Souvenirs de toiles de Roland Jourdain

 

Roland JourdainNappe de brouillard à fleur d’eau, goélands aux cris pointus et mélancoliques, port de pêche en bord de ville close, Concarneau offre aux yeux des visiteurs un décor digne de Quai des brumes. Cap sur la Bretagne sud, Grand Écart jette ses amarres sur les rivages de l’océan Atlantique. But de la manœuvre ? Plonger dans les limbes de la mémoire cinématographique d’un marin au long cours, Roland Jourdain. Un aventurier écolo et sensible dont le parcours cinéphile se nourrit de son goût de la nature, des grands espaces et de ses engagements humanistes. Parcours de toile en toile de celui que tout le monde appelle Bilou et qui se définit comme un spectateur « très bon public ». Autour d’une lotte parfaitement cuisinée, Bilou évoque ses premiers émois de spectateur et son rapport au cinéma.
 
Un sac de billes, le goût du premier baiser…

Un sac de billes est le premier film dont j’ai gardé un souvenir très précis. Curieusement, ce que j’en retiens c’est le baiser entre le garçon et sa copine. Je dois avoir 11 ans et je me souviens que cette scène m’ouvre des perspectives nouvelles. Le lendemain, je pars à la chasse avec mon père et je ne suis absolument pas concentré. Je suis obnubilé par ce baiser et je bascule alors de l’enfance à l’adolescence. J’ai lu le roman très longtemps après.

Avant les billes, il y a la mère et Bambi, et puis le père avec John Wayne et la conquête de l’Ouest…

Oui, avant ce baiser et ce nouveau monde qui s’offre à moi, il y a Bambi que j’ai vu avec ma sœur Annie dans ces cinémas d’époque où l’ambiance rappelle Cinéma Paradiso : l’Odet Palace avec ses fauteuils rouges. Et, puis, tous ces films vus à la télé en famille et qui sont essentiellement des westerns extraordinaires avec des traversées de paysages fantastiques, des héros des années 1960-1970. John Wayne évidemment, et aussi Yul Brynner, Lee Van Cleef, Charles Bronson, Steve McQueen que j’avais en poster dans ma chambre. Chaque mois, j’achetais le mensuel Lucky Luke dans lequel je retrouvais avec impatience un de ces cow-boys de légende.

Des cow-boys à Jacques Perrin, des vastes plaines à Océans

Une baleine dans le film Océans de Jacques PerrinDes grands plateaux américains au fin fond de l’océan, attention le grand écart s’annonce… Comment passe–t-on de l’un à l’autre ? Je ne sais pas précisément. Je ne conseille pas les films sur la mer a priori car ils sont souvent inconsistants, à l’exception du Crabe-tambour. D’ailleurs, je réalise que Jacques Perrin joue dans ce film. Et c’est encore lui qui me fait rêver lorsque je regarde son film Océans sorti en 2009, un film magnifique et techniquement remarquable. Jacques Perrin a réussi à rentrer, à révéler cet univers marin. Un autre film récent à visionner absolument s’intitule Under the Pole. Ce documentaire sous-marin est le récit d’une expédition française réalisée au dessous du pôle Nord. Passionnant.

Avant de plonger dans l’univers marin, un peu de glisse sur la vague…

Je plonge rarement sous la ligne d’eau mais, effectivement, je surfe régulièrement. C’est un de mes souvenirs de cinéma partagés avec mes copains de l’école de voile du Cap Coz : tous ces films sur le surf, les sports de glisse qui arrivent des Etats-Unis sur les côtes bretonnes dès 1975 avec le mythique Robby Naish. Cette période de formation à l’école de voile marque aussi une ouverture au monde, mes premiers pas de jeune homme engagé.

Des pierres contre des fusils à Midnight Express, l’engagement enraciné…

Dans mon cercle familial, je ne vis pas dans un environnement contestataire. Et puis, à la fin des années 1970, à l’école de voile, je viens d’avoir 16 ans et le Finistère se rebelle contre l’installation d’une centrale nucléaire à Plogoff. La contestation est très forte et sera immortalisée par le documentaire Des pierres contre des fusils. Ce film est toujours montré et reste d’actualité : la lutte populaire contre des choix imposés. Quasiment, à cette même époque, je crois : le coup de bambou avec Midnight Express, symbole de la répression militaire. Ces deux moments de cinéma ont nourri, à jamais, mon rejet de toute forme de répression et ma sensibilité écologique.

Le cinéma devient alors une expérience initiatique…

Oui, c’est une façon d’approcher des mondes dont on ignore tout. C’est aussi et surtout un loisir que je partage notamment avec mes fils Théo et Félix.

De la gouaille d’Audiard à l’adaptation de Tolkien, des films à vivre en famille…

Lino Ventura et Bernard Blier dans Les Tontons flingueursQuand je vais au cinéma avec mes fils, c’est avant tout pour le plaisir de partager un bon moment. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus cinéphiles que moi mais je leur ai fait découvrir les films d’Audiard et notamment les incontournables Tontons flingueurs. Ensemble, nous avons aimé des films épiques comme Le Seigneur des anneaux. Dernièrement, je les ai invités à découvrir Au nom de la rose, film historique d’une rare qualité.

De Tolkien aux forêts tanzaniennes, toujours ce goût des grands espaces…

Mes choix ne se font pas exclusivement sur le sujet des films. J’y vais aussi pour certains acteurs et actrices à l’affiche. Ainsi, l’actrice pour laquelle je cours dans une salle de cinéma est la magnifique Sigourney Weaver avec un intérêt particulier pour Des gorilles dans la brume car le destin de Dian Fossey me fascine comme son rapport à la nature et aux animaux. Plus près de nous, j’aime Karin Viard, Daniel Auteuil et Jean Dujardin. Ces acteurs savent tout jouer et je trouve qu’ils se ratent rarement sur les choix de films. Je les suis en toute confiance même s’ils ne plongent pas du haut d’une falaise ou ne traversent pas le vaste monde. Si je me souviens bien, Jean Dujardin a incarné Lucky Luke…

En mer, Les Tontons flingueurs ne sont jamais loin…

Mon copain Guy me prépare toujours une sélection de films très large quand je pars en course : il n’oublie jamais Audiard. Car s’il ne devait en rester qu’un, ce serait sans conteste Les Tontons flingueurs pour la pomme, Lulu la Nantaise, la ventilation façon puzzle et les bourre-pifs de Ventura.

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