Rencontre avec Sacha Wolff

 

Ovalie en Océanie

Sacha WolffAvec Mercenaire, Sacha Wolff présente un premier long ambitieux. Il dresse le portrait tout en nuances d’un jeune Wallisien, Soane, qui vient en métropole pour jouer au rugby. Un chemin long et tortueux pour se faire respecter des autres et se trouver, entre deux matchs. Rencontre avec un réalisateur plein d’avenir dont on va beaucoup parler et qui ne va pas se faire que des amis !

Il y a peu de films sur le rugby, pourquoi ce choix de toile de fond de votre Mercenaire ?

C’est effectivement un sport peu exploité et qui offre des perspectives cinématographiques assez puissantes. J’ai toujours aimé les films de boxe quand j’étais plus jeune et je trouve que le rugby propose un peu les mêmes types d’enjeux physiques, mais avec une dimension de groupe, sociale, qu’il n’y a pas forcément dans la boxe qui est un sport individuel. Et puis, je suis assez costaud et ça me plaisait de filmer ce type de corps, surtout les avants qui sont ceux qu’on surnomme « les gros » dans le rugby et j’avais envie de m’intéresser à la manière dont ils sont cabossés par ce métier.

Pourquoi alors avoir choisi des athlètes issus de Nouvelle-Calédonie ?

Je ne sais pas si j’aurais pu faire un film ailleurs. Il se trouve que j’ai lu un article dans Le Monde qui parlait du quotidien des joueurs de rugby étrangers dans des petits clubs amateurs et j’ai commencé à faire des recherches, car je trouvais que c’était un sujet intéressant. C’est comme ça que j’ai rencontré Paki qui joue le rôle d’Abraham et qui est wallisien. J’avais de vagues souvenirs de géographie sur Wallis et Futuna, mais ça ne m’évoquait pas grand-chose. Je me suis alors dit que ce serait plus intéressant encore de parler d’un Français qui viendrait d’ailleurs et de traiter de la question de l’identité, dans le contexte du sport actuel. En termes de cinéma, l’Océanie est un endroit assez vierge. Par exemple, en Nouvelle-Calédonie où on a tourné deux semaines, on est seulement le troisième long-métrage à l’avoir pris pour décor et c’est un terrain à défricher absolument incroyable. Il y a là tout un terreau d’histoires, de paysages et de personnes. J’avais été marqué par le film L’Ame des guerriers que j’avais vu quand j’étais plus jeune et les gens de Nouméa s’y reconnaissent, même si le sujet est différent car il est situé à Auckland dans la communauté maorie. Plus j’ai passé du temps là-bas et plus ça m’a conforté dans l’idée que c’était là que je devais réaliser mon film.

On parle très peu de Wallis et Futuna et on demande au personnage de Soane s’il est français. Est-ce aussi un message politique que vous vouliez faire passer sur ces Français des antipodes qui ne sont pas assez représentés ?

Ce n’est pas vraiment un message, mais j’avais envie de traiter de cette question. Un jeune qui grandit dans un pays en étant persuadé qu’il est français, qu’est-ce que cela signifie pour lui en termes d’identité, de violence, d’étrangeté, en arrivant en métropole. Les Wallisiens sont plutôt loyalistes, ils ne sont pas indépendantistes, avec le sentiment d’être français. Et quand ils débarquent en métropole, c’est très compliqué pour eux que personne ne sache d’où ils viennent. On les aborde souvent en anglais dans la rue, car on pense que c’est des All Blacks ou des Samourans, il y a une sorte de flou. C’est Le Clézio qui disait que l’Océanie était un continent invisible. Quand on regarde une mappemonde, dans l’océan Pacifique, on ne voit rien. En France, on a un vrai problème pour traiter ce qui s’est passé pendant la colonisation et à affronter ce sujet. Et moi, ça m’intéressait d’aller dans ces zones qui sont un peu douloureuses et peu exploitées. La première fois que je suis allé en Nouvelle-Calédonie, je revenais d’Afrique du Sud et j’ai eu la sensation que c’était le même type d’histoire et de ségrégation qui avaient été mis en place et dont je n’avais jamais entendu parler.

Comment s’est déroulé le casting pour trouver le comédien qui allait incarner Soane ?

En plusieurs temps, car au départ, je pensais le trouver en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis. J’ai fait le tour des clubs à Nouméa où il y a énormément de Wallisiens. D’ailleurs, il y a plus de Wallisiens en Nouvelle-Calédonie qu’à Wallis ! Mais je n’ai pas déniché la perle rare. Quand je suis rentré en métropole, comme il y a beaucoup de ces jeunes qui partent intégrer des centres de formation, j’y ai rencontré Toki, qui était à Aurillac. Je lui ai fait passer des essais rapidement sur le parking derrière le stade, juste après un match et j’ai tout de suite senti qu’il avait un potentiel intéressant, qu’il était mon personnage. La chance que j’ai eue aussi, c’est qu’il était dans une période de convalescence, il jouait peu avec son équipe. Il était donc disponible, ce qui était parfait, car ma grande problématique était de trouver une compatibilité d’agenda entre le tournage et la vie professionnelle des comédiens qui sont de vrais joueurs de rugby dans la vie et qui ont des calendriers qu’il est difficile de faire bouger.

