Plaire aimer et courir vite, de Christophe Honoré

 

12 battements par heure

Plaire, aimer et courir vite, de Christophe HonoréJacques est écrivain. Il a la trentaine qui galope vers la quarantaine, vit dans le 13e arrondissement, est homosexuel, a un enfant, le sida et les poches percées. Son meilleur ami est son voisin du dessous, Mathieu, journaliste, homosexuel, la cinquantaine, une moustache, la solitude en bandoulière et les poches pleines, ce qui lui permet d’acheter quelques garçons aux muscles saillants. Quant à Arthur, il a 22 ans, est Breton, l’avenir devant lui et une sexualité libérée (il est avec une fille, même s’il préfère les étreintes masculines). Avec Christophe Honoré, on ne prend pas les mêmes (cette fois, son casting est entièrement renouvelé), mais on recommence. On recommence les Bretons qui sentent la crêpe au citron, les Parisiens lettrés qui donnent des leçons, mais ne retiennent pas celles que la vie leur donne, les amours au masculin légères et insouciantes, mais qui pèsent si lourd, pourtant. On est entre deux portes, entre deux ex, entre deux mauvaises nouvelles. On dit des phrases à l’emporte-pièce, poétiques, littéraires, magnifiques, magnifiées, incongrues (le film devrait se lire autant qu’il se voit). On met de la musique d’ambiance qui devient bande-son intemporelle. On dit merde à la vie, merde à la mort, mais il faudra bien succomber tout de même.

On est en pleine épidémie de sida, dans les années 1990, avant que les traitements thérapeutiques ne fassent leur apparition. On est pourtant dans l’antithèse d’un 120 battements par minute, car ici, on s’intéresse aux âmes plutôt qu’aux corps. Et si ces derniers sont suppliciés, ce n’est que pour des scènes d’amour tendre (deux anciens amants qui partagent un même bain pour parler de leur histoire déchue avec tendresse). Et quand ils sont montrés en pleine action, dénudés et fragiles, c’est pour ensuite parler livres en écoutant de la musique classique. Dans le rôle de Louis Garrel, Pierre Deladonchamps rejoue à l’homosexuel avec le naturalisme qui le caractérise. On a l’impression de le connaître, qu’il est un voisin qui nous a emprunté du sel un jour, gauche et sûr de lui en même temps, fort et effacé dans la même seconde, froid et bouillonnant simultanément. Il est épaulé d’un toujours impeccable Denis Podalydès (de la Comédie-Française, n’oublions pas ses titres de noblesse), moustachu déprimé de ne partager ses nuits qu’avec sa solitude. Il est le témoin de la douloureuse communauté gay qui ostracise ceux qui ont dépassé les 40 ans et n’ont pas le physique de Tom Cruise, à moins d’avoir le porte-monnaie bien garni. Il observe en soupirant la jeunesse qui s’amuse et se perd, il est le garant de ceux qui s’en vont mourir dans l’ombre, ignorés de tous. Et dans le rôle de l’ingénu breton, l’inattendu Vincent Lacoste. Une révélation. De film en film, il métamorphose sa prestance arrogante, son timbre de freluquet qui a un temps d’avance sur les autres et la vie. Ici, il est l’objet de désir et de tourments, il est l’appât et l’hameçon, le porteur d’espoir et celui dont on doit se prémunir. Dans Les Chansons d’amour, Louis Garrel disait à Grégoire Leprince-Ringuet qu’il vaut mieux l’aimer moins, mais longtemps. Ici, c’est tout l’inverse : Jacques intime Arthur de l’aimer vite et rapidement. Car son temps est compté. Pourtant, celui du film s’étire. L’urgence du titre est une feinte. On finit par s’ennuyer et aimer cet ennui. C’est la magie Honoré : s’énerver d’être là, face à ses films qui racontent sans cesse la même histoire et incapable pourtant de ne pas regarder la suite, encore et toujours. Ne serait-ce que pour Vincent Lacoste, nouveau crocodile du septième art.

 
Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honré, avec Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès, Vincent Lacoste, Clément Métayer, Adèle Wismes, Thomas Gonzalès… France, 2018. En compétition du 71e Festival de Cannes. En salles le 10 mai 2018.