Mister Babadook, de Jennifer Kent

 

If it's in a word, or it's in a look, you can't get rid of the BabadookBabadook… Dook… Dook. Peu de doutes à avoir sur le fait que cette incantation maléfique et sépulcrale va désormais appartenir au patrimoine du septième art. Si le premier film de Jennifer Kent, un développement de son superbe court-métrage Monster, ne bouleverse pas la grammaire cinématographique, il révèle un style et une maîtrise qu’on ne voit plus que rarement. Babadook ne fait pas penser à Saw ou 28 jours plus tard, films-étalons de la production actuelle ; ses références sont plus nobles, plus old school et moins immédiatement saisissables, à l’instar de l’excellent The Conjuring sorti il y a quelques mois.

C’est l’histoire d’Amelia, qui élève seule son fils Samuel depuis le décès de son mari alors qu’il emmenait sa femme à la maternité. Samuel, enfant hyperactif, est en proie à de terribles cauchemars, qui s’accentuent lorsqu’il découvre un livre à l’effrayant contenu, Mister Babadook. D’inquiétants événements ne tardent pas à convaincre Samuel que le monstre est véritablement sorti de l’étrange ouvrage. Face à la terreur de son fils, Amelia va également commencer à se poser des questions…

Essie David et Noah Wiseman dans BabadookSi le mythe du croque-mitaine vous semble éculé au cinéma, attendez de voir le traitement qu’en fait Jennifer Kent. Inspirée par Roman Polanski, qui a fait de l’horreur domestique un art (Rosemary’s Baby, Répulsion, Le Locataire), la réalisatrice installe un malaise durable grâce aux multiples sonorités – bruits et musique –, aux images qui trahissent sa passion pour l’expressionnisme et pour le faiseur de fantasmagories Georges Méliès, et évidemment à l’interprétation. Chaque séquence dans la maison révèle un visage et une personnalité nouvelle des protagonistes. Comédiens protéiformes, Essie Davis et le tout jeune Noah Wiseman jouent une partition exceptionnelle, qui n’est pas pour rien dans l’angoisse que suscite le film. Jusqu’à cette scène au paroxysme de la tension et de la violence verbale, dans laquelle la mère, excédée et épuisée, s’écrie : « Si tu as si faim que ça, mange ta merde ! »

» Lire aussi l’interview de Jennifer Kent

Film d’horreur, thriller psychologique, Babadook se situe quelque part entre les deux, à la lisière du fantastique. Une œuvre intense sur la cellule familiale et la difficulté d’être mère. Les nuits sans sommeil, le bruit effroyable qu’un enfant peut faire, ses élucubrations et son comportement parfois dangereux. Chaque parent a un jour fantasmé ne plus avoir d’enfant – ne serait-ce que pour quelques dizaines de minutes. Une œuvre sur la dépression et le deuil, aussi. Amelia a refoulé une tragédie passée, une de celles dont on ne sort jamais indemne, et le Babadook revient la hanter pour cela. Les rôles sont alors inversés : ce n’est plus l’enfant qui a peur du croque-mitaine caché sous le lit ou des pièces noires, c’est la mère, subitement ramenée à un passé qu’elle s’était promis d’oublier. Le monstre du placard surgit pour montrer qu’on ne se remet pas de la tragédie et de la peur, on l’apprivoise. Et si ce n’était plus le monstre tapi dans l’ombre qu’Amelia devait combattre mais celui qui est dans sa tête et qui prend la forme de son défunt mari ? Celui qu’il faut, à défaut de l’éliminer, repousser dans la cave, où il pourra être contrôlé ?

Mister BabadookJennifer Kent réalise une immense œuvre, pourtant sans grands artifices (le film a vu le jour grâce à un système de finance participative à hauteur de… 30 000 dollars seulement), dans laquelle l’horreur peut prendre plusieurs visages. Babadook est aussi un récit initiatique, une façon pour la réalisatrice comme pour le spectateur d’affronter ses peurs les plus profondes, et de se rendre compte qu’il est toujours possible de sortir des ténèbres. Babadook… Dook… Dook.

 
Côté bonus du DVD, on ne retrouvera sur le DVD que Monster, le court-métrage qui a servi de point de départ à Mister Babadook, et une interview de la réalisatrice. Et comme on vous avait déjà gratifiés d’un excellent (si, si) entretien avec Jennifer Kent au moment de la sortie du film, on ne retiendra rien de particulier sur ces compléments. En revanche, sur le Blu-ray, on retrouve les mêmes bonus ainsi que des interviews d’Essie Davis et de l’équipe du film, et surtout un remarquable entretien avec Alex Juhasz, le génial illustrateur qui se cache derrière le livre pop-up Mister Babadook.

 
Mister Babadook (The Babadook) de Jennifer Kent, avec Essie Davis, Noah Wiseman, Daniel Henshall, Hayley McElhinney… Australie, 2013. Prix du jury Presse, Prix du jury Jeunes et Prix spécial du jury du 21e Festival international du film fantastique de Gérardmer. Sortie le 30 juillet 2014. Sortie DVD le 3 décembre 2014.