La griffe Sofia Coppola

 

Sofia Blanc de BlancsEt Sofia Coppola de faire un tour, cette année encore, sur la Croisette pour présenter son cinquième long-métrage The Bling Ring, chronique d’un gang de jeunes et riches Californiens qui cambriolèrent il y a quelques années des villas de stars à Los Angeles. Un film présenté en section Un Certain Regard. Une formule qui sied à merveille à son cinéma. Esquisse par touches d’une réalisatrice de talent qui a su, en une décennie, imposer sa griffe.

 
Marc Jacobs en fit une fragrance. Un mélange de gardénia, de poivre et de chèvrefeuille. Son père, Francis Ford Coppola, en fit un vin pétillant complexe sobrement baptisé « Sofia, Blanc de Blancs ». Derrière l’anecdote, le choix des mots pour tenter de cerner la personnalité d’une gamine gâtée devenue cinéaste remarquée puis reconnue. Le vilain petit canard dont on moqua jadis la prestation de comédienne dans Le Parrain III (un Razzie Award à la clé), s’est mué en icône d’un septième art Rock & Mode. Comme le vin et le parfum qu’elle inspira, son cinéma se révèle délicatement relevé, sophistiqué, évanescent, sensuel. Aphrodisiaque.
 

Adolescence et romantisme

D’abord il y a ses personnages. Des êtres en quête d’identité. Des corps et des âmes en transition. Souvent, ils sont adolescents et Sofia Coppola les aime pour leurs silences et leurs failles. Leurs peurs et leurs doutes. Leur candeur aussi. Dans Lick the Star, son premier film, un court-métrage de 14 minutes sorti en 1998, la cinéaste scrutait déjà ce temps de la bascule. Un thème qui s’épanouit dans Virgin Suicides, son premier long, l’histoire seventies des blondes sœurs Lisbon qui mirent fin à leurs jours dans une petite ville du Michigan. Sofia Coppola choisissait de conter le destin tragique de vierges inaccessibles via les voix multiples des voisins témoins du drame. Des garçons tombés sous le charme de beautés mortifères. Un point de vue qui lui permettait de bâtir son film sur de douces rêveries et de vaporeux souvenirs. Ainsi commençait-elle la construction d’une mythologie de l’adolescence. Au détour de plans sophistiqués surgissaient les clichés d’un sentimentalisme naïf bercé par l’idéalisation romanesque de l’être aimé. Puis vint Marie-Antoinette dont les fossettes crispées (Kirsten Dunst n’a que 17 ans) révélaient toute la timidité d’une jeune fille confrontée aux affres du pouvoir. Dans The Bling Ring encore, la réalisatrice explore l’adolescence et ses épreuves. Et quand ses héros sont plus vieux, ce sont des acteurs demeurés grands ados traînant leurs guêtres dans le monde des adultes (Bill Murray dans Lost in Translation, Stephen Dorff dans Somewhere).

Virgin Suicides de Sofia Coppola
 

Rêveries dans cages dorées

Si Sofia Coppola habite Paris et aime flâner du côté de Palais-Royal et du jardin des Tuileries, ses personnages, eux, vivent dans un monde clos propice aux rêves. L’ennui comme source d’inspiration, c’est la chambre-bagne des sœurs Lisbon où les blondes mèches se tortillent au rythme d’un tourne-disque. L’hôtel tokyoïte de la retraite forcée de Charlotte et Bob ou le mythique château Marmont. Autant de lieux habités par l’histoire personnelle de la réalisatrice. Car si Somewhere semble la plus autobiographique de ses œuvres, toutes rappellent sa jeunesse dans un univers d’adultes avec, dit-elle, ce « sentiment d’inadaptation » auquel se mêle « une certaine force de caractère ».
Celle qui grandit sur le plateau d’Apocalypse Now offre à ses personnages des escapades en terres chimériques. Los Angeles sépia, Tokyo fluo, le bucolique Petit Trianon…

Somewhere de Sofia Coppola
 

Photographie, mode, musique et… cinéma

Fascinée depuis son plus jeune âge par les grands créateurs (un stage à 15 ans chez Chanel et de multiples collaborations avec Dior, Vuitton & co), Sofia a aiguisé son goût pour l’élégance et l’importance du détail. A la mode, elle emprunte des jeux de lumière, un sens festif de la mise en scène et une certaine ferveur. Un penchant pour le déguisement, aussi. Perruque rose le temps d’un karaoké impromptu dans Lost in Translation. Penderies de luxe filmées comme des cavernes d’Ali Baba dans The Bling Ring. Poudre, masques et choucroutes gargantuesques pour Marie-Antoinette.
Obsédé par le cadre et la photographie, son cinéma s’impose comme une série d’instantanés marqués par la culture pop, le travail photographique de William Eggleston ou la peinture d’Ed Ruscha. Plus que des récits, ses films sont atmosphères et humeurs. De rencontres impromptues en nostalgies passagères, Coppola croque, saisit, sonde les âmes. Ses cadrages sophistiqués capturent des instants suspendus… Comme ce plan fixe en plongée dans The Bling Ring, où l’on suit, perchés sur une colline, les déambulations de gamins dans la villa qu’ils cambriolent.

Lost in Translation de Sofia Coppola

Le cinéma doit être une griffe. La sienne sera rock’n’roll et mode, donc. Ses références sont photographie, musique et mode plus que classiques du septième art. Et la scénariste, productrice et réalisatrice de réussir, chose rare pour une « fille de », à s’émanciper de l’imposante ombre paternelle en marquant les esprits de glorieux fragments. Une petite culotte. Une Converse. Des macarons. Un Versailles où résonnent des morceaux rock, rap et punk. La pelouse d’un stade au petit matin et le spleen bercé par des mélodies flottantes d’Air ou de Phoenix. En cinq films, Sofia Coppola est devenue le porte-drapeau d’une culture artistique indépendante un brin bobo tout en composant une partition extrêmement personnelle. Le geste artistique est bien plus retenu et discret qu’il n’y paraît. Délicat. Avec sensualité, elle murmure à nos oreilles que les choses les plus belles sont souvent celles qui appartiennent au passé.

« La mode se démode, le style jamais », disait Coco Chanel…