Rencontre avec Shin Su-won

 

Portraits de femmes

Shin Su-wonDes films coréens exportés en France, on retient surtout des combats chorégraphiés, des policiers corrompus et une mafia toute-puissante. Une vision fantasmée de la Corée du Sud, et bien souvent masculine. Alors on ne boude pas notre plaisir devant ce Madonna qui nous plonge dans une société élitiste et gouvernée par l’argent. L’histoire de Hye-rim, aide-soignante chargée par le directeur de l’hôpital d’enquêter sur Mina, une femme dans le coma, dont le cœur léthargique est fortement convoité. Au fur et à mesure de son enquête, Hye-rim découvre le terrible passé de Mina. Shin Su-won est une réalisatrice pleine de talent, déjà saluée pour Pluto et Passerby #3, qui nous parle ici de ce film sobre, intense et social.

 
Violence, harcèlement, prostitution : vous peignez dans Madonna une situation très difficile pour les femmes en Corée…

La Corée a été très influencée par le confucianisme, qui plaçait l’homme et le pouvoir au centre de tout. Aujourd’hui, ça va mieux, mais il y a encore une discrimination économique très importante envers les femmes. Bien sûr, dans les familles riches il n’y a pas de problèmes, mais chez les autres, les femmes ont rarement un travail, et quand elles en trouvent un il s’agit d’un CDD. Ce sont des contrats précaires, avec des salaires très bas, c’est très compliqué pour les femmes de savoir où se situer dans la société. Avec Madonna, je voulais montrer cette difficulté, et j’ai choisi le métier d’aide-soignante parce qu’il est très mal considéré en Corée. Ce que je voulais, c’était traiter de deux laissées-pour-compte de la société.

Ces deux laissées-pour-compte sont le point de départ du film ?

Une de mes amies, aide-soignante dans un service VIP d’hôpital, m’a raconté cette histoire de patients parfois maintenus dans un état végétatif par les familles. Ca s’explique généralement parce que les enfants aiment leurs parents et ne veulent pas les laisser partir, mais dans certains cas mon amie avait l’impression que les enfants maintenaient en vie leur parent à cause de l’argent. Je ne sais pas dans quelle mesure cela est vrai, mais c’est comme ça que j’ai commencé à imaginer le personnage de Hye-rim, une aide-soignante de ce type de service. J’étais un peu coincée dans mon scénario, et m’est revenue en mémoire une fois où j’avais croisé une SDF dans un café, pour qui j’avais éprouvé de la sympathie, et aussi la peur d’être touchée un jour par cette situation. J’ai alors ajouté le personnage de Madonna et développé l’histoire de cette prostituée enceinte, donneuse d’organe potentielle d’un patient qui souhaiterait mourir.

L’écriture a été influencée par le documentaire que vous avez tourné, Dream of a Single Mom ?

Madonna, de Shin Su-wonOui, c’est en discutant avec les femmes rencontrées pendant le tournage que j’ai entendu parler d’une fille, enceinte, qui continuait de se prostituer. Ca a été un gros choc pour moi, c’est à ce moment-là que j’ai entièrement remanié mon scénario, qui est devenu beaucoup plus lourd et intense.

Il y a un autre film coréen sur le don d’organe présent à Cannes cette année, Coin Locker Girl. C’est un sujet fort en Corée ?

C’est un débat actuel. La greffe d’organes est réglementée en Corée. Si c’est quelqu’un de la famille proche qui donne un organe, c’est très rapide et légal. C’est pour ça que dans le film, le fils du président malade fait croire que Madonna est de sa famille. En Corée quand des gens attendent une greffe et ne rentrent pas dans le cadre précédent, s’ils sont très pressés ils se rendent en Chine… Mais actuellement, les autorités contrôlent de plus en plus ces mouvements, donc ça devient difficile. Quelle alternative ont-ils ? Evidemment, je n’ai jamais rencontré de personne liée à ce genre de trafic. Ce n’est pas basé sur des faits réels, mais c’est plausible. D’ailleurs, après le tournage de Madonna, il y a eu un fait divers terrible en Corée : on a retrouvé des personnes mortes sur lesquelles on avait prélevé des organes. J’ai l’impression que si on est vraiment riche, on peut passer outre la loi sur le don d’organe et faire ce type de chose…

L’argent est roi en Corée, alors ?

Il existe un mot, chaebol, pour désigner les conglomérats coréens. C’est un mot rentré dans le dictionnaire anglais, ce qui montre bien l’ampleur du problème. Il traduit l’hégémonie des grands groupes, qui va à l’encontre du capitalisme. Les conglomérats ont la mainmise sur le marché et se retrouvent dans toutes les filières. C’est une situation très grave parce que la richesse appartient à une minorité, qui a en plus des liens très intimes avec la politique. Le chaebol attaque le concept de libre concurrence et donne lieu à l’écroulement de la classe moyenne.

Madonna aurait-il pu être réalisé par un homme ? J’ai l’impression que les réalisateurs coréens sont davantage intéressés par la mafia que par les problèmes de société…

Madonna, de Shin Su-wonC’est vrai qu’actuellement, dans la plupart des films commerciaux coréens il y a toujours la mafia qui intervient. Personnellement, je n’ai rien contre la violence – d’ailleurs Pluto était un film violent – mais c’est quelque chose que je n’apprécie pas beaucoup. Pendant que je réalisais mon documentaire Dream of a Single Mom, j’ai demandé à quelqu’un de retoucher un peu le scénario de Madonna, puisque à ce moment-là je n’en étais pas très contente. Et cette personne a fait intervenir la mafia ! Ca n’allait pas du tout dans le sens que je voulais, c’était du déjà-vu et pas du tout mon style. Ca me semblait beaucoup plus intéressant d’exploiter le désir de quelqu’un à travers sa psychologie. Alors peut-être qu’un réalisateur aurait laissé cette partie, mais moi, je ne sais pas si c’est parce que je suis une femme ou non, ça ne me semblait pas adéquat.

Le titre du film fait référence à la chanteuse ou à la madone italienne ?

En Corée, si on dit « Madonna », on pense immédiatement à la chanteuse pop, très sexy. C’est mon producteur qui m’a parlé de la madone, la Vierge italienne. Je ne connaissais pas cette signification parce que les Coréens ne sont pas liés à la culture chrétienne occidentale, mais ça m’a semblé constituer une bonne référence, et ça m’a confortée dans l’idée d’utiliser ce nom dans le scénario.

 
Madonna de Shin Su-won, avec Seo Young-hee, Kwong So-hyun, Kim Young-min, Byun Yo-han… Corée, 2015. Présenté en sélection Un Certain Regard au 68e Festival de Cannes.

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