Le label EROÏN à Cannes

 

Audrey Clinet, présidente du label EROINDepuis 2012, l’association EROÏN accompagne les réalisatrices sur la production, la distribution et la promotion de leurs films. Une démarche salvatrice dans un pays qui compte seulement 22 % de films réalisés par des femmes – contre… 4 % à Hollywood. Rencontre avec Audrey Clinet, porteuse de ce label unique en son genre qui fête ses 5 ans et sa troisième année au Festival de Cannes.

Comment est né le label EROÏN ?

Le label est un projet qui n’a eu de cesse d’évoluer depuis 2012. Au départ c’était seulement une envie personnelle de participer au Jour le Plus Court avec un court-métrage que j’avais écrit : Parallèle. Je me suis rendue à une réunion d’informations à l’initiative de l’association Collectif Prod et l’organisation du Jour le Plus Court, où l’on m’a poussée à organiser ma propre projection de courts-métrages. C’est donc le 21 décembre 2012 qu’a officiellement commencé cette aventure. J’avais envie d’apporter une sélection de films de qualité et différents les uns des autres, en mettant en avant le travail des femmes, sujet qui m’a toujours touché. A l’époque je ne rencontrais que trop peu de réalisatrices en projections ou festivals. Je savais qu’elles existaient mais je ne les voyais pas. Et quand je me suis lancée dans la création d’une programmation de films, j’ai tout de suite eu envie de mettre en avant le travail, l’art, de ces battantes.

Qu’est-ce qui en fait sa particularité ?

Tout ! C’est concrètement un projet ovni, une nature particulière que beaucoup d’institutions m’ont reprochée d’ailleurs. Il m’a fallu le temps de trouver mon identité et de l’assumer. Aujourd’hui c’est un projet que je porte avec fierté car il est unique et « fait maison ». Il y a encore quelques mois une directrice de festival s’est permise de me dire qu’un « label de films » n’existait pas. Et non, pas encore !… puisque c’est un concept que j’ai totalement inventé. Comme un label de musique qui accompagne des talents dans la production, la distribution et la promotion, EROÏN est un label qui joue le rôle de prod, de distrib, d’agent, d’attachée de presse… exclusivement pour les réalisatrices. D’ailleurs c’est la première société audiovisuelle entièrement dédiée aux réalisatrices.

A votre avis, pourquoi y a-t-il moins de réalisatrices que de réalisateurs ?

Bonne question. A mon sens il n’y a pas moins de réalisatrices que de réalisateurs – du moins sur le court-métrage -, mais on en parle moins. Car les écoles l’affirment : c’est 50/50 dans les promos. Donc que se passe-t-il à la sortie ? Comme dans tout métier à responsabilités, est-ce plus compliqué pour une femme d’accéder à ce poste ? Tout ce que je sais, c’est que les réalisatrices de mon label m’expliquent qu’elles ont plus de mal à accéder à des postes de techniciennes : réalisatrices de pub, de clips, en TV… Elles ont l’impression que leurs compétences techniques sont moins prises au sérieux que si c’étaient celles d’un homme. Est-ce pour cela qu’à la longue les femmes abandonnent leur carrière ? En tout cas ce qui est sûr, c’est que sur le marché du long on se retrouve avec un ratio différent de celles des formations : 22 %. Et puis, les budgets de films sont toujours moindres pour une réalisatrice que pour un réalisateur…

Et qu’est-ce qui explique les différences de chiffres entre les pays, notamment le nombre de réalisatrices françaises VS les réalisatrices à Hollywood ?

Sûrement parce que ce n’est pas la même façon de produire, donc ce ne sont pas les mêmes personnes qui produisent… En France, on produit des films avec l’Etat, qui politiquement, ces dernières années, s’est positionné sur le sujet. Aux US on produit avec des fonds privés. Je vous laisse deviner qui signe le chèque…

Il y a aussi moins de techniciennes que de techniciens de cinéma…

Là encore je pense qu’elles ont malheureusement encore plus de mal à se positionner car on part du principe – et à défaut – qu’une femme ne peut pas faire un métier qui semble être « fait pour un homme ». Je me souviens avoir parlé avec un réalisateur qui me disait avoir croisé une femme machino « qui n’avait pas besoin d’hommes pour porter son matos ». Pourquoi en aurait-elle besoin ? Est-ce qu’on demande à un machino de l’aider ? Il y a encore malheureusement dans nos métiers beaucoup de préjugés sexistes.

Dans les films, les femmes sont souvent les faire-valoir d’hommes… Le test de Bechdel notamment le quantifie par l’absurde. Comment ça s’explique ?

Le Label EROIN à CannesSincèrement, je n’ai pas de réponse à cette question. On est tellement conditionné de nos jours, qu’il est vrai que je ne me suis jamais fait cette réflexion en regardant un film. Est-ce qu’un James Bond, un Star Wars ou un Retour vers le futur aurait été moins ou plus impactant si le premier rôle avait été une femme ? Je ne sais pas. Après comment ça s’explique, c’est toujours la même réponse. Ce ne sont pas les femmes qui financent… Nous vivons dans un monde d’hommes et le cinéma reflète notre monde, mais a contrario le cinéma peut aussi influencer ce monde. A nous donc de l’influencer… Une des phrases de mon professeur qui m’avait marquée lors de ma formation au Cours Simon : « Vous entrez dans un monde d’hommes, mesdames, il va falloir savoir jouer de vos atouts. »

Pensez-vous qu’il y ait une « vision » féminine du cinéma ?

