La douleur des sentiments
« C’est mon jour, c’est pas ton jour ». La phrase résonne, comme un leitmotiv. Comme un mantra presque. Pour se raccrocher à des règles de vie établies pour ne pas se sauter à la gorge à la moindre incartade. « C’est mon jour, c’est pas ton jour », répète donc Bérénice Béjo à Cédric Kahn, épuisée d’avoir à cohabiter avec l’homme dont elle ne veut plus partager la vie. « C’est pas son jour », explique presque sur le ton de l’évidence l’une des fillettes à sa soeur jumelle, pour expliquer l’engueulade du jour de leurs parents. D’engueulades, il est pourtant peu question dans cette histoire de séparation. L’Economie du couple n’est pas un remake de La Guerre des Rose ou de Liaison Fatale. Seuls les regards sont assassins. Joachim Lafosse capte la tension entre ses deux personnages, filme les malaises et les non-dits. Tourné en huis clos, souvent à hauteur d’enfants, le cinéaste belge ne choisit pas son camp, et reste paradoxalement à distance, avec une pudeur inattendue et bienvenue. Les enjeux du couple sont déplacés sur les questions pratiques, qui s’occupe des enfants, quand, qui achète les chaussures de foot, et combien vaut chaque part de l’appartement. Derrière toutes ces questions se cachent des sentiments profonds, l’amour passé, les rancoeurs ressassées, la complicité brièvement retrouvée, la page qu’on n’arrive pas à tourner, malgré tout. Bérénice Béjo et Cédric Kahn expriment toutes ces nuances, souvent en parlant d’autre chose – en quémandant un bout de fromage ou de gâteau. Lui joue de toute sa séduction, peut se montrer manipulateur. Elle est bornée, injuste parfois. Chacun pense mériter sa part, soulignant ainsi la hauteur de leur investissement dans leur vie à deux (puis quatre). Chacun tente de sauver ce qui peut l’être. Chacun mesure ce qui est perdu, dans de jolies séquences de vie familiale partiellement recréée. Joachim Lafosse filme ce qui ne sera plus, fait ressentir l’intangible, montre l’invisible.
L’Economie du couple de Joachim Lafosse, avec Bérénice Béjo, Cédric Kahn, Marthe Keller… Belgique, France, 2016. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2016.
