Rencontre avec Josh Mond

 

Entre gris clair et gris foncé

James White, de Josh MondJames White (Chris Abbott), 20 ans et quelques, new-yorkais un brin hipster, s’efforce de maintenir la tête au-dessus de l’eau, au cœur d’une Grande Pomme bouillonnante dans laquelle il prend plaisir à croquer sans retenue. Entre joyeuse insouciance et inconscience autodestructrice… Mais il doit bientôt faire face à la mort de son père et la maladie de sa mère (Cynthia Nixon). James n’a alors d’autre choix que de reprendre le contrôle de sa vie, de « grandir » brutalement et de faire face à ses nouvelles responsabilités…

Son James White, Josh Mond, 30 ans et quelques, new-yorkais un brin hipster, était venu le présenter en septembre 2015, dans le cadre de la compétition du Festival du cinéma américain de Deauville. Il en est reparti primé du prix de la Révélation… Révélation ? Pas vraiment, en fait, tant Josh Mond compte parmi les figures montantes de ce jeune cinéma américain truffé d’idées et de talents. Cinéaste, il est aussi – et surtout – connu pour son travail de producteur chez Borderline Films, qu’il fonde en 2003 avec ses associés et amis, Antonio Campos et Sean Durkin. Une association fructueuse qui a donné naissance à quelques pépites indies telles que Afterschool, de Campos, son premier film, présenté dans la catégorie Un Certain Regard au Festival de Cannes 2008, ou encore le drame saisissant Martha Marcy May Marlene de Durkin avec la novice mais non moins hypnotique Elizabeth Olsen, également projeté à Cannes en 2011 dans le cadre de la sélection Un Certain Regard. C’était donc au tour de Josh Mond de montrer de quel bois il se chauffe caméra en main. Et force est de reconnaître que ce James White est solide, impétueux et déjà plein d’audace (réalisation en caméra portée… par le chef-opérateur du Fils de Saul de László Nemes, Mátyás Erdély). Un film très personnel, en grande partie autobiographique. De quoi nous donner envie d’aller à la rencontre du bonhomme, histoire d’en savoir un peu plus sur les dessous de cette première réalisation…

Vous signez avec James White votre premier film en tant que réalisateur. Ce n’est pas vraiment un film grand public…

Pourquoi vous dites ça ?

La maladie, la mort… Le sujet est rude !

Je ne sais pas, je ne pense pas qu’il soit plus rude qu’un autre. J’ai choisi de faire ce film parce que son sujet me touchait personnellement. Les premiers films partent souvent de quelque chose de très personnel, d’intime. Et je pensais donc pouvoir en tirer le meilleur.

Mais cela n’a pas été trop difficile de dévoiler ainsi ce passé complexe et douloureux devant le public, ou même devant vos acteurs et votre équipe, au moment du tournage ?

Non, ça n’a pas été facile, bien sûr. Mais il m’était difficile… voire impossible de ne pas aller au bout de ce projet tant il m’obsédait. Ce film s’est imposé à moi. J’avais profondément besoin de le réaliser. Et je connaissais assez bien la plupart des gens de l’équipe, j’avais le soutien de mes associés [ndlr, Antonio Campos et Sean Durkin]… C’était difficile, oui, mais je crois que rien ne vaut la peine d’être fait si ce n’est pas difficile.

Où avez-vous trouvé votre James White, Chris Abbott ?

Je l’avais découvert sur son premier film, Martha Marcy May Marlene, réalisé par mon ami Sean Durkin. Un an auparavant, il avait également passé l’audition pour Two Gates of Sleep d’Alistair Banks Griffin. C’est comme ça qu’on s’est souvenus de lui pour Martha. Sean Durkin l’a engagé et on est très rapidement devenus des amis. On est très proches aujourd’hui. J’ai fait un court-métrage avec lui avant James White. Un genre de préquel…

James White, de Josh MondJames White est un film très intérieur qui nous plonge au cœur des états d’âme de James. Le poids des non-dits y est lourd. Comment avez-vous envisagé l’écriture de votre scénario ?

Au départ, je travaillais sur tout autre chose… qui m’a amené vers quelque chose de plus personnel. Au début, je n’avais aucune distance avec le scénario, passant par tout un tas d’émotions différentes. Mais quand j’ai commencé à travailler avec mon directeur photo [ndlr, Mátyás Erdély], j’ai été obligé de prendre de la distance, de me séparer du scénario et de voir James comme un personnage. C’est ce qui arrive quand on commence à travailler avec d’autres gens. Ils arrivent avec leur propre interprétation, leurs propres références, leurs propres idées. Il s’agit alors de savoir s’effacer un peu pour écouter ce qu’ils ont à dire et prendre ce qu’ils apportent. C’est nécessaire !