Je n’ai pas envie de parler de vision féminine ou masculine. J’ai envie de parler d’êtres qui s’expriment, en fonction de leur expérience, leurs envies, leurs représentations personnelles. Je me souviens avoir écrit un court-métrage et un des mes lecteurs me disait que c’était une vision très machiste de la femme. Venant de moi ça m’a beaucoup fait rire… Je ne veux pas enfermer la réalisatrice dans une « vision » féminine du cinéma. Ce serait une erreur car ça n’arrangerait pas le problème. Les femmes ne sont pas là pour relater uniquement des histoires de femmes. Les hommes savent aussi bien parler des femmes. Et inversement. Après, certains sujets très féminins peuvent être mieux maîtrisés par des femmes, sûrement.

Qu’ont en commun les « héroïnes » du label EROÏN ?

D’être des femmes de talent ! Les héroïnes sont des réalisatrices qui ont en commun le talent, et uniquement ça. Pour le reste, j’aime varier les styles, les univers, les personnalités. Pour moi, comme je le disais précédemment, c’est très important de montrer un cinéma très large. Justement la meilleure façon de défendre les réalisatrices dans le cinéma, c’est de montrer qu’elles réalisent les mêmes films que les hommes ! Bien sûr, dans le lot, il y aura des sujets de femmes. Mais encore une fois, ce n’est pas ce que j’ai envie de défendre.

Que pensez-vous du fait que très peu de femmes réalisatrices se retrouvent en compétition à Cannes ?

Thierry Frémaux l’a annoncé : il y a 12 réalisatrices en Sélection officielle cette année ! J’ai eu l’opportunité d’assister à un panel avec Thierry Frémaux, lors de la 1re année des Women in Motion à Cannes, à l’initiative de Kering, le dernier partenaire en date du Festival de Cannes. Il avait un discours très clair et cohérent : il fait en fonction de ce que le marché lui offre. Effectivement, il ne va pas sélectionner des films de réalisatrices s’il n’y en a pas et encore moins s’ils ne sont pas bons. Ce serait d’ailleurs une catastrophe. Rappelez-vous, 22 % de films de réalisatrices en France, et 4 % à Hollywood. Donc finalement, avec 12 films en sélection sur 45 on arrive à un meilleur quota que le marché : 26,6 %. Mais il y a des festivals qui font beaucoup plus d’efforts, comme Tribeca par exemple, d’où je reviens, où la sélection était quasi à 50/50 et où d’ailleurs ce sont les réalisatrices qui ont été les plus récompensées – prix du Meilleur court étudiant, Meilleur court d’animation, Meilleur film étranger et Meilleur film américain !

Il y a quand même Julia Ducournau qui fait l’affiche de la Semaine de la critique cette année !

Je trouve ça génial ! Je n’ai pas encore pu voir Grave, mais j’ai vu les critiques unanimes pendant des mois, et il a un beau parcours en festivals. Ce qui me plaît chez elle c’est qu’elle a l’air d’avoir apporté un souffle nouveau dans le cinéma de genre en France, ça fait bouger les choses et en plus c’est une femme qui n’a pas peur d’assumer des idées féministes. Ce qui manque aujourd’hui cruellement dans le cinéma français… J’ai beaucoup d’espoir en la nouvelle génération de réalisatrices.

Comment se traduit la présence d’EROÏN à Cannes cette année ?

Pas de rêve pas de baise, de Sabrina AmaraOn voit les choses en grand ! Cette année sera notre 3e édition au Festival de Cannes et les 5 ans du label. Et comme c’est aussi les 70 ans du Festival de Cannes, il fallait bien qu’on tape fort, c’était d’ailleurs ma seule motivation à remettre le couvert à Cannes. Ce dimanche 21 mai, après la conférence de presse dans les jardins de L’A.M.E. et la présentation du projet aux côtés de mes partenaires France 3, FullDawa Films et Next Film Distribution, il y aura une soirée officielle sur le Yacht Technikart, avec projection des films sur le bateau. Et tout ça n’aurait jamais eu lieu sans l’aide précieuse des sociétés Les Post Prodeurs, ZeAgency Carolyne Abla et la Conciergerie FDQ, trois structures qui me suivent dans ce pari fou !

Un mot sur les films de la sélection EROÏN projetés ce soir à Cannes ?

Eh bien, ce sont les films de la 5e édition, sélection présentée au public parisien lors du gala annuel en février dernier. Ce sont 7 films très différents : Pa Fuera de Vica Zagraba filmé en 4/3, Un, deux, trois, de la benjamine de la sélection Lou Cheruy-Zidi, L’Insecte, thriller psychologique d’Elsa Blayau, L’esprit du loup, film historique de Katia Scarton-Kim, Pas de cadeau, un film aux couleurs de la Picardie de Marie Vernalde, le film franco-marocain de Violaine Bellet Hyménée et la comédie pétillante Pas de rêve pas de baise, de Sabrina Amara. Bref, de quoi faire plaisir à tout le monde !

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