Miscellanée #1 : Domitor

 

Domitor… Mais qu’est-ce que c’est ?

La caméra des frères Lumière Domitor, c’est ce qu’aurait pu être le cinéma. Si Louis Lumière n’avait pas cherché un nom mieux foutu, c’est celui-là, “domitor”, qu’il aurait utilisé. On n’irait pas au ciné, mais au domit’. On ne parlerait pas de cinéastes, mais de… domitards ?

Si Auguste et Louis avaient écouté leur père Antoine, c’est ce nom aux étranges consonances qu’ils auraient consacré. Toute l’histoire du cinéma en eût été changée. Le suffixe -tor aurait pris une grâce et une valeur inestimables, et ni Terminator, ni Predator ni autres Penetrator n’auraient vu le jour… Ou bien, amputés d’une terminaison trop précieuse pour être ainsi maltraitée.

Mais pour une fois, Antoine Lumière, photographe inspirateur de ses enfants géniaux, n’eut pas raison, et au Domitor les inventeurs préférèrent un terme emprunté au grec, nom plus commun que propre, déjà tout ou partie utilisé par d’autres scientifiques de l’image en mouvement : Léon Bouly et Thomas Edison.

En hommage au Domitor avorté, Grand-Écart.fr a failli se nommer Domitor.fr. Une façon de remettre à sa place une anecdote fameuse, et de porter haut les valeurs qu’ont été celles de ce substitut du cinématographe : un cinéma alternatif. Mais, soumis à un vote terrible, nous avons choisi la souplesse.

 

“Louis Lumière, qui a de la fièvre, n’arrive pas à trouver le sommeil. Il tourne et retourne dans tous les sens l’objet que lui a apporté son frère, et soudain la solution qui depuis des mois se refusait à son esprit lui apparaît dans sa lumineuse clarté [...] : le cinématographe est né.
Il est né mais il n’a pas encore de nom. L’invention des frères Lumière pour le moment, c’est avant tout un appareil miracle qui permet à la fois la prise de vues et la projection d’images animées sur un grand écran. Quand, le 13 février 1895, Louis Lumière prend son premier brevet pour le prototype qu’il vient de créer, il ne songe pas à lui fournir une appellation officielle.
Ce n’est que le 10 mars, dans un additif au précédent brevet, qu’apparaît enfin le nom qui va bientôt courir le monde : le cinématographe. Ce vocable, inspiré du grec ancien, ce sont les deux frères qui l’ont imaginé. Leur père aurait préféré un terme qui fût beaucoup plus éloigné de ceux qui existaient déjà, afin de différencier nettement l’invention de ses fils de celles des autres chercheurs. Il penchait donc pour “Domitor” mais il n’eut pas gain de cause, et l’on imagine mal aujourd’hui que notre cinéma ait pu être appelé de ce nom à la consonance barbare.”

Madeleine Malthête-Méliès, Méliès l’enchanteur, 1973