Pour un premier film, Toki Pilioko est incroyable de justesse…

Mercenaire, de Sacha WolffCe qui m’a séduit avec lui, c’est qu’il a une vraie photogénie, il dégage quelque chose de puissant à l’image et il était à l’âge parfait pour moi, avec un côté encore enfantin et presque un adulte en même temps. Et il était très désinhibé de la peur des regards des aînés ou de la communauté, car dans la culture wallisienne, les adolescents sont assez secrets. Toki était capable d’oublier sa timidité et d’intégrer tout ce que je lui demandais. Son histoire à lui est de toute manière différente de celle de son personnage, même s’il y a quelques similarités.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières pour faire ce film ?

Ce qui a été assez particulier, c’était de tourner en deux parties. La première en métropole, puis s’arrêter et reprendre une préparation pour la seconde, en Nouvelle-Calédonie. Les scènes de matchs étaient aussi compliquées à organiser, car les sportifs se refroidissaient et il y avait des risques pour eux de blessures. Mais au final, tout s’est globalement bien passé.

Le film présente assez peu de scènes de matchs…

Je ne voulais pas que les enjeux sportifs soient au centre du film. Je ne voulais pas faire un énième film sur une équipe qui doit gagner ou pas, ça ne m’intéressait pas de montrer ce qu’on voit déjà à la télé. Ce que je voulais, c’était proposer un autre point de vue sur le sport, de le présenter différemment. C’est le personnage de Soane qui m’intéresse, avec ses enjeux à lui, ce qu’il traverse, la violence qui grandit en lui et qui le fait devenir un mercenaire.

Parmi toute cette testostérone, il y a une femme…

Au tout début, je voulais m’intéresser à une équipe d’adolescents et ça m’a vite épuisé, je ne me sentais pas de le faire. Mais le personnage de Coralie existait déjà à ce moment-là et elle est restée dans le film, car je voulais raconter cette histoire d’amour mixte avec Soane et aborder les tensions qui pouvaient en résulter. Coralie est pour moi un pendant féminin de ce que peut être Soane et la rencontre avec Iliana Zabeth a été déterminante. Déjà parce qu’elle est comédienne et qu’elle a une capacité à jouer avec des non-professionnels, surtout des rugbymen ! Elle était extrêmement à l’aise et il y avait une belle entente physique avec Toki. Ca m’intéressait de montrer ce personnage de « fille de l’équipe », qu’elle soit enceinte, qu’elle ignore qui est le père et qu’il y ait malgré tout une histoire d’amour qui naisse. Et que Soane soit comme le bébé de Coralie : un enfant dont personne ne veut.

L’autre thème du film est le rapport au père. Vouliez-vous raconter une histoire sur le pardon, le passage à l’âge adulte, la renaissance ?

Un peu tout ça. J’avais besoin de me raccrocher à une histoire qui puisse être universelle et j’avais envie de traiter de cette question du conflit qui peut exister entre un père traditionaliste un peu perdu et son fils qui a envie d’être libre. Le film parle d’émancipation, d’insoumission. Le mouvement du film, c’est comment Toki arrive à gagner sa liberté, devient un insoumis et le rapport avec son père est décliné avec l’équipe, avec la France, avec tout ce qu’il a au-dessus de lui et qui le détermine.

Il y a tout de même un côté documentaire…

Oui, il y a une violence latente en Nouvelle-Calédonie dans les rapports familiaux. Mais c’est aussi une image fausse qu’on a en tant qu’Européen. Car la famille peut également être un socle où on peut se reposer. Par exemple, pour la séquence du pardon de Toki pour son père, c’est quelque chose que j’ai vraiment vu. J’avais été invité à un mariage où a éclaté une bagarre. Le fils s’était battu et le père l’avait chassé, car il s’était senti déshonoré. Ils ne se sont plus parlés pendant cinq jours et la famille a organisé une sorte de cérémonie où les deux se sont pardonnés l’un après l’autre. C’était un moment incroyable. Après, c’est sûr que ce sont des jeunes élevés à la dure pour certains d’entre eux. Et ce que je montre dans le film est en-deçà d’une certaine réalité.

N’avez-vous pas peur de montrer une image un peu particulière ? Vous y parlez de dopage, de filles qui passent d’un joueur à l’autre, d’alcool…

Mercenaire, de Sacha WolffJe pense que ce sont des choses qui font partie de l’univers des sportifs et on a tendance à idéaliser le sport en permanence, à héroïser les sportifs et ramener les valeurs prétendument positives du sport. Moi, ça ne m’intéresse pas. Je préfère parler des traitres que des héros. Je ne fais pas du Leni Riefenstahl ! Je trouvais ça plus intéressant d’aborder toute cette zone d’ombre du quotidien des sportifs. Pour le dopage, c’est présenté de manière absurde et grotesque pour le dédramatiser, car je ne suis pas là pour dire si c’est bien ou pas. Je pense que pour une histoire qui se passe bien dans le sport, il y en a des centaines qui sont plus dramatiques… Des gamins de Wallis qui viennent jouer au rugby en métropole, il n’y en a que trois qui percent pour 150 qui rentrent chez eux. J’ai plutôt envie de parler de ceux-là, pour qui c’est plus compliqué. Soane, ici, réussit quand même, mais en empruntant des chemins de traverse… Il réussit parce qu’il s’émancipe et devient le maître de ce qui lui arrive.

 
Mercenaire de Sacha Wolff, avec Toki Pilioko, Iliana Zabeth, Mikaele Tuugahala, Laurent Pakihivatu, Petelo Sealeu… France, 2016. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs.