d’un Tim Allen. On se remémore la morale de Pretty Woman. Ce film, intéressant historiquement, car sorti pile poil en 1990, alors qu’il compile tous les motifs de la décennie précédente, par son esthétique qui pète (à l’époque, on portait des vêtements fluo pas seulement pour faire du vélo la nuit), le traitement candide de l’histoire (anti-Ferrara, disons), sa musique (qu’on croirait sortie de GTA Vice City). Cette morale donc, que l’on pourrait écrire en majuscules… retenez votre souffle :

TOUT EST POSSIBLE, C’EST HOLLYWOOD !

Oui, tout est possible ! C’est le hasard qui sauve la mise à chaque fois. En un regard, tout est source de fantasmes, tout devient ultime, la perfection même, et voilà que l’idylle se conclut au sommet de l’Empire State Building. Face à cette imagerie de rêve (et d’usine à rêves), le spectateur est condamné à sombrer dans un état de naïveté extrême, chantant All By Myself comme la première Bridget Jones venue. Hollywood. La magie d’Hollywood. Dans ce microcosme, on revisite ses classiques, comme Tom dans le merveilleux et réflexif 500 jours ensemble. On se prend pour Bogart. On trippe sur les délires musicaux de ce génie de PJ Hogan (Le Mariage de mon meilleur ami). On dévore ces friandises à pleines poignées. Le bonheur.

Tom Hanks et Meg Ryan dans Nuits blanches à SeattleLa donzelle ne se remettra jamais vraiment de ce film qui sut parler à l’inconscient collectif, par sa tranquillité, son impact référentiel, son timing comique, ses personnages de paumés dépeints, ses figures féminines aux espoirs plus que jamais fondés dans le mythe du prince charmant. La preuve de cette paralysie artistique débarque six ans plus tard : Vous avez un message, timide tentative de renouer avec le succès, à la structure classique. Alors que dans Nuits blanches à Seattle, la rencontre finale, soit le petit désir illustré d’une groupie de Cary Grant, marche à fond, pour la bonne raison qu’en fin de compte, la romance n’a besoin que d’un jeu de regards pour se concrétiser, comme au bon vieux temps.

C’était écrit. Coup du destin, pas seulement : c’était écrit à Hollywood ! Tout peut se réaliser là-bas. Ce sont là les versions modernes des fictions à base de princesses et de « ils vécurent heureux, jusqu’à la fin de leurs jours ». « I thought love was only true in fairy tales », chantaient les Monkeys.

Charme, tempo basé sur clins d’œil complices, duo irréprochable d’acteurs, seconds rôles allumés en brochette, naïveté, peut-être, mais naïveté qui prend la forme d’un gros gâteau savoureux. On se loge sous la couette et on profite de l’entertainment. Bam ! Comédie romantique, mon amour.

Entre quelques prods Joel Silver, un cycle Haneke et une tentative d’introduction à l’intérieur de la sphère antonionienne, il n’est jamais trop de voir et de revoir ces Coup de foudre à Notting Hill, Just Married et autre Nuits blanches à Seattle. Ce dernier étant décrit par le personnage stillerien de The Cable Guy (dans le film éponyme, Disjoncté en VF) comme l’attrape-gonzesses supra-intemporel. Une autre bonne raison de tenter la séance.

RIP, Nora Ephron.

 

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