Rencontre avec Maryam Goormaghtigh

 

maryam-goormaghtighLe premier long-métrage Avant la fin de l’été de Maryam Goormaghtigh a ouvert en beauté la sélection Acid de la 70e édition du Festival de Cannes. Remplaçant une équipe de tournage à elle seule, la cinéaste a suivi sur les routes ses acteurs et amis pendant deux semaines et demie. Rencontre avec la réalisatrice touche-à-tout d’un film sur l’amitié et la séparation, dans lequel les protagonistes jouent leur propre rôle.

C’est l’histoire de trois trentenaires iraniens, Arash, Ashkan et Hossein, qui sillonnent la France en voiture, avant la fin de l’été et avant que l’un d’eux ne décide de rentrer définitivement en Iran. Ils croisent le chemin de Charlotte et Michèle, qui les accompagneront durant une partie du voyage.
 
Vous avez dit après la projection que vous trouviez réductrices les étiquettes de « fiction » ou de « documentaire » que l’on colle aux films. Pour vous, comment se situe Avant la fin de l’été ?

Je ne sais pas si c’est au milieu mais en tout cas je ne me suis pas posé la question pour savoir si ça allait faire un documentaire ou une fiction, parce qu’en réalité j’ai effectivement commencé à filmer ces trois personnes de manière plus documentaire… pour me documenter, en fait. Je filmais chacune de nos rencontres parce que je les trouvais passionnants, parce que j’avais envie d’en apprendre plus sur eux. J’ai fait beaucoup de « captations » les premières années. Et puis quand on a décidé de raconter une histoire à partir de cet événement dramatique qui est le départ d’Arash, il y a eu une envie de maîtriser davantage le récit, d’essayer d’amener le spectateur quelque part, d’organiser tout simplement le tournage pour que ça se passe mieux avec le peu de temps qui nous était imparti. Il y a effectivement quelque chose qui est peut-être de l’ordre de la fiction, mais je ne saurais pas dire où le film se situe vraiment. Je pense que c’est un film avant tout, et que c’est une très belle aventure.

Comment avez-vous procédé pour l’écriture du film ?

affiche-avant-la-fin-de-lete-maryam-goormaghtighJ’ai pensé certaines choses en amont. Il y avait certaines discussions que je voulais qu’on aborde, des thématiques importantes comme le service militaire, un rêve… Des choses comme ça qui m’avaient plu lors des discussions qu’on avait eues. Ou bien j’ai organisé le fait qu’on se retrouve à Noirétable le 15 août parce que je savais qu’il y avait un défilé avec des chars fleuris. J’ai organisé la rencontre avec les filles, sans écrire ce qui allait se passer, mais j’ai quand même organisé la rencontre. J’avais une carte de France avec les lieux où on allait s’arrêter et avec les sujets qu’on allait peut-être aborder à tel endroit. On a répété pas mal de fois certaines discussions. Parfois ce sont mes acteurs qui m’ont demandé d’allumer la caméra parce qu’ils avaient des choses à dire. Ashkan à un moment donné m’a dit « Ecoute, allume ta caméra, j’ai envie qu’on parle de ça » : et c’est là qu’on a eu une très belle discussion sous la tente où il demande à Arash ce qui pourrait le faire changer d’avis. Et il y a toute cette discussion autour de l’amour, ce qui lance un peu l’idée d’un voyage à sa recherche. On a beaucoup improvisé quand on a rencontré les filles aussi. Je me suis aussi laissé porter par eux, parfois je disais « Voilà, j’aimerais qu’on parle de ça » et eux, finalement, me proposaient autre chose.

Avec combien d’heures de rushs êtes-vous revenue du tournage ?

On avait soixante-dix heures de rushs. On en avait énormément et il y avait des choses très drôles, des choses beaucoup plus graves, et énormément de discussions. La monteuse a su révéler la nature des personnages, elle a vraiment réussi à voir dans les rushs ce qu’ils qu’étaient. On aurait pu faire un film extrêmement bavard, on aurait même pu faire plein de films différents. Par exemple, je me disais qu’une sieste entre copains où ça ronfle et ça rigole, ce n’est peut-être pas très passionnant en termes de narration, et elle, à travers ces séquences, elle voyait justement l’amitié, la tendresse et les vacances aussi. Pendant deux semaines et demie j’ai filmé tous les jours. J’étais avec eux partout, tout le temps, et je me couchais très tard parce qu’il fallait dérusher, puis le lendemain on repartait sur les routes.

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs après le tournage ?

