Rencontre avec Mouly Surya

 

Nouveau western

Marlina, la tueuse en quatre actesMarlina, la tueuse en quatre actes suit les pas d’une femme sur l’île de Sumba en Indonésie. Un homme frappe à sa porte, s’enquiert de son mari. En son absence (il est mort quelques semaines plus tôt), il revient, accompagné de quelques autres, pour lui dérober son bétail. Mais Marlina ne se laisse pas faire. La tête de son agresseur, qu’elle a tranchée alors qu’il la violait, en guise de trophée, elle entreprend de se rendre en ville, à la police. Sur le chemin, elle rencontre une jeune voisine enceinte, une femme âgée qui se rend à un mariage, une petite fille qui lui rappelle son enfant disparu, le tout en évitant les membres survivants du gang lancés à sa poursuite. Dans des paysages époustouflants, faits de landes et de collines arides avec la mer pour horizon, l’épopée de Marlina s’organise en chapitres, entre vengeance et repentir. Des éléments de western sur un rythme lent et posé, un personnage déterminé et perdu à la fois, une vision résolument féministe. Tels sont les ingrédients du troisième film de Mouly Surya, avec qui l’on découvre le cinéma indonésien.

 
Le plus surprenant dans votre film, ce sont ces paysages quasi désertiques. Est-ce de là que vient l’idée de donner à cette histoire des allures de western ?

L’île de Sumba est en fait à l’origine de l’histoire. C’est le réalisateur Garin Nugroho qui m’a donné l’idée de l’histoire, qui se déroulait là-bas. Je n’y avais jamais été, je m’y suis donc rendue avec mes producteurs et j’ai été épatée. Pour un film tourné en Indonésie, les gens s’attendent sans doute à des paysages verts, des forêts… C’est aussi ce qui fait de Sumba un endroit vraiment spécial, beau et inattendu. C’est une terre très sèche, ce qui est rare en Indonésie. L’histoire aurait pu se dérouler n’importe où, et elle comportait déjà des éléments de western. En tant que réalisatrice, je pouvais l’emmener partout, mais quand j’ai découvert ce paysage proche du Texas, c’est là que je me suis décidée. Je flirtais avec l’idée d’en faire un western. En voyant ces paysages, ça a été une évidence.

C’est une histoire de revanche, comme tout bon western, mais surtout une histoire de légitime défense…

Marlina, la tueuse en quatre actesOui, j’aime les sentiments « entre-deux », dans une zone grise. On est dans la fiction avec l’histoire de Marlina, mais cet entre-deux, c’est la vraie vie. Je ne crois pas que lorsque que quelqu’un accomplisse une vengeance, ce ne soit que de la vengeance. C’est ça et d’autres choses. Par exemple, l’actrice m’a demandé pourquoi elle trimballait la tête partout. Je lui ai dit « tu la portes avec fierté, c’est ton trophée, tu as gagné ». C’est le genre de sentiment que je veux introduire dans le film, subtilement. Car en même temps, Marlina est une prisonnière tant que les autres membres du groupe sont à sa recherche. On se situe entre la revanche et la défense, entre la fierté et la culpabilité, entre le deuil de son mari et la volonté de survivre. C’est un film sur ça, sur ces sentiments entre-deux.

Avec cette histoire de vengeance féminine, organisée en chapitres, on pense d’abord à Kill Bill. Mais les deux films ne sauraient être plus différents. Est-ce une référence que vous aviez en tête, peut-être pour justement vous en éloigner ?

J’ai effectivement essayé de rester loin de Kill Bill autant que possible. C’est sûr que quand on pense western, on pense d’abord Tarantino, surtout avec le sabre qu’utilise Marlina, et ce, même si Tarantino n’est pas le premier à avoir utilisé ces thèmes. Mais j’ai essayé de rester fidèle à l’île de Sumba, à l’accent parlé par les acteurs, par exemple, pour arriver au final à quelque chose qui me ressemble, qui soit authentiquement indonésien. Ca n’aurait eu aucun sens de faire un western à l’occidentale.

