Rencontre avec Patrice Leconte

 

Patrice LecontePatrice Leconte fait partie de nos réalisateurs les plus prolifiques et prolixes. Pour Grand Écart, alors qu’il vient de sortir son dernier long, Une promesse, et s’attaque déjà à son prochain tournage avec Christian Clavier, il revient sans concession sur sa carrière et les grands (et petits) films qui la jalonnent, entre succès d’estime et cartons au box office.

 
Vous avez commencé à réaliser des films très jeune. D’où vous vient un tel appétit de cinéma et quand avez-vous su que vous en feriez votre métier ?

J’ai toujours voulu faire un métier qui me permette de m’exprimer. Mon père aimait beaucoup le cinéma, c’était son loisir favori. Il m’y emmenait souvent, ainsi que dans les ciné-clubs. Et surtout, il y avait à Tours un Festival du Court-Métrage très important, que nous suivions assidûment. Voir ces courts-métrages m’a donné la certitude que faire des films n’était pas un rêve impossible.

Dans l’un de vos tout premiers courts-métrages, Tout à la plume, rien au pinceau (and my name is Marcel Gotlib), vous aviez pris contact avec Gotlib et lui avez fait joué un de ses propres rôles. Pourquoi ce choix, et que gardez-vous comme souvenir de cette collaboration, qui s’est d’ailleurs ensuite poursuivie ?

Je connaissais Gotlib à l’époque où moi-même je faisais de la bande dessinée pour le journal Pilote, entre 1970 et 1975. Nous nous entendions bien. Un jour, un producteur est venu me trouver pour me proposer de tourner le pilote d’une série de films consacrée à tous les grands de la BD. J’ai donc écrit et tourné ce court-métrage, qui a dû pas mal vieillir, depuis le temps… Mais la série qui devait suivre n’a jamais vu le jour.

Pour votre premier long, Les vécés étaient fermés de l’intérieur, vous aviez un sacré casting (Rochefort, Coluche…). Qu’est-ce qui les a convaincus de jouer dans cette comédie pour le moins décalée ?

Les vécés étaient fermés de l'intérieur, de Patrice LeconteJe connaissais Coluche, à l’époque où il n’était connu que des fans des cafés-théâtres. Nous avions écrit le film pour lui. Il adorait le scénario, mais je n’arrivais pas à monter le projet, car Coluche n’était pas assez connu. Et puis, il est devenu une grosse vedette de music-hall et tout le monde, pour “voler au secours du succès” se l’arrachait. Mais il a tenu parole et il a dit : « Il y a un type qui est venu me trouver quand je n’étais pas connu, et c’est donc son film que je vais faire. » Du jour au lendemain, j’ai contacté la Gaumont et l’affaire était bouclée.

Avec Les Bronzés 1 et 2, vous êtes devenu un des maîtres de la comédie. Comment avez-vous rencontré la bande du Splendid et qu’est-ce qui vous a poussé à adapter la pièce originale Amour, coquillages et crustacés ?

J’étais très fan des spectacles du Splendid. Ils avaient aimé mon premier film et nous étions devenus copains. Un jour, un producteur, Yves Rousset Rouard, leur a proposé de tourner l’adaptation d’Amour, coquillages et crustacés. Ils lui ont dit : « D’accord, mais on va tourner le film avec Patrice Leconte. » D’une certaine manière, ils m’ont imposé sur le projet, ce qui n’est pas vraiment passé comme une lettre à la Poste, car Les vécés… n’avait pas été un succès. Mais ils ont tenu bon. Je leur dois beaucoup.

Pour Viens chez moi, j’habite chez une copine, Ma femme s’appelle Reviens et Circulez, y a rien à voir, vous entamez une collaboration avec Michel Blanc. Qu’est-ce qui vous a séduit chez lui ?

C’est avec Michel que je me sentais le plus de connivence, d’affinités. Et lui avait envie de faire des films en dehors du groupe. Alors, nous nous sommes “évadés” ensemble, pour écrire ces films.

Nous sommes au début des années 1980 et vous êtes désormais un réalisateur qui rencontre le succès public. Que ressent-on à ce moment-là ? Avez-vous alors eu envie d’aborder d’autres genres de cinéma ou pensiez-vous poursuivre sur cette voie ?

J’étais heureux, serein, lucide. Et la comédie me convenait très bien. A l’époque je n’envisageais pas de faire autre chose…

Mais avec Les Spécialistes qui est plus dans l’action, avec un casting d’acteurs chevronnés, aviez-vous l’impression de vous mettre en danger ?

Les Spécialistes, de Patrice LeconteC’est précisément Les Spécialistes qui m’a donné la vraie chance de faire autre chose que des comédies. Et c’est aussi avec ce film que j’ai pris du plaisir à “tourner des films que je ne suis pas sûr de savoir faire”. Rien n’est plus motivant. La routine est assommante et très dangereuse.

Tandem apporte plus d’émotion et de drame dans votre cinéma et cela ne vous a plus quitté. Ressentiez-vous un tournant dans votre carrière à ce moment précis ?

Oui est non. Le vrai tournant a été Les Spécialistes, dont le très grand succès m’a donné le culot de tourner Tandem.

Le Mari de la coiffeuse fait partie des films culte pour votre public. Est-il également dans votre panthéon personnel ?

Je n’ai pas de panthéon personnel, ça n’est pas à moi d’aimer les films que je fais. Mais il est vrai que Le Mari de la coiffeuse fait partie des six ou sept films dont je suis le plus fier. Et il est inouï qu’il ait plu à ce point au public, car c’est un film très fragile, quand on y pense. Comme quoi, il n’y a pas de règles, dans ce métier.

