Rencontre avec David Lowery

 

Les Amants du Texas, de David LoweryAvec sa moustache et ses taches de rousseur sur le crâne, David Lowery semble lui-même sorti tout droit d’un film des frères Coen. La filiation n’est pas évidente, tant la cavale des Amants du Texas, présenté à la Semaine de la critique du 66e Festival de Cannes, n’a rien du loufoque de O’Brother ni de la violence de No Country for Old Men. Pourtant, il y a cette lumière du sud des Etats-Unis, chaude et écrasante. Et un personnage annexe un brin moralisateur qui observe l’action du coin de l’œil. Mais surtout, David Lowery a un point de vue, une manière de raconter son histoire qui étonne. C’est avec une infinie douceur qu’il raconte un braquage qui tourne mal, une fusillade, puis, quelques années plus tard, l’évasion. Parce qu’il choisit le biais d’une histoire d’amour. Alors il filme les regards. Les détails. L’attente. Il filme à la fois l’espoir et la crainte de la tragédie annoncée. Et signe une grande cavale romantique.

 
Pourquoi avoir choisi de faire un film d’évasion qui ne ressemble en rien à un film d’évasion ?

Mon film précédent était un film sans action et sans dialogues sur des enfants qui vivent dans une maison abandonnée. Donc, je cherchais quelque chose de très différent, et l’idée du film d’action s’est imposée. Et, pour moi, la meilleure façon de démarrer un film d’action, c’est par une évasion. Il fallait que je trouve une très bonne idée pour la manière dont il s’évade. Comme je n’arrivais pas à trouver ce qui fonctionnait le mieux, j’ai mis la séquence de côté en pensant y revenir plus tard. Finalement, le scénario fonctionnait très bien comme ça, et je ne suis jamais revenu à la scène de l’évasion. Et ça a influencé tout le film. En tant que spectateur, je trouve souvent que les passages les plus intéressants sont entre les répliques. J’aime voir les gens écouter. Et c’est une idée qui marchait aussi pour les films d’action. J’ai voulu éviter de montrer ce qu’on voit habituellement, pour m’intéresser à l’avant et à l’après. Et tout ce film parle de l’onde de choc, de quelque chose qui s’est passé mais qu’on ne voit jamais. Et c’est ce qui m’intéresse : les gens confrontés aux conséquences mais sans qu’on en voit l’origine. J’aime les entre-deux.

Vous parlez des conséquences, mais dans votre film, la notion de vengeance par exemple est totalement absente…

Oui, c’était important pour moi de ne pas faire non plus un film de vengeance. Même si j’aime les films de Tarantino ! Mais personnellement, je trouve que c’est difficile de haïr quelqu’un. Le bien et le mal, ça peut être dans le gris. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Et je voulais que le personnage du shérif soit presque un complice. Qu’il démontre que faire le bon choix, ce n’est pas forcément ce qui est bien aux yeux de la loi, mais ce qui est bien d’un point de vue humain. Et la solution de facilité pour ce film, c’était que le personnage du shérif, Ben Foster, soit dans la revanche. Mais je voulais un personnage qui représente la générosité, et la bonté. Et il sait ce que traverse Ruth, et il sait que peut-être ses sentiments ne seront pas réciproques, et qu’il y a quelque chose de plus grand qu’eux. Et c’est à ça qu’il aspire.

La lumière dans Les Amants du Texas a un rôle primordial, comment l’avez-vous travaillée ?

Bradford Young, mon chef-opérateur, et moi avons passé beaucoup de temps, en amont du tournage, à mettre au point cette lumière, à savoir à quoi le film ressemblerait. Notre approche était de ne rien utiliser de nouveau, seulement des vieilles lumières. Celle du soleil, mais jamais directement, toujours filtrée, contrôlée au maximum. Quand on tournait en intérieur, on utilisait toujours des vieilles lampes. On voulait que tout le film ait cette couleur, qu’il n’ait pas l’air moderne. On a tourné le film sur pellicule, et on l’a traitée pour que le film ait l’air le plus vieux possible. Avec le numérique aujourd’hui, tout est propre et carré. On voulait faire un film sale, avec une vraie texture.

On pense aux frères Coen, à O’Brother, mais aussi à No Country for Old Men. C’est une référence pour vous ?

Les Amants du Texas, de David LoweryJ’adore les frères Coen, je suis impatient de voir Inside Llewyn Davis. No Country for Old Men est une bonne référence parce que l’auteur du livre, Cormac McCarthy, est mon romancier favori, et ce film est dans la lignée des livres qu’il écrit. No Country for Old Men était un film incroyable, mais surtout le roman est un roman important. Le film comme le livre parlent de la violence dans sa dimension mythique. Et c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Les conséquences de la violence, mais aussi en quoi elle peut définir la vie de quelqu’un. Quand on parle des hors-la-loi, on en vient toujours à la violence. Elle définit ces personnages, il n’y a pas d’autre issue pour eux.

Les Amants du Texas est un film romantique au sens littéraire du terme. Et d’ailleurs, la littérature semble plus importante que le cinéma dans votre approche.

