Après avoir débuté au cinéma sous l’aile protectrice de Juan Antonio Bayona, qui en avait fait son scénariste sur deux films majeurs (L’Orphelinat et The Impossible, Sergio G. Sanchez ouvre aujourd’hui la compétition de la 25e édition du Festival de Gérardmer avec Le Secret des Marrowbone, un premier film à la fois sombre et lumineux, torturé et brillant, qui lui appartient enfin totalement. Venu dans les Vosges pour défendre sa fable horrifique, le réalisateur espagnol revient sur son passage tardif derrière la caméra, nous parle de son film à l’aune du cinéma qu’il aime, de la littérature qui l’inspire et de sa passion pour la musique.
Ecrire avant de réaliser : c’était le chemin que vous vous étiez fixé ?
Pas vraiment. En ce qui me concerne, écrire fut un accident. Il faut remonter en 1996 pour comprendre. A cette époque, je viens de terminer mon école de cinéma et j’écris le scénario d’un film que je veux réaliser. Ce script est celui de L’Orphelinat. Mais, sans réseau, je décide de mettre en scène un court-métrage pour faire bouger les choses. A ma grande surprise, ce court (7337) marcha très fort dans les festivals où il remporta quelques prix. C’est là que Juan Antonio Bayona me repère et me charge de lui écrire le scénario d’un film de vampires (qui ne se fera d’ailleurs jamais). J’en profite alors pour lui faire lire L’Orphelinat, juste pour avoir son avis. Sans me le dire, il le fait lire à son producteur… Et vous connaissez la suite : Bayona réalise le film et obtient un très beau succès. Pour moi, L’Orphelinat marque ma première vraie expérience au cinéma et le début de dix ans de carrière de scénariste.
Votre expérience aux côtés de Juan A. Bayona a-t-elle été précieuse pour réaliser ce premier long-métrage, Le Secret des Marrowbone ?
A vrai dire, Bayona m’a déjà fait confiance comme réalisateur de seconde équipe. Il m’a aussi chargé de diriger les comédiens enfants sur The Impossible. C’est un grand technicien. J’ai beaucoup appris à ses côtés notamment l’exigence et le sens du détail. Sa façon de travailler est très particulière. Il dit toujours que le film doit rester vivant. Ce qui veut dire qu’il tourne le scénario deux fois : une fois dans sa version écrite puis une autre dans une version alternative qu’il faut improviser sur le tournage. Un work in progress très stressant pour le scénariste que j’étais mais un travail d’orfèvre très souvent payant au montage.
D’où vient l’histoire du Secret des Marrowbone ?
L’histoire de ce film est elle aussi le fruit du hasard. Il y a quelque temps, on m’avait proposé d’adapter un fait divers sur la maladie mentale et les personnalités multiples pour un acteur célèbre dont je tairais le nom. Ma façon de raconter l’histoire n’ayant pas plu, le projet en est donc resté là. En revanche, j’avais toujours le pitch dans un coin de ma tête. Un peu plus tard, j’en parle à ma productrice actuelle qui est immédiatement emballée. Elle me demande de lui fournir chaque jour trois pages de script. La méthode s’est avérée intéressante et finalement payante. Je savais où j’allais mais, pour la première fois, sans savoir exactement comment. J’ai eu l’impression très plaisante d’écrire un feuilleton à l’ancienne où je devais livrer un chapitre quotidien avec un début et une fin marquée si possible par un cliffhanger.
Comment qualifieriez-vous ce film ?
Pour moi, cette histoire est un acte de rébellion contre la réalité ! Mais c’est aussi une fable d’épouvante que je vois comme une petite symphonie avec ses mouvements. D’ailleurs, cette référence à la musique est pour moi essentielle. Car mon amour du cinéma est intimement lié à la musique. Quand j’étais enfant, il n’y avait pas de télévision chez moi. Pour m’évader, j’écoutais donc beaucoup de musique que je transformais inévitablement en images mentales. Je me faisais déjà mon cinéma ! Voilà pourquoi la musique est aussi fondamentale dans ma façon de raconter une histoire au cinéma. Il ne vous aura pas échappé que dans Le Secret des Marrowbone, il y en a beaucoup. Mais toujours de façon calculée. Quand elle est là, on est dans la fantaisie alors que le silence marque le retour à la réalité. J’ai aussi voulu des thèmes musicaux différents selon les situations narratives et le personnage que l’on suit. La bande originale compte 70 minutes de musique pour 90 de film. Le rapport peut paraître démesuré, pourtant chaque note a un sens.
