Un voyageur, de Marcel Ophuls

 

Mémoires sur pellicules

Un voyageur de Marcel OphulsMarcel Ophuls, 85 ans, cinéaste, fils de cinéaste, regarde la caméra en face et dit je. Il publie des mémoires qui sont audiovisuelles : Un voyageur est une traversée de l’histoire du XXe siècle et de l’histoire de l’art du cinéma. Il raconte une vie d’homme et une vie de cinéma qui ne se distinguent pas l’une de l’autre, pas plus qu’elles ne se séparent de leur époque. Une vie, une œuvre, un siècle. La vie d’Ophuls, prénom Marcel. Ses mots se mêlent d’un montage d’images, ce langage si parlant, son vocabulaire propre. Comment l’écrire autrement ? La parole du récit ne témoigne pas seule : elle circule avec des photographies et des films, avec du réel toujours frotté à de la fiction. Tout s’image : ce qui s’est passé et ce qui a été vécu, ce qui s’est réalisé à l’écran.

C’est sa vie entière qu’entreprend de parcourir le réalisateur de Le Chagrin et la Pitié. Une vie dans laquelle se signale l’omniprésence de Max Ophuls, le père important, la légende forte, la figure tutélaire, écrasante sans doute : on jurerait sa main posée sur l’épaule du descendant qui en confie les souvenirs. C’est au-delà de l’évocation ou de l’hommage du fils au père : l’autobiographie de Marcel se double de la biographie de Max. Son ombre portée est grande sur ce film qui pérégrine à travers le monde, au gré des mouvements de la famille Ophuls : ils sont d’Allemagne, de France, de Suisse, d’Amérique. C’est une famille en exil, une famille juive qui fuit la grande tragédie de l’Europe, les persécutions nazies, la Seconde Guerre mondiale. Le cinéma, ce miracle, continue de croire aux rêves. Marcel Ophuls s’en éloigne : il documente l’histoire, il est un témoin, il est un narrateur de son temps.

Ce vieux voyageur qui revient sur les lieux de ses souvenirs, sur les lieux de sa mémoire, marche avec des ombres. Les fantômes passent, de Max Ophuls, de François Truffaut, de Marlène Dietrich. Régine, le grand amour, s’absente. Les amis sont conviés, Jeanne Moreau, Costa-Gavras. L’intime surgit parfois, subreptice, au bras de ce film touchant, autoportrait timide, curieusement, d’un Marcel Ophuls qui dans la lumière de son propre regard, soudain, apparaît en homme fragile, désarmé comme jamais. Parlant encore, mais déjà prêt à se taire, pour donner la parole aux pellicules qui lui survivront. (Jo Fishley)

 
Un voyageur de et avec Marcel Ophuls, avec aussi Woody Allen, Stanley Kubrick… France, 2013. Présenté à la 45e Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.

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