Rencontre avec Daniel Raim

 

A Hollywood Love Story

Harold et Lillian MichelsonVous ne connaissez peut-être pas leurs noms, mais vous avez forcément vu leurs travaux. Dans Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock, Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille, ou encore La Mouche de David Cronenberg. Rien que ça, et bien d’autres encore. Harold au storyboarding (1) et sa femme Lillian à la documentation (2) : en soixante ans de carrière, de l’âge d’or des grands studios à l’ère du New Hollywood, ils ont créé certaines des images les plus marquantes de l’histoire du cinéma.

A travers de nombreux témoignages et documents d’archives, le pétillant documentaire du réalisateur américain Daniel Raim offre une vision légère et précise du parcours du couple le plus créatif d’Hollywood. C’est aussi une plongée dans l’univers des techniciens du film, ceux qui font le cinéma avec talent et discrétion, en laissant la gloire à d’autres. Où l’on apprend qu’un simple storyboarder peut être à l’origine de cadrages spectaculaires qui ont fait la célébrité d’un certain Alfred H… C’est enfin l’histoire du coup de tête d’une jeune femme transformé en amour durable doublé d’une collaboration fructueuse.

Rencontre avec le réalisateur Daniel Raim, qui signe ici son troisième documentaire.

Comment avez-vous entendu parler de Lillian et Harold ? Sont-ils très connus aux Etats-Unis ?

Pas du grand public, non… J’ai eu la chance de les rencontrer il y a quelques années, quand je finissais mes études à l’American Film Institute. Je voulais monter un documentaire sur l’œuvre de mon professeur Robert Boyle, qui avait été directeur artistique d’Alfred Hitchcock, donc le patron de Harold sur certains films. Pour tourner une scène de mon projet, nous sommes montés tous les quatre à Bodega Bay, un village de Californie du Nord où ils avaient fait Les Oiseaux trente-sept ans auparavant. C’est comme ça que je suis devenu ami avec Harold et Lillian… Quand j’ai commencé à tourner le documentaire sur leur vie en 2013, six ans après le décès de Harold, je me suis rendu compte qu’il y avait des centaines de gamins comme moi qui les avaient rencontrés et qui avaient l’impression d’être un peu leurs enfants. Ils dégageaient beaucoup de chaleur et de gentillesse, ils ont aidé de nombreux jeunes à lancer leur carrière dans le cinéma.

Tout votre travail porte sur cet âge d’or d’Hollywood…

Oui, Harold and Lillian est le troisième volet d’une trilogie sur ceux qui ont fait le cinéma de cette époque. Le premier documentaire, qui retrace le parcours de Robert Boyle, s’appelle The Man On Lincoln’s Nose, qui était le premier titre de La Mort Aux trousses, et il a été nominé aux Oscars. Après ça, je me suis mis à filmer tous ces admirables vieux excentriques qui ont fait le cinéma hollywoodien, de l’âge d’or au New Hollywood. J’ai voulu les interroger sur leur passion du cinéma, leurs valeurs créatives… Ca a donné le documentaire Something’s Gonna Live. Et maintenant, Harold et Lillian Michelson.

Alors, qu’ont-ils d’exceptionnel ?

Ils étaient extrêmement doués, créatifs et dévoués. Harold avait un talent extraordinaire pour dessiner ses storyboards en montrant exactement ce que la caméra pouvait capturer selon l’objectif employé, le film, la largeur d’angle, le point de vue, etc… Il avait un sens aigu de la perspective. C’est très rare. Ca arrivait que le caméraman tombe sur son travail et veuille savoir qui se mêlait de régler sa caméra pour lui… Au-delà de ça, il pouvait rentrer dans le cerveau du réalisateur et dessiner toute une action, cadre par cadre, sur le papier. On m’a même dit que ses storyboards étaient parfois meilleurs que le film.

Le film laisse entendre qu’il serait l’auteur de certains cadrages célèbres qu’on a attribués aux réalisateurs…

Le Lauréat, storyboardé par Harold MichelsonOui. L’exemple le plus frappant se trouve dans le film Le Lauréat, de Mike Nichols : la scène filmée sous la jambe de Mrs Robinson. C’est certainement l’une des images les plus connues du cinéma hollywoodien. L’idée est d’Harold. Les réalisateurs ne l’aimaient pas toujours, pour cette raison. Sur le tournage de La Mouche, David Cronenberg a fini par demander qui réalisait le film, lui ou Harold, et le producteur a répondu « Ca ne dérangeait pas Hitchcock. » A l’époque, les storyboarders travaillaient dans l’ombre. Ça change un peu aujourd’hui. Apparemment, George Miller a publié certaines planches du nouveau Mad Max pour montrer comment le film a été fait.

Et Lillian ?

Lillian est la dernière grande documentaliste. Plus personne n’a de librairie aussi fournie que la sienne. Tous les grands studios hollywoodiens en avaient une à l’époque. Elles étaient précieuses, parce qu’elles regorgeaient d’images qui permettaient de stimuler l’imagination des réalisateurs et des scénaristes ; c’étaient des zones de rencontres et de création pour tous les gens du studio. Lillian avait un talent incroyable pour collecter et classer ces images par époque, par style, par objet… Elle avait aussi un petit réseau de détectives qui savaient lui trouver l’information qui lui manquait. Ces bibliothèques ont été éliminées au cours des dernières décennies, parce qu’elles ne rapportaient pas d’argent. Aujourd’hui, son métier est fait par des indépendants. Pourtant, il garde une valeur énorme, pour stimuler l’imagination, mais aussi pour trouver des visuels originaux. Si on n’utilise qu’Internet pour trouver à quoi ressemblait une banque du Minnesota en 1929, on tombe toujours sur la même banque, alors que les livres permettent d’en trouver plusieurs et de choisir celle qui convient le mieux au film.

Ce n’est pas un métier très reconnu non plus…

Non. L’année dernière, le film Mr. Turner de Mike Leigh a employé une chercheuse attitrée, une spécialiste du peintre et de l’époque. Elle était tellement importante qu’elle a eu son nom en haut du générique. Mais c’est la seule fois que j’ai vu ça.

Vous avez intégré beaucoup d’images dessinées à votre film pour rappeler le storyboard : qui les a faites ?

Harold and Lillian : a Hollywood Love StoryC’était une idée de Patrick Mate, qui a longtemps travaillé sous les ordres de Harold en tant que chef du développement des personnages chez Dreamworks. Le projet lui a beaucoup plu, parce qu’il y a vu un film sur nous tous, les travailleurs de l’ombre du cinéma, et pas seulement sur Harold et Lillian… Il y a aussi beaucoup de documents d’archives dans le film, notamment sur les débuts de Lillian et Harold, on ne s’attendait pas à en trouver autant. Lillian était ravie, elle voyait ça comme un moyen de montrer leur histoire à leurs petits-enfants…

Votre femme Jennifer Raim est au générique du documentaire… Voulez-vous être les nouveaux « Harold et Lillian » ?

Haha, j’aimerais bien… Nous avons fait le montage ensemble. Par certains aspects, oui, nous avons travaillé comme eux !

 

(1) Storyboard, ou scénarimage : représentation dessinée d’un film avant sa réalisation, permettant de préparer les plans qui constitueront le film.
(2) Documentaliste : personne en charge de mener des recherches sur les aspects visuels de l’époque dans laquelle est située l’action du film, pour le rendre le plus proche possible de la réalité.

 
Harold and Lillian : A Hollywood Love Story de Daniel Raim. Etats-Unis, 2015. Présenté en sélection Cannes Classics au 68e Festival de Cannes.