Rencontre avec Adrien Binh Doan

 

Smell of Us : dans les coulisses du dernier Larry Clark

Adrien Binh DoanOn a tout entendu sur le tournage de The Smell of Us, le dernier long-métrage de Larry Clark, celui qui filme l’adolescence comme personne aux Etats-Unis (Kids, Ken Park…). On a surtout retenu l’ambiance pesante qui vit partir ses protagonistes principaux, protagonistes qui se sont longuement répandus depuis dans les médias sur cette expérience houleuse et douloureuse. Mais s’agit-il de la seule vérité ? Le jeune comédien professionnel (un des seuls sur le plateau) Adrien Binh Doan raconte son expérience à lui, qui est tout autre…

 
Connaissiez-vous le travail de Larry Clark ?

Oui, j’avais notamment vu Ken Park qui m’avait beaucoup marqué et avant le tournage, je me suis replongé dans certains de ses films comme Kids ou Marfa Girl.

Comment êtes-vous arrivé sur The Smell of Us ?

Dans un studio d’acteurs, l’Actors Factory, j’ai rencontré Anaïs Beluze, qui était l’assistante de Fabienne Bichet, la directrice de casting sur ce film. A la base, Larry Clark recherchait quelqu’un pour jouer le rôle d’un étranger, un jeune Roumain de 15 ans. Mais j’ai quand même fait l’audition et ça a bien marché. Comme ce n’était que pour une seule scène au départ, je n’avais pas tellement d’appréhension. C’est après seulement que j’ai appris que mon rôle allait être étoffé. Et finalement, j’ai tourné une semaine.

Comment a eu lieu votre première rencontre avec Larry Clark ?

C’était lors du call-back [la première rencontre entre les acteurs choisis et le cinéaste, ndlr] qui s’est déroulé dans un appartement qu’il louait à Paris. J’ignorais que j’allais jouer ma scène avec lui. Et quand je l’ai terminée, il m’a dit tout simplement « Bienvenue ». Je ne l’ai revu ensuite qu’au moment du tournage. C’était assez drôle. Je me souviens que l’on me demandait quelles étaient mes restrictions pour les scènes de nu hypothétiques et Larry arrive en souriant et me dit, en me montrant une comédienne : « You are going to fuck her. » J’allais donc tourner une scène de sexe simulé qui n’était pas du tout prévue, scène qui a d’ailleurs été coupée au montage. Ce jour-là, j’ai tourné une scène dénudée, celle que l’on voit dans le film, avec la cliente âgée [Niseema Theillaud, mère de l'actrice Marion Cotillard, ndlr], et une scène de sexe avec cette autre comédienne qui était une scène plutôt burlesque, malgré la situation. Ensuite, ils m’ont à nouveau rappelé, la veille pour le lendemain. Larry aime rajouter des scènes au scénario initial, faire évoluer les personnages… C’était un tournage rapide. On commençait parfois certaines scènes en partant du scénario [qui sera bientôt édité dans un livre avec des photos de tournage, ndlr], mais ça arrivait souvent qu’elles se terminent en improvisation.

Plusieurs comédiens ont arrêté le tournage en plein milieu, des techniciens se sont plaints, on dit que Larry Clark n’était pas dans son état normal, qu’il manipulait ses comédiens. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Plutôt bien ! Mais je ne suis arrivé qu’après que les acteurs principaux sont partis. Je n’ai appris que lors de mon premier jour de tournage toutes les tensions qui avaient eu lieu, notamment avec Lucas Ionesco [l’acteur principal qui n’est jamais revenu sur le tournage suite à une scène où il se fait goulûment lécher les pieds par Larry Clark pendant deux heures, ndlr]. J’entendais dire que Larry Clark était un pervers, que le film n’allait pas se terminer. Je me suis alors posé des questions, même si j’étais content de pouvoir tourner avec lui. Pour moi, c’était une opportunité, un véritable cadeau dont je ne pouvais pas ne pas profiter ! Il ne m’a pas semblé avoir affaire à un réalisateur fou, mais à un artiste qui vit son tournage à fond. Il pensait réaliser son meilleur film, il disait être encore en vie pour pouvoir tourner ce film… Il n’a pas été manipulateur avec moi. C’était juste quelqu’un d’imprévisible.

