Top 5 des plans-séquences

 

Top 5 des plans-séquences au cinémaUn plan-séquence, c’est quoi ? Un film est composé de nombreux plans qui, assemblés les uns aux autres, forment des séquences, ou « scènes ». Le montage constituant le moyen de les raccorder entre eux. Actuellement, la mode est d’ailleurs à la multiplication des plans, pour accentuer l’impression de vitesse, de rythme, et pallier souvent un scénario médiocre. Le plan-séquence, au contraire, prend le contre-pied du montage. Exit la juxtaposition de plans, le réalisateur décide de filmer une séquence complète en une seule prise, sans raccords. Souvent, l’objectif est esthétique – changement de rythme, beauté des images, etc. -, mais la démarche est souvent plus profonde : les cinéastes utilisent le plan-séquence pour provoquer un sentiment particulier, quasi inconscient, chez le spectateur. Malaise, joie, angoisse, exaltation… Le climat d’un film découle de l’utilisation de la caméra, et les meilleurs plans-séquences traduisent toujours la volonté d’un cinéaste.

Pour ce top 5, sont sciemment laissés de côté les « faux » plans-séquences (celui du début de Snake Eyes de Brian De Palma par exemple, en réalité plusieurs plans raccordés sur fond noir), les plans-séquences retouchés (le magnifique passage dans l’anse de cafetière de Panic Room a été fait sur ordinateur), et même certains plans-séquences pourtant fameux, tels ceux de La Corde d’Alfred Hitchcock, parce que trop empruntés au théâtre. Trêve de bavardages, place à la sélection !

 

Breaking News de Johnnie To (2004)

La première décennie du XXIe siècle aura été pour Johnnie To celle de la réussite internationale. Déjà responsable d’un bon paquet de films à l’aube de l’an 2000, To commence le nouveau siècle avec Fulltime Killer puis le génial PTU et son inoubliable gimmick, aussi périmé qu’entêtant. Puis il réalise en 2004 le film qui va véritablement le révéler au public occidental, Breaking News. L’histoire de la poursuite entre un gangster et une inspectrice tenace, suivie de très près par une chaîne de télévision, est l’occasion pour Johnnie To d’exercer son talent singulier : Breaking News est un pur film d’action, mais pas que… Le cinéaste y interroge la place des médias et leur instrumentalisation outrancière. Pour mieux conquérir le spectateur, To soigne sa séquence d’ouverture comme jamais. Dans un plan-séquence long de presque huit minutes, on assiste à une fusillade entre la police et cinq malfrats qui tentent de s’échapper d’un immeuble. Le procédé, en empêchant toute utilisation massive d’effets spéciaux, provoque un étrange sentiment : si la fusillade est rendue hyperréaliste, la caméra virevoltante qui s’élève dans le ciel pour redescendre lécher le bitume donne une impression de poésie et de lenteur extatique assez troublante. A l’image des autres œuvres du cinéaste, Breaking News oscille d’ailleurs entre le reflet brut et grotesque de la réalité et une stylisation poussée, comme ce sera notamment le cas par la suite dans le diptyque Election ou dans le faux western Exilés

 

La Soif du mal d’Orson Welles (1958)

Avec Alfred Hitchcock, Orson Welles est probablement l’un des cinéastes les plus étudiés au monde. Welles a créé une grammaire cinématographique avec Citizen Kane ; avec La Soif du mal, il offre non seulement une démonstration technique, mais en plus nous montre comment mettre celle-ci au service du récit. Le film raconte la bataille entre un flic local pourri de Los Robles, Hank Quinlan (interprété par Orson Welles), et un policier mexicain irréprochable, Ramon Miguel Vargas (impressionnant Charlton Heston). L’intrigue s’ouvre sur l’explosion d’une voiture, savamment orchestrée par Welles. Il choisit de ne pas cacher que le véhicule va exploser, mais fait culminer la tension à l’aide d’un superbe plan-séquence qui suit le trajet de la voiture dans la ville de Los Robles : un travelling sur grue survole les bâtiments, annonçant déjà la virtuosité de La Soif du mal sur un mode crépusculaire. Orson Welles parvient à surprendre en situant l’action là où ne l’attend plus, cultivant, à partir de cette séquence d’ouverture et tout au long du film, un sentiment de malaise insaisissable. Du grand art, tout du long.

