Rencontre avec Valérie Donzelli

 

Main dans la main de Valérie DonzelliEn deux courts-métrages (Il fait beau dans la plus belle ville du monde, Madeleine et le facteur) et trois longs (La Reine des pommes, La guerre est déclarée, Main dans la main), la comédienne Valérie Donzelli se sera imposée comme l’une des scénaristes-réalisatrices les plus singulières de sa génération. Son cinéma lorgne vers la fantaisie, se souvient de François Truffaut comme de Jacques Demy, et déroule son fil intime de l’enfance vers le monde adulte et ses ombres portées, sans jamais perdre foi dans les pouvoirs enchanteurs du cinéma.

 
Entretenez-vous un rapport particulier au conte ?

En fait, je crois que, bizarrement, si j’aime le conte, c’est parce qu’on ne m’en a pas raconté assez. Je n’ai pas le souvenir de ma mère qui me racontait des histoires le soir. C’est donc presque quelque chose de réparateur pour moi. J’en raconte chaque soir à mes enfants, des contes, des histoires diverses, que ce soit celles des Barbapapa ou de Tintin. Quand j’étais petite, je m’amusais à faire des émissions de radio : je m’enregistrais, je faisais tout, l’intervieweur, l’interviewée, les publicités, les chansons… J’écoutais beaucoup la radio, je m’endormais avec, j’écoutais des disques, des histoires enregistrées. C’est certainement pour cela que dans mes films, il y a toujours un narrateur. Je pense aussi que le narrateur est la partie consciente de moi-même qui ramène toujours au réel, à l’histoire, au sens du film. Je n’arrive pas à écrire sans ce narrateur.

Le conte offre aussi un mouvement de bascule qui permet de plonger dans un imaginaire et de s’autoriser une certaine liberté…

Oui. Mais c’est presque malgré moi. Je ne me dis pas que je vais faire un conte pour pouvoir m’autoriser certaines choses. Mon imaginaire ne se débloque jamais sur des choses concrètes. La musique, par exemple, développe mon imaginaire et peut m’amener vers une histoire, une situation. Là, j’ai eu cette envie de deux personnages collés de façon arbitraire et le scénario a découlé de cette idée. Je me souviens qu’au moment de l’écriture, avec Gilles Marchand et Jérémie Elkaïm, les moments où devait intervenir le narrateur s’imposaient à moi. Gilles Marchand, qui est quelqu’un de très carré, me suggérait des ellipses, mais c’était plus fort que moi : il me fallait ce narrateur pour raconter cette histoire.

La voix du narrateur apporte aussi une tonalité, une douceur…

Main dans la main de Valérie DonzelliOui, je trouve qu’elle a quelque chose de paisible. Elle permet d’accélérer le temps ou de le ralentir. Elle permet aussi d’apporter une distance. Elle est le liant de la sauce. Sans elle, on serait un peu perdu. Ce que je fais n’est pas très réaliste et pour qu’on puisse s’y incarner, elle est nécessaire. C’est le propre du conte. Les éléments y ont une portée philosophique, quelque chose d’universel. Il faut donc incarner tout cela pour y croire.

Est-ce aussi la raison pour laquelle vous filmez beaucoup vos personnages dans ce qu’ils ont de plus physique, c’est-à-dire dans leurs mouvements ?

C’est vrai que mes trois films sont des films sur une course, plus ou moins rapide. Il y a toujours quelque chose de l’ordre de la renaissance et du deuil, du mouvement vital. Dans La Reine des pommes, Adèle se fait larguer et entreprend un parcours pour se reconstituer. Dans La guerre est déclarée, c’est une course contre la montre. Et là, c’est pareil avec une problématique inversée. Dans La guerre est déclarée, elle est concrète : il s’agit de la maladie d’un enfant. Là, elle est abstraite : ce qui advient n’existe pas, mais donne un sens à la vie des personnages.

Et pourtant, au cœur de cette abstraction, on retrouve votre rapport organique aux choses. Dans le son, par exemple, et notamment celui des décors. Les parquets de l’opéra, les portes de l’appartement bourgeois d’Hélène, les chambres de la maison de campagne : les décors ont une présence…

Main dans la main de Valérie DonzelliEn fait, Main dans la main s’est fait dans l’urgence. Nous n’avions pas anticipé le succès de La guerre est déclarée et nous pensions avoir plus de temps pour faire la préparation de Main dans la main. Or il y avait de gros décors et beaucoup de contingences avec les plannings des uns et des autres. Nous avons donc décidé de tourner le film en trois temps : Commercy [dans la Meuse, ndlr], New York, puis Paris. Quand j’ai vu le film monté, je me suis dit qu’au scénario, je n’avais pas pensé ce film d’un point de vue sonore, contrairement à La guerre est déclarée – les chansons m’avaient inspirée, je connaissais par cœur les bruits de l’hôpital, je savais que le son serait brut. Main dans la main était plus abstrait pour moi. Je ne savais pas comment ça allait se passer avec Valérie Lemercier, le personnage que je jouais ne donnait pas sa note au film, j’étais donc dans l’expectative. Au fur et à mesure, j’ai commencé à comprendre quel serait le son du film, entre l’Opéra, si vaste qu’on y entend un milliard de sons qui résonnent, et Commercy, où l’on entend les oies. A Paris, tout était bruyant. J’ai donc compris au tournage à quel point les décors allaient être incarnés d’un point de vue sonore. Et quand on a travaillé sur le son au montage, j’ai dit au monteur: « Il faut que ce soit intime et que tu incarnes le mieux possible les décors pour qu’on puisse sentir la poêle qui frit, le parquet ciré de l’opéra, le côté ouaté de la berline. » Je voulais qu’on puisse reconnaître les décors par le son.

Comment avez-vous envisagé le mariage des voix ?

C’est la première fois que je fais intervenir des voix off qui expriment la pensée des personnages. Je trouvais intéressant que l’étonnement lié à ce sortilège passe par le narrateur et les voix off. Quant aux voix elles-mêmes, je trouve que celle de Jérémie est très rassurante. Béatrice de Staël a une voix drôle, avec une façon unique de saccader les mots. Je voulais que Valérie ne parle pas fort et qu’on sente comme une gorge un peu serrée. Quant à mon personnage, Véro, qui est décomplexé, je l’ai joué dans l’emphase.

 
Main dans la main de et avec Valérie Donzelli, avec aussi Valérie Lemercier, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël… France, 2012. Sortie le 19 décembre 2012.