Everybody Knows, d’Asghar Farhadi

 

Sagesse populaire

Everybody KnowsOn ne sait pas pourquoi le titre original, en espagnol, a été traduit en anglais pour la sortie française, mais le résultat est le même : Todos lo saben, Everybody Knows, oui tout le monde le sait. Tout le monde sait quoi ? C’est justement l’objet du premier film d’Asghar Farhadi sans lien avec l’Iran. A la manière d’un Woody Allen de l’autre côté du monde, le cinéaste vient poser sa caméra en Espagne, filmer les rapports forcément plus caliente entre Penelope Cruz et Javier Bardem dans leur langue maternelle. Ici, elle est Laura, une jeune mère de famille de retour au pays natal pour le mariage de sa soeur ; il est Paco, son amour de jeunesse, vigneron et (soi-disant) ami de la famille. Sous la lumière dorée du soleil espagnol, tout ce petit monde est heureux de se retrouver, de constater que les enfants ont grandi, les parents vieilli, et que les mémoires sont intactes. Tous les invités de la noce, jusqu’aux piliers de comptoir du village, se souviennent de la jeunesse des deux protagonistes, tout comme de la manière par laquelle Paco a acquis ses terres. Bon, une fois ce petit tableau dressé, la suite, ce que tout le monde sait, donc, n’est pas bien difficile à deviner. Asghar Farhadi nous la révèle pourtant bien tardivement, une fois que l’ambiance festive a viré au tragique avec l’enlèvement d’une adolescente, comme s’il s’agissait là du point d’orgue du film. On se retrouve à suivre une enquête (presque) sans police, dont on possède déjà les indices fournis au compte-goutte. Entre Columbo (où le spectateur a un coup d’avance sur l’enquêteur) et Derrick (l’ancêtre de Captain Obvious), tant la révélation de l’identité du criminel importe peu (et non, ce n’est pas Nordahl Lelandais). Pendant ce temps, Penelope Cruz pleure à merveille et Javier Bardem endosse parfaitement le rôle du type un peu rustre mais sensible. Tout cela est bien exécuté, chacun tient son rang, mais pour une histoire finalement vaine. Les secrets enfouis ne l’étaient pas tant que ça – c’est dans le titre – et la révélation finale semble n’intéresser personne, y compris le réalisateur, qui expédie la séquence de la découverte du coupable, parce qu’il fallait bien y passer. Une montagne, si jolie soit-elle, qui accouche d’une souris – laquelle s’échappe bien vite. Tout ça pour ça. Plus que Woody Allen et sa tournée européenne, Asghar Farhadi serait peut-être le nouveau Claude Lelouch et ses films choraux dont on oublie tout (et pourtant… tout le monde le sait).
 
Everybody Knows (Todos lo saben) d’Asghar Farhadi, avec Penelope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darin… Espagne, 2018. En compétition du 71e Festival de Cannes. Sortie le 8 mai 2018.