The Man in the Orange Jacket, de Aik Karapetian

 

Game of Thrones

The Man in the Orange Jacket, d'Aik KarapetianCinq ans ont été nécessaires à Aik Karapetian pour mettre en boîte ce film. Un quinquennat traversé tant bien que mal, miné, notamment, par les perpétuelles questions de production. N’en reste pas moins que le jeune réalisateur letton né en Arménie a su se donner les moyens d’aller au bout de son projet pour, on le regrette, un résultat final que l’on qualifiera de… « bien mais pas top ».

Bien parce que la perspective narrative choisie au départ révèle d’entrée de jeu une démarche, une volonté sincère de délivrer une œuvre originale, personnelle et audacieuse. A l’image d’un jeune cinéma letton soucieux de se confronter, même brutalement, aux réalités de son pays. Celles de cette tout aussi jeune république ayant récemment obtenu, en 2004, son billet d’entrée pour l’Union européenne. Juste à temps pour pouvoir profiter, deux ans plus tard, de l’explosive crise des subprimes et du raz-de-marée d’austérité qui en a découlé. De quoi avoir la rage ! Et si certains parviennent à la canaliser au prix de quelques mobilisations collectives ou de quelques années de thérapie, d’autres, et ce sera le cas pour notre « homme en veste orange », optent pour des exutoires bien plus expéditifs…

La veste orange, c’est celle que portent les quelque deux cents dockers qui viennent d’apprendre leur licenciement. A la fin de son ultime journée de travail, l’un d’entre eux, silhouette massive, casquette vissée sur la tête, marche d’un pas lent mais déterminé. Il sait ce qu’il a à faire. Pénétrer dans la luxueuse demeure de son patron, lui éclater la tête à coups de marteau, neutraliser la jeune et belle arriviste qui lui sert d’épouse et mettre fin à ses ambitions en la perforant au tournevis. En quelques minutes, le man in the orange jacket se fait justice. C’est rapide, efficace. Il peut désormais tranquillement goûter à son tour aux plaisirs du confort opulent de son ancien boss. Profiter de son manoir, de ses bonnes bouteilles, de sa voiture… Le film peut commencer.

Effronté et courageux, Aik Karapetian bouscule les ressorts narratifs traditionnels en faisant débuter son récit là où la plupart auraient sans doute choisi de le clore. Au-delà de la seule mise en scène d’une vindicte sociale sur fond de lutte des classes, Karapetian préfère se focaliser sur les errements psychologiques de son tueur, une fois sa vengeance accomplie. Qui est-il ? Que va-t-il faire maintenant ? Ce bruit qu’il entend, est-il réel ou dans sa tête ? Est-il éveillé ou dans ses rêves ? Est-il bien seul dans cette maison ?… Karapetian avance avec l’humilité d’un artisan soignant son ouvrage, épousant au mieux sa vision originelle. La photographie est soignée, la mise en scène, dépouillée. Nettoyée de toutes fioritures « cache-misère » et autres tours de passe-passe émotionnels laxistes aux seules fins de graisser la patte du public. Dans le dédale de pièces que lui offre le vaste manoir, le cinéaste nous trimballe dans le labyrinthe mental de son personnage, use de ses cadres et de ses effets sonores (grincements, grondements, portes que l’on ouvre, que l’on claque) pour imprégner son thriller d’une atmosphère étrange et pesante.

Mais en dépit d’une belle intention et de qualités formelles indéniables, The Man in the Orange Jacket se perd finalement peu à peu dans une certaine opacité. Tant scénaristique que rhétorique. Opacité que certains pourraient (peut-être à raison ?) rattacher à un parti pris, mais que l’on pourrait tout aussi bien mettre sur le compte d’une ligne d’arrivée mal définie. L’allégorie initiale quasi marxiste finit par s’embrumer dans un voile d’illusions chaotiques. Et l’on croit alors davantage assister à un immuable jeu de pouvoir. Celui d’un homme qui, après avoir pris place sur le trône en se débarrassant de son prédécesseur, fera en sorte de ne pas se faire déloger à son tour par un gênant successeur, au risque de perdre ses privilèges fraîchement acquis. Mais quel serait alors le propos du réalisateur ? Nous signifier que toute révolte est vaine parce qu’inlassablement pervertie par ce que l’homme peut avoir de plus primaire et d’égoïste ? Le film serait-il une sorte de Game of Thrones désabusé ? Pas évident. A creuser. Reste que ce Man in the Orange Jacket ne laisse pas indifférent et que, en attendant de voir son prochain film pour en savoir plus, on gardera à l’esprit la franchise artistique de ce jeune réalisateur.

 
The Man in the Orange Jacket d’Aik Karapetian, avec Maxim Lazarev, Aris Rozentals, Anta Aizupe… Lettonie, 2014. Présenté en compétition au 22e Festival du film fantastique de Gérardmer.