Le Ministère Hammer 2017

 

Attention à votre porte-monnaie, Elephant Films sort neuf nouveaux bijoux du studio Hammer. Du fantastique, de l’épouvante, du thriller, de l’aventure… Cette sélection montre à quel point la société britannique Hammer Film Production privilégiait la diversité et soignait ses projets.

 

La patte classique

L'Empreinte de Frankenstein, de Freddie FrancisL’Empreinte de Frankenstein réalisé par Freddie Francis avec Peter Cushing, Peter Woodthorpe…
Réfugié dans un laboratoire de campagne avec son assistant Hans, le baron Frankenstein poursuit ses expériences avant d’être de nouveau chassé du village où il a trouvé refuge par un prêtre ayant découvert les agissements peu orthodoxes du scientifique. De retour au château familial de Karldstadt, il va tenter de faire revivre la créature, conservée dans la glace.
Freddie Francis remplace au pied levé Terence Fisher qui s’est maladroitement blessé en se cognant le gros orteil contre une table basse. Aïe ! Peter Cushing est formidable en baron Frankenstein renié par ses pairs et systématiquement répudié par la société villageoise partout où il s’installe. Alors pour mieux conjurer le mauvais sort qui le poursuit, le scientifique et son assistant décident de voyager incognito jusqu’à la demeure familiale (un château en ruine démoli il y a des années par les habitants du cru, terrifiés à l’idée de revoir la créature dans la région) pour reprendre les expériences à zéro. Bien mal leur en a pris ! Tout comme son abomination, le baron est un solitaire pestiféré, une figure de l’interdit, une chose contre nature. L’Empreinte de Frankenstein, poème terrifiant sur la solitude, dégage une puissante mélancolie. Les ambitions formelles ne manquent pas, ni la tension, palpable de bout en bout.

Les Maîtresses de Dracula réalisé par Terence Fisher avec David Peel, Peter Cushing, Martita Hunt, Yvonne Monlaur…
Marianne a accepté un poste d’institutrice dans un pensionnat pour jeune fille. Alors qu’elle traverse la Transylvanie, son cocher l’abandonne dans un village, où elle trouve refuge dans une auberge. Malgré les mises en garde du propriétaire des lieux, elle accepte l’invitation de la baronne Meinster à passer la nuit dans son château. Heureusement pour elle, le docteur Van Helsing poursuit dans la région sa chasse aux vampires.
Exit Christopher « Dracula » Lee, vampire aquilin et dégingandé. Welcome David « Baron Meinster » Peel, vampire juvénile et souffreteux. Les Maîtresses de Dracula ne réinvente pas le genre, il se renouvelle intelligemment pour se donner la bouffée d’air frais nécessaire à sa survie. La grande surprise réside dans son approche scénaristique qui fait la part belle aux ressorts psychologiques plutôt qu’à l’horreur. Quand Terence Fisher et son scénariste Jimmy Sangster osent briser les tabous du mythe, ils n’y vont pas par quatre chemins. Oui, mais quels tabous ? Si je vous le dis, je vous gâche le plaisir de la (re)découverte. Mise en scène, interprétation, photo, c’est le plaisir absolu des yeux.

Le Baiser du vampire réalisé par Don Sharp avec Clifford Evans, Edward de Souza, Jennifer Daniel, Barry Warren…
Lors de leur voyage de noces, un jeune couple perdu dans un petit village d’Europe centrale accepte l’invitation du mystérieux comte Ravna dans son château. Ils vont découvrir, lors d’un mémorable bal masqué, que la lugubre demeure abrite une secte vampirique.
Voilà le film Hammer qui inspira Roman Polanski pour son Bal des vampires. On y trouve même de nombreuses thématiques dont le cinéaste polonais raffole encore aujourd’hui (l’attraction féminine pour les gourous, le double jeu…). Le Baiser du vampire dénote des productions classiques du studio car aucun de ses acteurs vedettes n’est devant la caméra. Don Sharp réalise un film simple d’une grande beauté plastique, rythmé et bourré de suspense. Un grand cru, comme on dit !

