The Lodgers de Brian O’Malley

 

A deux, on est moins forts…

The Lodgers, de Brian O'MalleyIl était une fois deux jumeaux, Rachel et Edward. Ils vivent en reclus, comme dans tout bon conte qui se respecte, dans une grande demeure perdue au fond des bois et au bord d’un lac aux eaux sombres. Bien évidemment, ils cachent un épouvantable secret qui commence à devenir trop lourd pour leurs frêles épaules. Pour tromper l’ennui qui pèse sur leur existence, ils suivent des règles imposées par des esprits censés veiller sur eux : ils ne doivent jamais ramener de personnes inconnues en leur logis qui tombe en ruines, être dans leurs lits à minuit et ne jamais être trop longtemps séparés l’un de l’autre. Sous peine de… On ignore quoi au juste, mais certainement pas une partie de bingo improvisée.

Evidemment, le jour de leurs 18 ans, ces règles qui les construisent et les définissent, vont peu à peu voler en éclats. Car Rachel ne rêve que d’une chose : connaître le monde extérieur (en dehors de l’épicerie du coin où elle s’en va quérir des denrées alimentaires à crédit) et si possible, le faire en solitaire. Et quand elle rencontre Sean, le fils de l’épicière rentré éclopé de la guerre, cela agit comme un détonateur en elle. Cette vie tant rêvée, elle la veut désormais coûte que coûte, elle la sent à portée de main et en amoureux tant qu’à faire, même si cela en vient à contrecarrer les plans de ses esprits domestiques qui n’ont dès lors plus qu’un seul objectif : la tourmenter. Et ce qui commence comme une jolie petite comptine que Rachel et Edward se chantent pour eux (en réalité, les règles qui les régissent), devient peu à peu un horrible cauchemar…

Brian O’Malley revient enfin au cinéma, trois ans après Let us Prey qui avait déjà fait couler des hectolitres de sueur froide. Avec The Lodgers (ou Les Locataires), il met le curseur encore plus loin. Si les histoires de maisons délabrées dans la forêt où vivent en autarcie des personnages blafards sont presque un genre à elles seules dans le cinéma fantastique, il réussit à insuffler suffisamment d’originalité à son récit pour captiver de bout en bout celui ou celle qui daignera tourner les pages de ce conte horrifique. Les images sont à elles seules époustouflantes d’esthétisme. La caméra se promène en virtuose dans les couloirs défraîchis et humides de la demeure, les prises de vues sous-marines sont aussi angoissantes que fascinantes et surtout, le réalisateur capte la beauté dans chaque détail et qu’importe, au final, le terrible secret qui relie ce frère et cette sœur à ces esprits (plus ou moins) protecteurs. Tout le chemin parcouru qui y mène est jalonné de moments forts en suspense et en émotions, portés par deux comédiens exceptionnels : Charlotte Vega et Bill Milner, aux pâleurs surannées dont on aimerait y découvrir quelques couleurs, quelques traces de vie et d’espoir. Entre attraction et répulsion, au bord d’un inceste passionnel, les deux frère et sœur semblent inéluctablement placés sur le même chemin funeste. A moins d’un grand sacrifice. Et dès lors, ce ne sont plus les esprits qui nous terrorisent, mais les choix qu’ils vont devoir faire pour s’en affranchir… Un film aussi beau que vénéneux.

 
The Lodgers de Brian O’Malley, avec Charlotte Vega, Bill Milner, Eugene Simon, David Bradley… Irlande, 2017. En compétition officielle du Festival de Gérardmer 2018.