Comment avez-vous abordé les scènes dénudées ?

Sur le moment, on se dit qu’on fait un peu la pute, avec une chaussette sur le sexe. Je ne savais pas du tout comment faire, mais je me suis lancé. Pour ma scène avec Niseema Theillaud, c’est elle qui avait décidé de se mettre nue. C’est une fan de Larry Clark et elle avait une énergie positive sur le plateau. C’est une belle scène au final. Ce qui était angoissant par contre, c’était l’ambiance un peu lourde qui régnait sur le tournage.

A cause des tensions qui avaient eu lieu avant votre arrivée ?

Oui. Une partie de l’équipe technique, qui était proche des comédiens, en voulait à Larry, disait que c’était grave ce qu’il avait fait. Mais ces personnes sont restées professionnelles jusqu’au bout. Tout le monde semblait sous pression. Moi, je me suis fait ma carapace, je ne voulais pas rentrer dans les détails, il me fallait faire confiance à Larry pour que ça puisse fonctionner.

Le film a mis longtemps à sortir…

The Smell of Us, de Larry ClarkOui, le tournage a eu lieu durant l’été 2013. Il y avait beaucoup de rushs et Larry avait fait monter une première version qu’il a entièrement retravaillée ensuite. Et c’était difficile de trouver un distributeur.

Qu’avez-vous pensé en voyant The Smell of Us pour la première fois ?

C’était assez déstabilisant. J’étais gêné. D’un côté, je trouvais qu’il y avait plein de bonnes idées, comme les scènes filmées par ce personnage qui a toujours une caméra à la main comme une arme de défense et qui sert de témoin muet de tout ce qui se passe. Mais de l’autre côté, il y a aussi des scènes assez dégueulasses et trop longues. En le revoyant une seconde fois, j’ai compris où Larry voulait en venir : il avait retranscrit en un seul et même film toutes les manières de décrire un certain type de jeunesse d’aujourd’hui : la sexualité sans intimité, la prostitution, la drogue, l’inceste… Il voulait que ce film aille loin dans la transgression et provoque tout le monde : à la fois les comédiens, les techniciens et les spectateurs. Ce ressenti trouble et gênant est partagé par tous. Au final, c’est une réflexion trash sur une jeunesse désabusée et avec une déviance qui est partout : à tous les âges et tous les milieux sociaux. Ce film était un risque aussi pour Larry Clark en engageant des jeunes acteurs débutants qui étaient sans doute dans une autre attente que lui, dans une ville dont il ne parlait pas la langue. Il voulait que l’on vive nos personnages, qu’on soit dans la vérité. Et tous les comédiens adultes dans le film ont trouvé que c’était une très bonne expérience.

Vous semblez défendre Larry Clark, finalement…

Je trouve qu’on n’a pas assez entendu son point de vue. C’est peut-être son dernier film et il l’a vécu dans ce sens. Dans la version longue, on le voit filmé par les comédiens et il raconte sa vision de la vie. Je crois que c’est son film le plus personnel, dans lequel il a insufflé de la poésie dans le glauque.

Professionnellement, que vous a apporté ce film ?

De l’expérience pour un autre tournage d’un long qui va sortir cette année, 419 d’Eric Bartonio, des contacts pour des projets photographiques… Je suis dans une création théâtrale pour le printemps, Les Cynophiles. Je sens que 2015 va être une excellente année.

 
Adrien Binh Doan donne également des conseils pour les jeunes comédiens et relate ses expériences sur son blog : www.etreacteur.fr
The Smell of Us de et avec Larry Clark, avec aussi Lucas Ionesco, Diane Rouxel, Théo Cholbi, Adrien Binh Doan, Niseema Theillaud… France, 2013. Sortie le 14 janvier 2015.