Rencontre avec François Pirot

 

François Pirot, réalisateur de Mobile HomeFrançois Pirot était connu pour être le scénariste des premiers films de Joachim Lafosse, Nue propriété et Elève libre. Egalement réalisateur, il propose avec Mobile Home un premier long-métrage au charme naturel qui invite les spectateurs à un voyage statique, séduisant et inattendu.

Est-ce difficile de passer du scénario à sa réalisation ?

Pour moi, Mobile Home n’est pas la transformation d’un scénariste à un réalisateur. J’ai toujours fait les deux en parallèle [deux courts-métrages et un documentaire, ndlr]. Mais j’ai pris du temps pour écrire ce projet. Je l’ai fait par intermittence. J’avais l’idée depuis assez longtemps, en reprenant le thème de Retraite, mon premier court-métrage, en 2005. Mais j’étais trop proche de mes personnages et de leurs angoisses. Le temps de l’écriture m’a permis davantage de distance et d’ironie. C’est là que tout a commencé à prendre, que j’ai ajouté les passages humoristiques. La meilleure façon de traiter les personnages, c’est finalement de les regarder évoluer avec une distance amusée, surtout pour le personnage de Simon. Si on filme trop au premier degré, le film aurait pu être agaçant.

Ce qui surprend dans Mobile Home, c’est le naturel des dialogues et la justesse des situations, ce que l’on retrouvait déjà dans vos scénarios pour Joachim Lafosse. Quel est votre secret ?

C’est moi qui mets en place les dialogues. J’ai été comédien, alors je joue les dialogues, plus que je ne les écris. Je m’enregistre et je réécoute et c’est sans doute pour cela que ça sonne de manière naturelle. Je travaille d’abord à l’écoute, puis j’écris. Ce qui paraît spontané est en fait le fruit de plusieurs répétitions avec les comédiens. Je leur demande de prendre connaissance de l’enjeu de la scène et d’improviser. Je leur « pique » alors des choses. Ils ont pu s’approprier le texte et proposer des changements et c’est sans doute ce qui donne ce côté spontané. D’autant que le tournage était très court, nous avions à peine six semaines.

N’aviez-vous pas peur de frustrer les spectateurs avec un voyage annoncé qui ne se produit finalement pas ?

Effectivement, on lance un voyage qui ne se fait pas. Mais je pense que le risque de frustration est compensé par l’énergie des comédiens. Je voulais que le film soit composé de petites choses, avec des situations au caractère anodin. Les personnages sont le guide de l’histoire et il fallait pour ça qu’ils soient incarnés par une belle énergie.

Votre casting est d’ailleurs impeccable, avec deux comédiens, Arthur Dupont et Guillaume Gouix, qui sont également amis dans la vie. Etait-ce une chance ?

Guillaume Gouix et Arthur Dupont dans Mobile HomeC’était une bonne surprise, cela apporte un terreau relationnel qui apparaît tout de suite dans le film, alors que je les ai rencontrés séparément. Ils ont du plaisir à jouer ensemble et ça se voit. Au début, ils avaient peur de perdre leur spontanéité en répétant. Pour moi, ils étaient complices, mais pas comme leurs personnages devaient l’être. C’était Arthur et Guillaume et non Simon et Julien. Il y a donc eu tout un travail de composition, surtout pour Guillaume qui est ici dans un rôle plus inhibé, plus timide qu’il ne l’est dans la vie. Le rapport de force n’est pas le même que dans la réalité. Guillaume a été rassuré au final. Je savais qu’il pouvait le faire. Mais pour montrer qu’il n’était pas comme Julien, sitôt la journée de travail terminée, il se changeait très vite. Alors qu’Arthur restait en Simon. Julien est dans une problématique plus sensible, moins dans l’orgueil que Simon. Pour moi, l’un des enjeux était de parler du personnage de Simon sans le rendre agaçant, surtout que dans la vie, Arthur est attachant, très simple et très sociable.

Le camping-car est le troisième personnage du film. Mais ce qui semble vecteur de liberté tend à devenir une menace au fur et à mesure…

Oui, ce camping-car devient un poids. Au départ, il est promesse d’un fantasme de liberté et finalement, ils ne font pas ce choix de vie nomade. C’est un achat sur un coup de tête, ils ne parlent pas vraiment de ce qu’ils voudraient faire. Il est juste un projet de fuite, pour échapper au choix. Mais c’est une impasse. Il y a eu tout un casting pour trouver ce camping-car et depuis, il a été customisé pour faire la promo du film. Je voulais qu’il ait un certain style et qu’on puisse filmer à l’intérieur. Comme j’aime le paradoxe entre le foyer et la mobilité, ce camping-car représente ce que vivent Julien et Simon. Mais ils sont plus ancrés que prévu à ce qu’ils veulent quitter.

» Lire la critique de Mobile Home

Avez-vous vous-même déjà eu l’envie de tout quitter et de partir à l’aventure ?

J’ai eu cette tentation avec des amis. On avait peur de se lancer dans la vie active, mais les préparatifs traînaient. Un soir, on est partis très saouls, à 4 heures du matin, jusque dans le nord de la France et finalement, on a fait demi-tour. C’est le point de départ de la narration du film. L’écriture est une autobiographie par procuration. Ce fantasme collectif de partir à l’aventure cache un manque d’engagement, c’est le symptôme d’une envie de fuite. Mais Simon et Julien mettent à l’épreuve du réel ce fantasme, même s’ils ne vont pas bien loin. Grâce à ça, ils se positionneront mieux dans la vie. Je suis très content de la fin du film, car j’avais peur qu’il ne soit trop réactionnaire, que les personnages rentrent dans le rang. Le film raconte les limites de l’indécision : ils sont finalement obligés de faire des choix.

Le personnage de Simon est musicien. Etait-ce important qu’il ait ce rêve avorté de musique ?

Affiche de Mobile Home, de François PirotLa musique, c’est un deuil que j’ai eu à faire, car j’avais un groupe quand j’étais ado. Pour moi, il fallait que Simon ait ce rêve d’être une rock star. Il s’y raccroche de manière pathétique et hystérique. Il se rattache à ce rêve. Je voulais donc un comédien qui chante et qui joue de la guitare, pour montrer que Simon n’est pas dénué de talent. Simplement, il veut que ça aille vite, à mesure qu’il voit que ce voyage va être foireux.

 
Quels sont vos projets ?

J’ai en tête un nouveau scénario, avec plusieurs personnages principaux, mais ça reste encore très embryonnaire. Je sais qu’un des personnages voudra vivre en autarcie, dans une cabane dans les bois et que son père voit des ovnis. Je travaille aussi sur un documentaire sur un centre de demandeurs d’asile dans la forêt des Ardennes belges.

 
Mobile Home de François Pirot, avec Guillaume Gouix, Arthur Dupont, Jackie Berroyer, Jean-Paul Bonnaire, Claude Pelletier… Belgique, 2012. Sortie le 29 août 2012.