Oui, je n’ai pas fait d’école de cinéma, j’ai fait des études littéraires. Ca influence beaucoup la manière dont je raconte les histoires. Je voudrais que mes films ressemblent à des grands romans. Pour ce qui est du romantisme, j’aime cette forme classique, chevaleresque, qui remonte au XVe siècle. J’aime ce mot. J’aime comment le romantisme s’insère dans une narration, et comment il a évolué à travers les siècles. Aujourd’hui, on réduit ça à une simple histoire d’amour, mais celle des Amants du Texas est plus ancrée dans la tradition classique.

La nature, les paysages sont presque des personnages à part entière dans votre film. Le choix du Texas, de ces paysages et de cette lumière ont été déterminants ?

C’est en partie parce que c’est là que je vis, donc ça a une résonance personnelle. Quand j’écris, je regarde par la fenêtre, et voilà à quoi ça ressemble. J’aime les arbres, j’aime le ciel là-bas. C’est très unique. Et ça donne le genre d’histoires que je veux raconter. On revient à Cormac McCarthy. Ses histoires sont aussi ancrées dans l’espace. C’est quelque chose que je tire de ses romans.

La figure du hors-la-loi est importante dans la culture américaine. Il s’agissait pour vous, là aussi, de la reprendre mais d’une autre façon ?

Je voulais qu’on les voie autrement. Je voulais que les personnages soient très classiques, des archétypes. Mais qu’ils échouent dans leur volonté de se conformer à ces archétypes, de poursuivre leur propre légende. Parce que c’est en échouant qu’ils deviennent humains. Au début du film, on pense avoir affaire à des Bonnie & Clyde, quelque chose de très familier, et au fur et à mesure, chacun des personnages se défait de ces archétypes et apparaît en dessous. Et c’est notamment le cas de Bob. Il passe tout le film à vouloir se conformer à cette légende, et au final, c’est un échec. Ruth est une hors-la-loi qui devient mère, et ça change sa manière de voir les choses. Quant au shérif, il se met à suivre ce qu’il juge être bon plutôt que ce que la loi lui dicte. C’est l’idée qui a guidé tout le film. L’histoire n’est pas nouvelle, mais les personnages ont une telle approche qu’on a l’impression que c’est la première fois qu’on nous la raconte.

Pour le personnage de Ruth, vous avez fait le choix de Rooney Mara, que l’on connaît surtout pour son rôle de Lisbeth Salander dans Millénium. Ici, elle est débarrassée de tous ces artifices de coiffure et de maquillage, vous la filmez d’une manière beaucoup plus naturelle…

Je l’avais vue dans The Social Network, et Millénium venait de sortir. Ces deux rôles sont tellement différents que je me suis dit qu’elle devait faire partie de ces acteurs qui disparaissent derrière leur rôle. Et dans ce rôle, je voulais qu’elle puisse disparaître dans les décors, les paysages, et l’univers du film. Je ne voulais pas qu’on ait l’impression de voir une star au milieu du Texas. Et j’ai eu le sentiment qu’elle pourrait se fondre dans ce film. Ma première idée était de choisir quelqu’un qui n’avait jamais joué avant. Et quand son agent m’a parlé d’elle, je me disais qu’en sortant de Millénium, elle ne s’intéresserait pas du tout à ce petit projet. Mais elle l’a lu, puis elle a voulu me rencontrer. Et je l’ai trouvée tellement différente que dans ces deux films que j’ai été persuadé qu’elle pourrait disparaître dans le rôle de Ruth. Je l’ai rencontrée dans un café bondé, et personne ne l’a reconnue alors qu’elle était sur toutes les affiches. Ca m’a conforté. C’est une grosse travailleuse, c’est très agréable de tourner avec elle. Je n’avais jamais fait tourner d’acteurs qui avaient déjà joué. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Et travailler avec quelqu’un si préparé, c’était un vrai plaisir. Elle connaissait son personnage, elle savait quoi faire, elle se l’est vraiment approprié pour le rendre cent fois meilleur.

Pour une première, vous avez finalement un excellent casting…

Les Amants du Texas, de David LoweryJe suis très fier, oui. Je ne veux pas dire que c’est parce que le scénario était bon, mais disons qu’il l’était suffisamment pour intéresser ces acteurs ! Et puis il y a sûrement le fait que mon court-métrage était sélectionné à Sundance cette année-là, et il a été bien reçu. Ca leur a donné une idée de ce que je voulais faire, et leur a laissé penser qu’ils pouvaient me faire confiance. Mais aujourd’hui encore, je suis sous le choc d’avoir Casey Affleck, Ben Foster et Rooney Mara au casting, qui étaient mes premiers choix. Et tout le monde a dit oui.

 
Les Amants du Texas (Ain’t Them Bodies Saints) de David Lowery, avec Rooney Mara, Casey Affleck, Ben Foster… Etats-Unis, 2012. Présenté à la 52e Semaine de la critique du 66e Festival de Cannes. Sortie le 18 septembre 2013.

» Retrouvez tout notre dossier dédié au 66e Festival de Cannes