 

Profession : reporter de Michelangelo Antonioni (1975)

Quand David Locke (Jack Nicholson), reporter blasé en mission en Afrique, prend conscience de la médiocrité de son existence et du regard indifférent dont il est l’objet, et trouve son voisin de chambre d’hôtel sans vie, étendu sur son lit, il décide d’endosser son identité et de se faire ainsi passer pour mort. Locke devient Robertson, et pour mieux matérialiser la transformation, décide de se rendre aux rendez-vous prévus dans l’agenda du défunt.
A l’inverse d’Orson Welles qui ouvre La Soif du mal sur un majestueux plan-séquence, Antonioni débute Profession : reporter sur une succession de plans lents et déshumanisés soulignant la vie cloisonnée et solitaire de David Locke. Puis, à cette sensation écrasante succède la fuite avec, en perspective, la recherche de la liberté et d’une identité définitive ; paradoxalement, Locke/Robertson ne va atteindre cette liberté qu’à la toute fin du film, en trouvant la mort. Pour souligner la tranquillité retrouvée, Antonioni met en scène cette séquence finale de sept minutes en une prise : la caméra n’enferme plus le personnage mais se fait plus légère, plus libre. Elle flotte entre l’intérieur et l’extérieur, traversant sans ciller les barreaux d’une fenêtre pour symboliser la liberté reconquise. Le drame qui se déroule dans la pièce est systématiquement hors champ, le metteur en scène lui préférant le mouvement du dehors, élargissant l’horizon, insistant sur la sérénité retrouvée. Le final de Profession : reporter constitue ainsi l’un des plus remarquables plans-séquences qui soient, tout en beauté et en intelligence.

 

Old Boy, de Park Chan-wook (2003)

Voici un plan-séquence qui magnifie un film. Le point de départ d’Old Boy est incroyable, la conclusion hallucinante, et au milieu, cette scène de baston interminable et épuisante filmée en une prise qui transcende le tout. Park Chan-wook tourne la scène de profil pour obtenir un plan le plus large possible afin de multiplier la quantité d’assaillants. On pense à ces fresques guerrières du Moyen Age qui immortalisaient les batailles, montrant chaque camp rejoindre l’autre dans un choc fracassant. Ici, aucun moyen de tricher : pas de montage pour accentuer a posteriori la puissance des coups ou masquer les cascades ; chaque attaque est hyperréaliste car approximative, lourde et bestiale. Rares sont les combats de rue au cinéma à avoir été filmés avec autant de maîtrise et de rythme. Porté par les critiques, le film a d’ailleurs connu un succès international et a permis de découvrir en France l’immense travail d’un cinéaste coréen génial.

 

L’Arche russe d’Alexandre Sokourov (2002)

S’il est un plan-séquence à retenir dans l’histoire du plan-séquence, c’est celui-ci : L’Arche russe, film de 96 minutes, tourné en une seule prise. Sa réussite aurait davantage relevé du théâtre s’il s’était agi d’un plan fixe, voire d’un huis clos, et que seul le jeu des comédiens importait, mais Alexandre Sokourov opte pour un mouvement permanent et une esthétique soignée. L’Arche russe est une odyssée à travers trois cents ans d’histoire à l’intérieur du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, gardien de cet héritage. Une véritable prouesse technique : la fermeture du musée ayant été obtenue pour la seule date du 23 décembre 2001, il s’agissait de ne pas commettre d’impair. Pas d’erreur de texte ni de caméra possible. Pas de pause pour l’opérateur qui porte à bout de bras la caméra. Une caméra numérique certes, mais quand même. Pas de possibilité de désembuer l’objectif lors des plans extérieurs à -24 degrés. C’est finalement la quatrième prise de la journée qui aura été la bonne, malgré une petite cuillère qui heurte le sol au milieu du tournage. Mais au-delà de la technicité, L’Arche russe est un magnifique instant de poésie, qui saisit « dans un souffle » l’histoire de la Russie. On y croise ses figures artistiques et politiques, ses rois et ses reines ; les guerres y sont une pièce sombre et poussiéreuse, les bals, un souvenir mélancolique du faste de la Grande Russie…

 
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