Mal de pierres, de Nicole Garcia

 

Aïe

Mal de pierres, de Nicole GarciaGabrielle (Marion Cotillard) vit avec sa sœur et ses parents dans le domaine familial de Provence. Elle souffre de calculs rénaux – mais c’est plus joli en les appelant « mal de pierres ». Gabrielle et ses proches n’ont pas encore mis un nom sur la maladie, c’est bien pour ça qu’ils croient tous qu’elle est simplement folle et qu’elle fait son intéressante. D’ailleurs, sa mère lui laisse le choix : épouser le premier venu (José, émigré espagnol fort sympathique, au demeurant) ou se faire interner à Marseille. Elle choisit la première option, en précisant au dit José qu’elle ne tombera jamais amoureuse de lui. Peu de temps après, un médecin (oui, parce qu’en fait, les médecins existaient déjà à l’époque – années 1950 –, même en Provence) diagnostique son mal et l’envoie en cure du côté de Lyon. Là-bas, c’est l’enfer : les bonnets de bain sont moches, les douches spartiates, et la nourriture n’est pas bonne. Autant de raisons de se jeter dans les bras d’André (Louis Garrel), le seul à avoir davantage besoin d’un prêtre que d’une cure.

Rassurez-vous, malgré la longueur du résumé, il est garanti sans spoiler à vie. Nicole Garcia spoile son Mal de pierres toute seule comme une grande dès les cinq premières minutes, grâce à ce procédé moderne et novateur qu’est l’analepse. Ah, ça vous en bouche un coin, ça, hein… Ca en jette !
« Analepse », c’est le mot français pour « flashback ».

Donc, Gabrielle, la bonne trentaine (on le sait immédiatement grâce à ses vêtements et sa coupe de cheveux), est en route avec José et son fils pour le conservatoire de Lyon. A un carrefour, elle descend de voiture, en proie à un impalpable malaise (respiration rapide, voix incontrôlable, regard fou mais décidé, tristesse dans le regard rendu de José : un impalpable malaise), et se rend à pied à une adresse. Hop, ça y est, on revient à la source de tout ça, une poignée d’années plus tôt : Gabrielle, la bonne vingtaine (on le sait immédiatement grâce à ses vêtements et sa coupe de cheveux), dans la demeure familiale. Pourquoi Gabrielle est-elle descendue de voiture ? Un besoin urgent ? Une adresse pour une coupe de cheveux inratable ? C’est ce qu’on va apprendre.

Ce que Nicole Garcia ne spoile pas, c’est l’émotion : il faudra attendre les dernières secondes avant d’être touché par les personnages. Malheureusement, on a décroché une bonne heure trop tôt. Avec Gabrielle, sorte d’Emma Bovary des fifties, Nicole Garcia raconte ce qu’est être une femme à cette époque : les mariages sont encore arrangés, la femme a une place près de l’homme, mais quelques pas derrière lui. Gabrielle veut brûler de désir, connaître une passion sans borne, partir à la découverte de son destin. Elle veut s’affirmer en tant qu’individu. La vision archaïque de sa famille l’en empêche. Seul José semble lui offrir une porte de sortie, mais Gabrielle n’a pas encore la coupe de cheveux pour l’accepter. Alors elle se cherche, longtemps (en durée réelle, quelques années ; en durée diégétique, quelques années), vivant dans le regret, la culpabilité et la douleur, pendant que José l’aime (mais chuuut) et que son fils grandit. Une belle histoire, si elle n’était pas aussi cousue de fil blanc – la faute au flashback, oui, rappelez-vous. Rien de ce que dévoile la réalisatrice n’est surprenant. Pire, rien ne semble avoir beaucoup d’intérêt. Elle se contente de dérouler l’histoire (qui existait avant le film, puisque c’est l’adaptation de Mal de pierres de Milena Agus), même si elle a opéré quelques changements. Un récit linéaire et ennuyeux, même pas rehaussé par l’interprétation fade des acteurs, manifestement plus à l’aise pour bavarder que pour jouer les taiseux (même si Alex Brendemühl s’en sort pas mal dans le rôle de José le Sacrifié).

Mal de pierres, de Nicole GarciaA la fin de l’époque du muet, au début du parlant, les réalisateurs étaient bien embêtés : maintenant que les acteurs pouvaient parler, qu’est-ce qu’on pouvait bien leur faire dire ? Les premiers films parlants sont remarquables pour ce défaut : ne sachant quoi leur faire dire, on leur demandait grosso modo de raconter ce qu’ils étaient en train de faire. Au lieu de démultiplier les possibilités, la parole faisait double emploi avec l’image, et les premiers films de cette période se faisaient facilement oublier. Mal de pierres rappelle cette époque charnière : face à une créativité visuelle et narrative qui évolue à une vitesse phénoménale, nombreux sont les réalisateurs à revenir à des factures classiques, privilégiant le récit à toute forme de poudre aux yeux cinématographique. Nicole Garcia, elle, hésite : Mal de pierres est trop niais et pas assez soigné pour être classique, et fait pâle figure en termes d’exploration visuelle et narrative, si on le compare avec d’autres œuvres actuelles (oui, le flashback, toujours lui). Et le chemin jusqu’au dénouement (celui qui va permettre à Gabrielle de s’accepter enfin et d’avancer) est bien caillouteux.

On aurait pu finir sur ce mauvais jeu de mots, mais mieux vaut citer un philosophe clairvoyant :

« Happiness is just a state of mind »
[Imagination, Flashback]

 
Mal de pierres de Nicole Garcia, avec Marion Cotillard, Louis Garrel, Alex Brendemühl… France, 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes. Sortie le 19 octobre 2016.

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