Dellamorte Dellamore, de Michele Soavi

 

Chaque jour pendant le 22e Festival du film fantastique de Gérardmer, Grand Écart regarde dans le rétro et revient sur un film de l’édition 1995. Aujourd’hui, c’est Dellamorte Dellamore, la touche italo-poétique du Festival.

L’Amour à mort

Dellamorte Dellamore, de Michele Soavi1995. Festival du film fantastique de Gérardmer, deuxième. Sur la feuille de match de la compétition officielle figure un nouveau meneur transalpin. Un Milanais au jeu de caméra déjà remarqué. Son nom, Michele Soavi. Son film, Dellamorte Dellamore.

En arrivant en terres vosgiennes, Michele Soavi n’est déjà plus tout à fait bleu. Dans ses valises, on trouve deux longs-métrages, Bloody Bird (ou Deliria) et Sanctuaire (La Chiesa), ainsi qu’une double casquette de scénariste-réalisateur déjà pas mal étrenné. Ses griffes, il se les ait faites auprès du triumvirat de l’horreur à l’italienne et du giallo, à savoir Joe d’Amato, Lamberto Bava et Dario Argento. Et c’est donc avec le soutien bienveillant de ses parrains que Soavi signe sa première réalisation en 1987.

Bloody Bird, donc. Un slasher low cost pur jus dont Joe d’Amato assure la production. Le scénario est signé d’un certain George Eastman, plus connu sous le nom de Luigi Montefiori, le célèbre colosse cannibale du Anthropophagus de d’Amato. Soavi a alors 26 ans. A l’époque, le film soulève les cœurs du jury du Festival d’Avoriaz qui lui décerne le prix Section Peur. Une reconnaissance que ne lui accordera malheureusement pas le public. Le film est un four. Mais Soavi ne rend pas les armes pour autant et revient deux ans plus tard avec son Sanctuaire (troisième volet de la saga Démons, coscénarisé par Bava et Argento. Une sombre histoire d’ancienne église gothique bâtie sur les corps de villageois accusés de satanisme et décimés au Moyen Age… 3,5 millions de dollars de budget, tonton Dario à la production : des conditions bien plus confortables assurent au film une vie respectable. Emporté par son élan, Soavi signe dans la foulée La Secte (La Setta). Un film avec lequel le cinéaste franchit encore un palier pour s’imposer définitivement comme le digne héritier d’Argento.

Mais c’est avec Dellamorte Dellamore que Michele Soavi porte son véritable coup de grâce, offrant par la même occasion un second souffle à un cinéma d’horreur transalpin de plus en plus moribond. Adapté du livre éponyme de Tiziano Sclavi (notamment connu pour sa série BD Dylan Dog), Dellamorte Dellamore est un objet curieux. Un film de zombies en forme d’opera buffa à l’esthétique romantico-baroque, le tout baigné d’humour noir, absurde, et d’une pointe d’érotisme. Un Rupert Everett aussi inattendu que génial y incarne Francesco Dellamorte, un gardien de cimetière énigmatique chargé de tenir ses morts bien sagement enfouis six pieds sous terre. Car il faut dire qu’ils ont la bougeotte, ces macchabées ! Sept jours après leur inhumation, ils ont tous cette fâcheuse habitude de briser leur dalle de marbre pour se faire la malle. Mais pour lui prêter main-forte, Dellamorte peut compter sur son fidèle Gnaghi, un simple d’esprit ventripotent incarné par l’attachant François Hadji-Lazaro, ex-chanteur des Garçons Bouchers. Pour la partie XX du casting, les sulfureuses Anna Falchi et Barbara Cupisti, actrice fétiche de Soavi, viennent enrichir le film de leur présence pour le moins sculpturale.

Cloîtré derrière les murs de son cimetière, Dellamorte, flanqué de son Gnaghi, semble condamné à errer inexorablement dans cet entre-deux-mondes, celui des morts et des vivants. Des morts-vivants et des vivants morts. Jusqu’au jour où, à la vue d’une veuve éplorée, il tombe amoureux. D’un amour qu’il n’attendait pas, ou plus, et qui le forcera à sortir de sa torpeur… Car c’est bien d’amour, finalement, dont il est question dans ce Dellamorte Dellamore. L’amour à mort, passionnel, celui qui rend fou et sans lequel plus rien ne mérite d’être vécu. « Je donnerai ma vie pour mourir », laisse échapper Dellamorte après avoir vu son amour disparaître. Et ainsi Soavi, avec une poésie que l’on ne lui connaissait peu, d’unir éternellement amour et mort dans une noce funèbre sublime, surréaliste et pleine d’audace.

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Dellamorte Dellamore de Michele Soavi, avec Rupert Everett, François Hadji-Lazaro, Anna Falchi, Barbara Cupisti… Italie, 1994. Sélectionné au Festival de Gérardmer 1995.