La Nuit du loup-garou réalisé par Terence Fisher avec Oliver Reed, Clifford Evans…
Espagne. XVIIIe siècle. Fils du sadique baron Siniestro et de la servante sourde et muette dont il a abusé, Leon est adopté par un vieux professeur, Alfredo Carido. Mais en grandissant, le jeune homme a de plus en plus de mal à refréner ses pulsions meurtrières, qui le poussent à commettre des atrocités, au point de se transformer les nuits de pleine lune…
C’est l’un des grands chefs-d’œuvre de la Hammer. La Nuit du loup-garou dépasse l’intensité des Dracula, Frankenstein et consorts parce que la fièvre qui le hante met davantage mal à l’aise. En effet, le comte Dracula ne se ronge pas les sangs d’être un vampire puisqu’il prétend être supérieur à la race humaine. Tout comme Frankenstein ne craint pas de se présenter comme un moins que rien puisqu’il se considère comme une erreur de la nature. Bref, l’un est pourri par le complexe de supériorité et l’autre bouffé par le complexe d’infériorité ! Le loup-garou, lui, est taraudé par la peur. La peur de se transformer en monstre, la peur d’écharper des âmes innocentes et la peur de finir en slip à l’orée du bois au petit matin. Les loups-garous vivent dans l’appréhension de ne pouvoir un jour vaincre leur condition. Seule la mort les délivrera. D’ailleurs, Oliver Reed, charismatique à souhait, délivre une performance haute en couleur dans les oripeaux de la Bête. Dans sa première partie, le film de Fisher nous transporte au cœur d’une aristocratie immonde, haut lieu de dépravation, qui deviendra le siège du Mal. Cette très longue introduction nous fait mieux comprendre les ressorts psychologiques qui habitent le mythe. On ne ressort pas indemne de La Nuit du loup-garou.

Le Spectre du chat réalisé par John Gilling avec Barbara Shelley, André Morell…
Lors d’une sombre nuit anglaise du début du XXe siècle, un crime parfait est commis quand un mari assassine sa riche femme avec l’aide de ses serviteurs. Le veuf va alors toucher un héritage conséquent, mais Tabitha, le chat de la victime, témoin de l’événement crapuleux, semble avoir compris les machinations des malfaiteurs. Il faut alors se débarrasser du sinistre animal.
Produit conjointement par les studios Universal et Hammer, Le Spectre du chat est considéré par les spécialistes du gothique comme une perle du genre. Ramassé sur 1h15, le film tient son intrigue par la peau du cou à la manière d’un thriller et ce, sans jamais faiblir. C’est du grand art ! On se fait les témoins des remords et de la paranoïa des personnages principaux, rendus malades par la seule présence du matou de la maîtresse de maison. Cette descente aux enfers nous est présentée comme la plus cruelle des punitions. Du suspense à gogo, un rythme haletant et merci Edgar Allan Poe.

 

L’héritage hitchcockien

Paranoïaque, de Freddie FrancisParanoïaque réalisé par Freddie Francis avec Janette Scott, Oliver Reed…
Dans la campagne anglaise, Simon partage avec sa soeur la demeure ancestrale de leur famille. Décidé à profiter seul de l’héritage de leurs parents décédés, il cherche à la faire passer pour folle et à l’interner. L’apparition d’un homme mystérieux prétendant être Tony, leur frère décédé huit ans auparavant, va bouleverser ses plans.
Paranoïaque naît du choc Psychose, et bien entendu de la marquante scène de la douche. Ce petit bijou du Bis vaut pour ses séquences chocs qui à l’époque osaient franchir une ligne esthétique et psychologique assez peu répandue dans le cinéma traditionnel. Pour la faire courte, c’est brut de décoffrage ! La grande qualité du film réside dans sa facilité de nous faire passer d’une réalité tangible au fantastique pur et dur en quelques secondes. Le réalisateur culte, Freddie Francis, qui fut un très grand chef opérateur, y est pour quelque chose. Lui sait travailler le cadre et la lumière comme un véritable ambianceur. Et ça compte ! S’il fit des merveilles pour la Hammer et pour l’Amicus (studio concurrent de la Hammer), il marqua de son empreinte deux chefs-d’œuvre de David Lynch, Elephant Man et Une Histoire vraie. Classe, non ?

