Rencontre avec César Augusto Acevedo

 

Le vieil homme et la terre

La Tierra y la sombra, de César Augusto AcevedoUn film lent et profond où l’ombre et la lumière dessinent gracieusement le contour des êtres. La trame est réduite à sa plus simple expression : un grand-père retourne à sa ferme après une absence de plusieurs années, pour y retrouver une épouse acariâtre, un fils alité et une bru épuisée de travail. A sa manière mesurée, cet abuelo entreprend de rétablir un équilibre viable au sein de ce microcosme.

Deux univers qui se répondent. L’intérieur de la maison, couleur sépia, où se noient les visages et se retiennent les mots. Et l’extérieur, large, écrasé de lumière, où le seul repère est un grand arbre signalant la fin du monde connu avant l’infinité des champs de canne à sucre. Les dialogues sont brefs et modestes, entre considérations du quotidien, tensions latentes et touches de poésie. Cette simplicité fait son chemin en profondeur pour créer une atmosphère intense qui fait la réussite du film.

Trois questions au réalisateur colombien César Augusto Acevedo, qui signe ici son premier long-métrage. Il a le crâne rasé, les yeux verts et la voix grave pour faire chanter un castillan solennel et musical.

Votre film paraît très simple, mais on sent un grand travail de composition de l’image. Quelles ont été vos règles de construction ?

Mon objectif était de montrer l’espace émotionnel au-delà de l’espace physique. Je voulais réussir à connecter mes personnages entre eux sans que les mots soient nécessaires. C’est pour cela que j’ai créé un intérieur confiné, dans lequel ils évoluent avec un malaise qu’ils finissent par être obligés de confronter. Les plans-séquences fixes, souvent délimités par les murs de la maison, permettent de rendre palpable leur enfermement. A mesure que les relations se réparent, la caméra devient plus libre. A l’inverse, l’extérieur est filmé en plans larges et souples. Cet espace leur apporte la lumière et la liberté nécessaire à nourrir cette démarche de confrontation et d’apaisement ; les scènes de réparation se passent souvent dehors, à l’ombre de l’arbre. Cette ombre devient positive en leur permettant de se rassembler, alors que l’obscurité de la maison les divise.

L’acteur qui joue le rôle du grand-père participe beaucoup à la puissance de la narration, au-delà de la force des images. Qui est-il, d’où vient-il ?

La Tierra y la sombra, de César Augusto AcevedoC’est l’homme qui nous servait le café pendant le casting. Il avait une façon de se déplacer qui nous a beaucoup plu. Il a d’abord refusé de nous écouter, mais il s’est livré petit à petit et nous avons découvert une personne très simple et sincère. Il a eu une préparation de quelques semaines avec une professionnelle avant de commencer le tournage.

Le film aborde aussi le problème de la pauvreté des coupeurs de canne. Vouliez-vous faire un film politique ?

Je voulais montrer que l’illusion du progrès représenté par ces grandes exploitations sucrières a pu mettre en péril l’histoire, la mémoire et l’identité d’un peuple. La région où j’ai grandi, qui est celle où j’ai tourné le film (vallée de Cauca, en Colombie), connaît des problèmes sociaux importants liés à l’industrie sucrière : paysage défigurés, épuisement des sols, pauvreté des petits paysans, maladie, etc. Ma priorité a été de montrer l’appartenance de ces paysans à une terre et l’importance de leur résistance.

 
La Tierra y la sombra de César Augusto Acevedo, avec Haimer Leal, Hilda Ruiz, José Felipe Cárdenas… Colombie, 2015. Prix Révélations France 4 et prix SACD de la 54e Semaine de la critique.

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