James White semble être un personnage tiraillé en permanence, entre grand enfant et jeune adulte. Cela se traduit chez lui par une certaine violence puérile, à la mesure des épreuves qu’il traverse… Nous sommes peu à être capables de faire ce qu’il fait pour sa mère malade.

Quand il s’agit de sa mère, il fait tout ce qui est nécessaire. Mais oui, c’est difficile, c’est pour ça qu’il fuit, qu’il fait la bringue, qu’il se défonce. Bref, qu’il fait l’enfant. Il y a en lui comme des contraires qui s’attirent. Il est à la fois capable de tout pour sa mère comme de se montrer très égoïste et irresponsable. Mais tout ça est très humain. Personne n’est complètement tout l’un ou tout l’autre.

Le personnage du père décédé est comme une ombre. Mais finalement, on n’apprend jamais rien de lui…

Parce qu’il n’est pas important. Il n’est pas là, ne compte pas. Enfin si, il compte quand même un peu puisque, comme vous dites, il est cette ombre qui plane autour de James qui doit, lui, accepter de l’affronter. Qu’il soit mort importe peu. Ce qui importe par contre, c’est qu’il n’est pas là pour l’aider, le guider.

James White, de Josh MondQuand vous écriviez et prépariez James White, il y avait des films auxquels vous pensiez ?

Oui. Ca pourra vous sembler un peu étrange mais j’avais notamment en tête la série Law & Order [ndlr, New York - Police judiciaire en VF]. Je l’ai beaucoup regardée avec ma mère. J’y trouvais un rythme qui m’était très familier. La manière dont ça bouge, dont ça avance, c’est très procédural. Les trois premières saisons, pour moi c’est du Sidney Lumet ! C’est comme le cinéma des années 1970. J’adore également les films de Joachim Trier. Oslo, 31 Août est un chef-d’œuvre. J’ai pensé au Passé d’Asghar Farhadi. Je suis fan de son hyperréalisme. On ne remarque jamais la caméra. Farhadi y filme en toute simplicité – apparente – la famille, les émotions, la bonté et la douleur des gens, à différents âges. Mais je dois dire que mon chef op et moi n’avons finalement pas regardé tant de films que ça. Pour trouver l’inspiration pour James White, on a surtout regardé beaucoup de livres de photos. De Dash Snow à Jillian Edelstein. Du portrait, essentiellement. Des photos, donc, et de la musique aussi. Beaucoup de blues, Sam Cook, ce genre de trucs.

Oui, à propos de musique, on perçoit notamment deux voix récurrentes dans le film, celles de Billie Holiday et de Ray Charles…

Exact. Billie Holiday, c’est la mère. Ray Charles, le père.

La façon dont vous avez filmé New York est parfois presque suffocante, à coup de gros plans sans aucune profondeur de champ… En tant que spectateur, on n’a l’impression de ne pas voir New York…

Et pourtant vous l’avez vue ! Vous l’avez vue parce que vous l’avez vu lui. James White « est » son propre New York. Il est le produit de son environnement. Suffocant, oui, c’est ce que New York peut être pour moi, parfois. Le New York de James White n’arrête pas de bouger. Il n’y a pas de temps pour la réflexion, pas de temps pour s’asseoir. Elle peut être source d’une certaine claustrophobie. C’est en tout cas son expérience, son ressenti. Et c’est pour ça qu’il faut qu’il parte.

Pour le Mexique…

Oui, il pense qu’en partant, il pourra prendre du recul, reprendre son souffle. Il se trompe, bien sûr.

Il y a de l’Amour de Michael Haneke dans votre James White. Vous l’avez vu ?

Je n’ai vu Amour qu’après avoir fait mon film. Je ne voulais pas le voir, pour des raisons évidentes… J’ai adoré.

Votre savez déjà ce que sera votre prochain projet ?

Je lis beaucoup de scénarios, mais il y a quelque chose que j’ai commencé à écrire, je ne sais pas combien de temps ça va me prendre. C’est une histoire de père et de fils. Mais ce ne sera pas aussi cru que James White !

 
James White de Josh Mond, avec Chris Abbott, Cynthia Nixon, Scott Mescudi… Etats-Unis, 2015. Sortie en VOD le 30 août 2016.