Je leur ai montré certaines séquences pour les valider avec eux car je voulais savoir s’ils étaient d’accord avec des passages que je choisissais, mais j’avais envie qu’ils le découvrent avec un public pour la première fois. Je pense que c’est important. Mais ils savaient quand même à quoi s’attendre. Je n’avais peut-être pas très envie qu’ils mettent le nez dans le montage, j’ai l’impression c’est quelque chose de très intime. C’est la partie que je préfère. Avec la monteuse, on a passé trois mois ensemble dans notre petit salon de montage. Je ne voulais pas qu’il y ait trop d’interférences ou qu’on me donne trop d’avis pour préserver au mieux ce moment-là.

Pouvez-vous nous raconter quelque chose de totalement inattendu qui a été capté par la caméra et qu’on retrouve dans le film ?

film-avant-la-fin-de-lete-maryam-goormaghtighIl y a cette scène où Arash prend Charlotte sur ses épaules pour lui faire traverser la mer. Ça, je ne m’y attendais pas du tout et ce qui est merveilleux c’est que pour moi cette scène raconte comment ce personnage-là, qui au début est un peu déprimé, et qui se fait entraîner par ses copains, devient un héros. Tout à coup j’avais l’impression qu’on était en face d’un vrai héros, d’un vrai personnage de mythologie. Il y a une autre scène, où il danse avec les filles : on se dit que peut-être c’est un garçon en surpoids pour qui ce n’est pas forcément évident de rencontrer une femme, mais il est finalement très à l’aise quand il s’agit de danser. Il a une manière de danser qui est très belle et révèle toute sa « sexy attitude » ! Et puis il y a aussi la scène où les filles s’éloignent lorsque Charlotte est vexée. Mais est-elle vraiment énervée ou est-ce qu’elle joue pour la caméra ? Je me suis dit que ce n’était pas très correct de le faire, mais en tout cas elle avait le micro HF allumé, je l’ai enregistrée à ce moment-là, et c’est quelque chose dont je me suis servi pour raconter l’histoire.

Comment avez-vous fait pour gérer seule à la fois la mise en scène, l’image et le son ?

Avant, je travaillais à l’épaule avec des caméras très légères. Je me suis racheté une caméra pour ce projet, qui était peu ergonomique, assez lourde, et qui m’obligeait à travailler avec un monopode. Il y avait une sorte de stabilité qui était offerte par ce dispositif, ce qui était nouveau pour moi parce que d’habitude j’étais plutôt très agile, à l’affût des petites choses, et là il a fallu que je pose mes cadres. J’avais de la chance d’avoir des personnages plutôt tranquilles qui aiment bien s’installer. Arash se posait, les deux autres se mettaient automatiquement autour de lui parce que c’est comme ça qu’ils sont, et le cadre était là. Arash, c’est vraiment un personnage qui impose le cadre. J’ai pu tester le dispositif parce que je suis partie une première fois en voyage avec eux dans le sud de l’Italie, une année avant. Il y avait quand même un travail fait en amont pour me permettre d’être le plus opérationnel possible au moment du tournage. Au niveau du son j’ai eu plein de problèmes, on a dû refaire du doublage à certains moments. Forcément quand on part seule, il y a aussi beaucoup d’accidents.

Qu’est-il advenu des actrices Charlotte et Michèle ?

On est resté en contact. En ce moment elles font avec leur groupe de rock une résidence très prestigieuse à Manchester, donc leur groupe file vers une bonne carrière je crois. Elles n’ont pas encore vu le film en grand, elles ont vu le film en cours de montage. Et ce qui est très intéressant c’est que quand elles l’ont vu, elles m’ont dit que l’Arash qu’elles ont rencontré n’est pas du tout celui que je présentais dans mon film. Forcément il parle plus dans la première partie du film et quand il est avec les filles, il est plutôt réservé. Quand elles l’ont vu dans le film elles se sont dit que c’était vraiment le personnage principal. Il est là, il est magnifique et il est émouvant. C’était drôle de leur faire découvrir les personnages à travers le film autrement que comme elles les avaient vus pendant le tournage.

Sur le plan professionnel, que prévoyez-vous ensuite ?

En ce moment je suis en train de monter un webdoc d’Arte Creative. C’est une série en dix épisodes qui s’appelle Fashion Geek et qui sera diffusée en septembre 2017 durant la Fashion Week. Et j’aimerais faire une suite à ce film-là, avec ces trois mêmes personnages, peut-être en Iran, c’est quelque chose dont on est en train de parler, et avec davantage de moyens. Enfin toutes proportions gardées parce que j’aime beaucoup ce dispositif-là qui est très léger. J’irai peut-être davantage vers la fiction pour le prochain.

 
Avant la fin de l’été de Maryam Goormaghtigh. France, Suisse, 2017. Présenté à la sélection ACID du 70e Festival de Cannes.