Rencontre avec Hany Abu-Assad

 

Omar, Hany Abu-AssadHany Abu-Assad, le réalisateur du foudroyant Paradise Now (2005) revient en terre palestinienne avec Omar. L’histoire de trois amis d’enfance et d’une jeune femme pris dans les tourments de leur combat pour la liberté. Confiance, manipulation, trahison. Hany Abu-Assad continue dans la veine de ce cinéma à mi-chemin entre action et réflexion. Il entrelace ici thriller politique, histoire d’amour et d’amitié et fait une nouvelle fois la démonstration de son étonnante capacité à exposer la complexité avec légèreté. A soulever de délicates vérités tout en feignant de donner dans le divertissement innocent.

 
Cela faisait sept ans, depuis Paradise Now, que vous n’étiez pas retourné en Palestine. C’était nécessaire pour vous de tourner ce film ?

A vrai dire, je n’ai pas toujours quelque chose à dire à propos de la Palestine. Et pendant toute une période, j’ai ressenti le besoin de recharger mes batteries. De retrouver de l’énergie, des idées. J’ai tenté des choses à Hollywood mais ça n’a pas bien marché. Et aujourd’hui je met en scène cette histoire qui me vient d’un de mes amis. Une “drôle” d’expérience dont il m’avait fait part alors que nous étions en train de prendre un café. Il me racontait comment les services secrets de la police avaient tenté de le manipuler pour utiliser ses secrets afin de le pousser à trahir son entourage, ses amis. J’avais trouvé mon nouveau sujet.

Au-delà du contexte géopolitique de la Palestine, vous semblez, avec Omar, vous être davantage interrogé sur les comportements et les émotions de vos personnages à travers cette histoire d’amitié, doublée d’une histoire d’amour…

Oui. C’est ce qui m’intéresse le plus. Explorer mes personnages. Voir comment ils peuvent me surprendre. Comment ils peuvent parfois prendre de mauvaises décisions, tout en continuant à susciter de l’empathie. On se dit qu’à leur place on aurait sans doute fait la même chose. Je n’encourage pas, je ne condamne pas. Simplement, je m’interroge, je cherche à comprendre comment tout cela fonctionne.

Pourrait-on parler d’une approche anthropologique ?

Oui, c’est vrai mais, honnêtement, cela reste de l’ordre de l’inconscient. Je m’intéresse énormément à l’être humain confronté à son environnement. Au fond, nous sommes tous à peu près les mêmes. Partageant les mêmes valeurs, où que nous soyons. Les différences se trouvent dans les détails. Des détails qui se nourrissent de nos environnements respectifs. Qu’il s’agisse de classes sociales, d’héritages culturels ou d’histoire politique. Donc oui, considérer l’être humain comme le produit de son environnement procède d’une considération anthropologique. Mais, encore une fois, tout ceci n’est pas délibéré. Je ne me considère pas comme un cinéaste anthropologue. Je raconte juste des histoires avec une caméra.

Au centre de votre film, il y a notamment cette question de la confiance qui prend sans doute une tout autre ampleur en Cisjordanie…

Omar, Hany Abu-AssadNon, la confiance reste quelque chose d’essentiel, Cisjordanie ou pas. Sans confiance, il n’y a pas d’amitié, pas d’amour. Il n’y a même pas de société. Je pense que malheureusement, on se dirige de plus en plus, notamment en Occident, vers des sociétés au sein desquelles on ne se fait plus confiance. Des sociétés qui cèdent peu à peu à la paranoïa. Qui se rassurent en installant des caméras partout pour savoir qui fait quoi et où. C’est assez terrifiant. Alors après, peut-être qu’effectivement nous avons davantage besoin de cette confiance en Palestine, ne serait-ce que pour préserver l’idée de communauté. Une communauté qui prend soin de ses membres. En Occident, le niveau de vie est tel que vous avez peut-être moins besoin de cette “protection”. Dans les territoires occupés, c’est indispensable.

Peut-on être un combattant de la liberté et tomber amoureux ?

Eh bien c’est exactement en ces termes que l’on pourrait poser la problématique du film. Omar pense que c’est possible, il s’efforce en tout cas de s’en convaincre mais ça ne l’est pas. Il doit faire un choix. S’il ne le fait pas, il détruira de toute façon son histoire d’amour. Tout le récit du film est organisé autour de cette question de choix. Le personnage d’Omar est à la limite, sur le fil. Un peu comme dans les films de Michael Mann. Par exemple dans Heat, De Niro alias Neil McCauley est un homme ni bon ni mauvais. Mais la vie est toujours là qui le force à choisir. Et quand il choisit, il meurt. Pour Omar, c’est un peu la même chose. Il est un combattant de la liberté et il est amoureux. Il devra faire son choix mais cela voudra dire nier ce qu’il est. Cette idée est le noyau du film mais j’ai voulu la traiter de façon “indirecte” afin de ne pas sombrer dans la banalité.

Il y a ces échanges épistolaires entre les deux amoureux…

Je souhaitais une image qui puisse exprimer le secret. Le spectateur ne connaîtra jamais le contenu de ces lettres. Comme il est dit dans le film par l’un des personnages : “Les secrets sont faits pour restés secrets.”

Le film est ponctué par ailleurs de petites virgules humoristiques. Le plus souvent dans des circonstances particulièrement tendues…

L’humour est essentiel à quiconque veut survivre dans un contexte tel que celui de la Palestine occupée. Sans lui, tu exploses. L’humour rend les choses plus supportables. Vous savez, ma vie n’a pas vraiment été une partie de plaisir. La souffrance y a occupé une grande place. Mais je m’efforce de continuer à rire, à raconter des blagues. C’est indispensable. Cet humour, c’est ma façon d’aborder le tragique.

Et il y a ce Mur de Séparation qu’Omar franchit quotidiennement, sans aucune hésitation. Ce Mur qui sépare et divise la communauté palestinienne paraît comme une représentation de l’indécision qui hante l’esprit d’Omar…

Je suis content que vous l’ayez vu comme cela parce que c’est tout à fait ça. Ce Mur de Séparation n’est absolument pas à considérer comme un élément politique. Il symbolise effectivement Omar et ses doutes. D’ailleurs j’ai tenu à ce que l’on ne puisse pas clairement identifier les deux zones, de part et d’autre du Mur. Un Mur qui a été élevé non pas pour séparer deux Etats mais les Palestiniens entre eux. Aussi Omar se sent-il chez lui des deux côtés. Encore une fois, il ne veut pas avoir à choisir. Et dès lors qu’il y sera contraint, il ne pourra plus y grimper. Ce sera au-dessus de ses forces.

 
Omar de Hany Abu-Assad, avec Essam Abu Aabed, Foad Abed-Eihadi, Adel Abu-Lasheen. Palestine, 2013. Présenté en sélection Un Certain Regard au 66e Festival de Cannes.

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