Dans nombre de vos films, vos personnages fonctionnent en duo ou en trio et dissertent de la vie, de l’amour, sur fond de road movie. On pense notamment à Tango ou Voir la mer. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre d’histoires qui sont des huis clos, mais dans de grands espaces ?

En fait, il n’y a aucune vraie constante dans ce que je fais. C’est vrai que les films que vous citez sont aérés, se passent sur les routes et sont loin de Paris. J’aime beaucoup ces univers-là. Mais M. Hire, Le Mari de la coiffeuse, Confidences trop intimes sont des films très intimistes, en huis clos. Vous voyez, il n’y a décidément aucune règle…

Vous avez adapté de nombreux auteurs, comme avec Le Parfum d’Yvonne ou récemment Une promesse. Qu’est-ce qui vous plaît dans l’exercice de l’adaptation ?

Si j’adapte un livre, c’est parce qu’il me plaît, parce que je l’aime et que j’y vois la possibilité de faire un film qui, malgré cette adaptation, va être aussi un film personnel. Je ne peux pas adapter un livre dans lequel je ne me retrouve pas.

Vous avez remporté votre premier César en tant que réalisateur avec Ridicule. Qu’est-ce que cette récompense a changé pour vous ?

Ridicule, de Patrice LeconteMême si je n’ai jamais fait de films pour obtenir une récompense – car ce qui m’importe c’est que les salles soient pleines et que les spectateurs aiment le film -, recevoir un César a été une chose extrêmement agréable et gratifiante. J’en ai été très heureux, joyeux, serein. Mais ça ne m’a pas changé.

En parallèle de Ridicule, vous sortez une de vos plus brillantes comédies, Les Grands Ducs. Qu’éprouve-t-on quand on réunit autour de sa caméra ce trio magique de comédiens que sont Marielle, Poiret et Rochefort ?

Les Grands Ducs a été tourné dans un état d’extrême jubilation. Je connaissais ces trois acteurs, j’avais déjà travaillé avec chacun d’entre eux, mais les réunir dans un même film, cela a été comme un rêve éveillé. Surtout dans ce film-là, hirsute, décalé, enlevé.

Avec Une chance sur deux et La Fille sur le pont, vous faites le pari Vanessa Paradis. Qu’est-ce qui vous séduisait chez elle ?

L’attirance que l’on peut avoir pour des acteurs ne se raisonne pas. C’est comme ça. Est-ce que l’on peut expliquer, rationnellement, pourquoi on est amoureux dans la vie ? Bien sûr que non. Eh bien, pour Vanessa, c’est pareil, elle a un côté “fée Clochette” qui m’enchante.

Avec La Veuve de Saint-Pierre, vous abordez le drame historique, puis vos films suivants deviennent plus acides ou mélancoliques…

J’ai le goût du drame, comme celui de la comédie. Nous ne sommes pas monochromes. La comédie est parfois dénigrée, méprisée, snobée par les critiques, mais rarement par le public et c’est bien ça le plus important.

Justement, avec Les Bronzés 3, vous signez votre meilleur score au box office. Pourtant les critiques ont été assez acerbes. Qu’est-ce qui, selon vous, a généré à la fois autant de spectateurs, mais aussi autant de mécontentement ?

Les Bronzés 3, de Patrice LeconteSi ce film, qui a ses défauts dont j’ai pris conscience avec le recul, avait dû déplaire et décevoir à ce point, jamais il n’aurait fait dix millions de spectateurs. Je me suis forcé à aller en salle, même si je n’aime pas trop ça. C’était un samedi après-midi, à Montparnasse, le cinéma était bondé et les gens riaient du début à la fin. Des vagues de rires incroyables. Alors, que le film soit raté, moi, je veux bien…

Vos films sont d’ailleurs autant encensés que critiqués. Lisez-vous ce qui vous concerne ? Est-ce que cela vous atteint ?

Je ne lis plus jamais les critiques, depuis de nombreuses années. Parce que lire un bon article est agréable mais éphémère, alors que lire une mauvaise critique me casse en mille morceaux et, hélas, durablement. A quoi bon se faire du mal ?

Au milieu des années 2000, vous aviez parlé de votre envie d’arrêter le cinéma, mais vous continuez de tourner régulièrement. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

J’ai régulièrement envie de m’arrêter. Ca correspond à des coups de fatigue, des déceptions. Et puis, un beau projet m’est proposé et je me rends compte qu’il serait stupide de le refuser, j’aime trop le cinéma pour ça. La seule chose sûre, c’est que plus jamais je n’évoquerai cette envie de m’arrêter. Je le ferai un jour ou l’autre, mais je n’en parlerai plus.

Vos deux derniers films sont de véritables paris : un film d’animation et un film en costumes entièrement tourné en anglais avec un casting international. Un besoin de vous mettre en danger ?

On en revient à ce que je vous disais précédemment : entreprendre des choses que je ne suis pas sûr de savoir faire.

Si vous ne deviez garder qu’un seul film de tout ce que vous avez réalisé, lequel serait-ce ?

Dogora, de Patrice LeconteQuestion impossible. Mais s’il faut vraiment répondre, je choisis Dogora, parce que personne, ou presque, ne l’a vu et que, pour des raisons personnelles, humaines et sentimentales, j’y suis très attaché.

Avez-vous déjà regretté d’avoir tourné un film ?

Oui : Circulez, y a rien à voir. C’était la comédie de trop que j’aurais aussi bien fait de ne pas tourner.

Vous allez bientôt débuter un nouveau film. Quel en sera le sujet ?

Je commence le 17 juillet l’adaptation de la pièce de Florian Zeller Une heure de tranquillité, qu’avait jouée Fabrice Luchini la saison dernière et que nous tournerons avec Christian Clavier, que je suis très heureux de retrouver !

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