Meurtre par procuration réalisé par Freddie Francis avec David Knight, Moira Redmond…
Témoin du meurtre de sa mère par son père alors qu’elle était petite, Janet est sujette à de nombreux cauchemars alors qu’elle grandit dans un pensionnat. Afin de surmonter son traumatisme, elle est renvoyée au domicile familial accompagnée par son tuteur et suivie par une infirmière. Mais les cauchemars recommencent de plus belle, et mettent en scène une femme défigurée portant un gâteau d’anniversaire…
Nous pourrions classer Meurtre par procuration dans le courant « hitchcockien » du petit cinématographe où rêves et cauchemars s’entrelacent autour d’une réalité fracassée par les traumas. Comme d’hab’, Freddie Francis, apprenti de Terence Fisher, fait le job. Bref, c’est court et c’est ultra-efficace ! Un Hammer peu connu mais qui mérite toute votre attention.

 

Et deux raretés

Le Fascinant capitaine Clegg, de Peter Graham ScottLe Fascinant capitaine Clegg réalisé par Peter Graham Scott avec Peter Cushing, Yvonne Romain, Oliver Reed…
1772. Le capitaine Collier et ses soldats marins débarquent dans une petite ville côtière anglaise pour enquêter sur des fantômes des marais, qui sévissent dans la région. Il soupçonne bientôt le sinistre révérend Blyss, de ne pas être étranger à ces apparitions. D’autant que le religieux cache un passé trouble, où il était connu sous le nom de capitaine Clegg, ancien chef pirate.
Le Fascinant capitaine Clegg est un film d’aventures qui foule avec intelligence le terrain du fantastique. Quand il est question de fantasmes et d’illusion, de double jeu et de faux-semblants, on se laisse facilement aller à la rêverie, pour ne pas dire abuser ou mener par le bout du nez. Et là, vous ne serez pas déçus par les ambitions fantasmagoriques de l’histoire ! Plus que jamais, Peter Cushing impressionne par sa capacité à nous échapper, insaisissable qu’il est en inquisiteur au passé trouble. Très original.

Le Fantôme de l’opéra réalisé par Terence Fisher avec Herbert Lom, Heather Sears, Edward de Souza…
1900. Une malédiction semble frapper l’opéra de Londres. Alors que les tragédies se succèdent, la rumeur de la présence d’un mystérieux fantôme orchestrant en coulisse les accidents enfle de plus en plus. Lors d’une première prestigieuse, son existence ne fait plus de doute quand Christine Charles, l’étoile montante de l’opéra, est enlevée par le fantôme. Elle va découvrir les terribles secrets cachés sous le masque couvrant son terrifiant visage.
Le Fantôme de l’opéra fut un flop au box-office et Terence Fisher remercié (mais pardonné deux ans plus tard !). C’est ballot parce que cette version réadaptée du roman de Leroux ne mérite pas le mépris dont elle fut à sa sortie la victime. Les décors, la lumière et l’antre du Fantôme sont d’une beauté à tomber et les choix stylistiques de la mise en scène originaux et osés. Cette version Hammer, en forme d’enquête policière, a malheureusement le cul entre deux chaises. Pourquoi ? La faute au budget conséquent qui a convaincu la production que le film devait s’adresser en priorité au grand public. Faut bien rentabiliser ma bonne dame ! Alors même si les méchants travaillent du ciboulot (les monstres de la Hammer possèdent tous cette unique caractéristique d’être cinglés !), il manque ce supplément d’âme, la fameuse patte de la firme, qu’on appelle « l’horreur ». Le Fantôme de l’Opéra made in Hammer ressemble aux films de genre d’aujourd’hui qui ne veulent froisser personne. Malgré tout, le plaisir reste intact. Magie du cinéma.

Tous les films sont disponibles en combo DVD/blu-ray et dans un méga coffret chez Elephant Films.