La Chambre bleue, de Mathieu Amalric

 

Un homme et une femme

La Chambre bleue, de Mathieu AmalricCa commence par le papier-peint bleu mal collé d’une chambre d’hôtel de province. Des fragments de corps, une moitié de visage, une bouche, des corps qui s’enlacent, qui se mordent et qui saignent… Puis gros plan sur un badge. “Gendarme”. Une séance d’interrogatoire. Un juge d’instruction. Une liaison adultère. Deux amants. Julien Gahyde et Esther Despierre. Deux victimes. L’épouse de l’un, le mari de l’autre.

Après son étincelante Tournée, véritable manège enchanté qui avait enivré le festival en 2010, Mathieu Amalric est de retour sur la Croisette avec un film aux lignes narratives bien plus resserrées et concises, adapté du roman éponyme de Georges Simenon. Des lignes que l’écrivain avait lui-même jetées sur le papier en seulement quelques mois, en 1963. Amalric les transpose à l’écran quasiment mot pour mot et, dans la désuétude d’un judicieux format 1:33, l’ancre pour le coup parfaitement dans l’atmosphère sèche et austère propre au maître du polar. Il débobine ainsi son récit comme on assemble peu à peu les pièces d’un puzzle. Une succession de souvenirs qui ressurgissent un à un dans la tête de Julien, sous les coups de boutoir du juge d’instruction, inflexible. La Chambre bleue délivre alors peu à peu ses mystères tout au long de cet imbroglio visuel et temporel, nous plongeant au cœur des tourbillons de cette tragédie locale. Et à travers elle, Amalric d’explorer les ressorts de la passion amoureuse, la naissance des pulsions assassines et l’implacable mécanique judiciaire. Froid et méthodique, il dépeint l’effondrement tant physique qu’affectif de Julien – comme celui du Sorel de Stendhal -, incapable de dominer le désir qu’il éprouve pour la fielleuse Esther. Mais à la mise en scène extravagante et brillante de Tournée, Mathieu Amalric oppose ici l’ascétisme de plans fixes très travaillés. Une réalisation sévère qui au mieux déroutera, au pire perdra les admirateurs du road-movie new-burlesque de la bande à Miss Dirty Martini. On est très clairement dans l’exercice de style. Sans doute trop. Avec son montage aux temporalités enchevêtrées sur lequel vient se poser la voix off monocorde – léthargique ? – de Julien, cette Chambre bleue s’enfonce peu à peu dans la torpeur d’un téléfilm un brun archaïque sans finalement ne jamais parvenir à se hisser à la hauteur de l’obsession du couple Michel Piccoli-Stéphane Audran des Noces rouges de Claude Chabrol ou du face-à-face nerveux Lino Ventura-Michel Serrault dans la Garde à vue de Claude Miller. Deux films dont La Chambre bleue revendique la filiation mais sans malheureusement en avoir le charisme.

 
La Chambre bleue de et avec Mathieu Amalric, avec aussi Stéphanie Cléau, Léa Drucker, Laurent Poitrenaux… France. Sortie le 16 mai 2014. Sélectionné à Un Certain Regard au 67e Festival de Cannes.