Vous amenez votre ton, imposez votre rythme. Et le film est (presque) non-violent…

Les films asiatiques ont cette tendance à être plus subtils, à raconter l’histoire plus lentement, à être plus patients. J’ai beaucoup revu de classiques japonais, comme la série des Zatoïchi. Ces films sans presque aucun mouvement de caméra, avec une approche totalement différente. C’est plus de là que venait mon inspiration. Je n’ai pas montré ces films à mon équipe, mais c’est ce que j’avais à l’esprit.

Comment avez-vous défini ce ton à la fois très lent, très tendu et avec une pointe d’humour ?

Marlina, la tueuse en quatre actesJe travaille avec le même chef opérateur et le même compositeur depuis mon premier film. On est dans une zone de confort. Donc on essaye de se poser des défis. Dans mes autres films aussi, on me parlait de ce ton un peu excentrique, que j’aime bien et me définit bien. Je voulais pour ce film mélanger la beauté, la tension, la peur. Marlina est mystérieuse et assez imprévisible. C’est peut-être de là que vient l’humour.

Vous brossez le portrait de femmes de chaque génération : une enfant, une femme enceinte, Marlina et la femme du bus, plus âgée. Cette palette de représentations était voulue ?

Ce que je voulais explorer le plus, c’était les stéréotypes de genre. Mais cela s’est fait assez naturellement, on n’avait pas projeté d’avoir toutes les générations. La femme du bus, c’est un genre de femmes qu’on trouve dans toutes les cultures : la femme plus âgée, assez bavarde et forte tête. Concernant la petite fille, il s’agissait surtout de montrer une autre facette de Marlina, qui a perdu un enfant et trouve la paix avec cette enfant rencontrée au hasard, du même âge et avec le même prénom que son fils. En revanche, Novi, la femme enceinte, j’y tenais beaucoup. Elle est en contraste avec Marlina. Marlina est en deuil quand Novi porte la vie. Elle représente la femme traditionnelle qui attend son mari.

C’est aussi un moyen de montrer la solidarité entre ces femmes…

Oui, bien sûr, il s’agit toujours d’être ensemble pour les femmes ! C’est comme ça qu’on est les plus fortes ! Novi n’était pas dans l’histoire originale, c’est un personnage que nous avons ajouté. Je voulais montrer en quoi l’action d’une femme a des conséquences sur l’action des autres femmes. On suit nos mères, on suit nos sœurs, on se passe le flambeau…

C’est donc un film au féminisme revendiqué ?

Mouly SuryaC’est surtout un film qui montre l’histoire d’une femme. De là à revendiquer le fait de faire un film féministe, je ne sais pas… Même si je tue des hommes dans le film ! Je voulais montrer la force des femmes que j’ai trouvées à Sumba quand j’y ai fait mes recherches. C’est aussi ce qui m’a motivée. J’ai réalisé les privilèges que nous avons en tant qu’habitantes de grandes villes. Quand je suis allée à Sumba, il y avait les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Dans les villages un peu touristiques que nous avons visités, les femmes restaient en arrière quand les hommes buvaient, riaient et se mettaient en avant. C’est une image que je ne pouvais pas me sortir de la tête, cette séparation entre les hommes et les femmes. C’est assez particulier, très traditionnel, et évidemment sexiste. Mais la plupart de l’Indonésie fonctionne comme ça, même dans les plus grandes villes. Au début du film, Markus arrive et demande où est le mari. C’est toujours ce qui se fait : chercher d’abord l’homme de la maison.

N’avez-vous pas eu peur d’un certain manichéisme : les femmes sont bonnes, les hommes sont mauvais ?

Les hommes de mon film sont principalement des voleurs, c’est pour ça qu’ils sont mauvais ! Mais le plus jeune de la bande est plus sympathique, il a un certain sens de l’amitié qui devient d’ailleurs sa faiblesse au cours du film… Je ne voulais pas justement de ce déséquilibre entre des personnages totalement bons ou totalement mauvais. Et puis ce que l’on voit, c’est que les voleurs qui s’intéressent à votre maison frappent d’abord à la porte pour vous prévenir ! Ce sont des voleurs polis ! On en revient à l’entre-deux.

 
Marlina, la tueuse en quatre actes de Mouly Surya, avec Marsha Timothy, Dea Panendra, Egi Fedly… Indonésie, France, Malaisie, Thaïlande, 2017. Présenté à la 49e Quinzaine des réalisateurs.