Pourquoi avoir situé l’action du Secret des Marrowbone à la fin des années 1960 ? Précisément, en 1969, l’année où l’homme marche sur la Lune ?
Parce que cette période marque le passage vers un monde nouveau. De fait, elle colle très bien à l’action et à l’état d’esprit tourmenté de mes personnages. Cette histoire de perte d’innocence devait se tenir dans une période trouble et incertaine.
L’enfance est-elle le berceau de toutes les histoires qui font peur ?
Bien sûr. Au même titre que c’est aussi le moment où se développent la fantaisie et l’esprit créatif de chacun. Et puis, les histoires fantastiques ou horrifiques, les contes, les fables sont toutes des réponses aux énigmes de la vie. Notre imagination vient combler nos vides existentiels.
Pourquoi avoir choisi le cinéma de genre pour raconter l’histoire de la fratrie Marrowbone ?
Car ce type de cinéma me permet de créer une rupture avec le réel. Par les décors, l’attitude des personnages, l’ambiguïté des situations, l’histoire est tout de suite ancrée dans l’imaginaire. Ce film est un conte fantastique qui s’empoisonne lentement jusqu’à devenir une fable horrifique. Je suis persuadé qu’un conte avec des enfants pour qui tout va bien n’aurait aucun intérêt !
Existe-t-il un lien entre L’Orphelinat, The Impossible et Le Secret des Marrowbone ?
Certainement, celui d’un être qui cherche à rejoindre un refuge ou un lieu inatteignable.
Croyez-vous au surnaturel ?
Bien sûr que j’y crois car nous l’avons tous en nous. Et je crois aussi profondément que le cinéma est la meilleure définition de ce qu’est un fantôme. Pour Marrowbone, le surnaturel et la peur surgit des intervalles, de ce qu’on ne voit jamais à l’écran. Ma référence littéraire pour ça a été Le Tour d’écrou d’Henry James, où l’angoisse naît de ce qui n’est pas raconté.
Le Secret des Marrowbone est un film élégant et stylisé. C’est le cinéma que vous aimez ?
Totalement ! Faire un film avec mon portable, très peu pour moi ! J’aime le grand cinéma où tout compte : la musique, le son, les cadres, les décors, etc.
L’Espagne est une place forte mondiale du cinéma fantastique avec des mentors pour les nouveaux réalisateurs. Vous avec Bayona, d’autres avec de la Iglesia. Existerait-il des familles ?
Au risque de vous décevoir, pas vraiment. Vous devez savoir qu’en Espagne, le cinéma dont vous parlez est plutôt mal vu. Les médias nous considèrent comme des cinéastes mineurs alors que nous avons une certaine reconnaissance internationale. En Espagne, Le Secret des Marrowbone est considéré comme un film d’horreur de plus alors qu’en France vous y voyez un drame familial mâtiné d’épouvante.
Quels ont été vos sources d’inspiration pour Marrowbone ?
A chaque film, je me concocte une playlist censée en refléter la tonalité. Pour celui-ci, basé sur les changements d’humeur et l’altération de la réalité, j’alternais principalement Georges Delerue pour la finesse de ses compositions et Jerry Goldsmith pour sa singularité et son audace qui le fait passer en un éclair d’une partition atonale à une envolée mélodique. Au niveau littéraire, je me suis inspiré de deux classiques absolus du roman gothique comme Le Tour d’écrou dont j’ai déjà parlé et de Nous avons toujours habité le château de Shirley Jackson. Pour le cinéma, je me suis replongé dans Our Mother’s House [en VF : Chaque soir à neuf heures, 1967, ndlr] de Jack Clayton qui a le même point de départ narratif sur une fratrie orpheline, The Other [L’Autre, 1972, ndlr] de Robert Mulligan sur le dédoublement de personnalité et enfin toute l’œuvre majestueuse de David Lean. Avec mon chef opérateur, quand on cherchait comment tourner un plan, on se demandait toujours comment l’aurait fait David Lean.
Pour finir, quel est votre dernier coup de cœur de cinéma fantastique ?
Je dirais sans hésiter It Follows de David Robert Mitchell.
Le Secret des Marrowbone (El secreto de Marrowbone) de Sergio G. Sanchez, avec Anya Taylor-Joy, George MacKay, Mia Goth… Espagne, 2017. Sortie le 7 mars 2018. En compétition au Festival de Gérardmer 2018.