Rencontre avec Brie Larson

 

Brie Larson dans States of GraceBrie Larson est à l’affiche de States of Grace. Elle y incarne Grace, directrice trentenaire d’un foyer pour jeunes en difficulté, confrontée à ses propres démons autant qu’à ceux des autres. Un film touchant librement inspiré de la vie du réalisateur Destin Cretton, et une jeune actrice passionnée et talentueuse. Rencontre.

 
Comment en êtes-vous venue à travailler sur States Of Grace ?

Destin, le réalisateur, m’a envoyé le scénario, je l’ai lu et en suis tombée amoureuse. Je sentais que j’étais celle qui devait raconter cette histoire, et quand l’« appel » est si fort, parfois, il y a l’autre côté qui se manifeste : le doute que tout cela ne se fera peut-être pas. Pour exorciser ce doute, ma méthode, c’est d’apprendre le plus de choses possibles sur le sujet du film. Donc je me suis portée volontaire dans plusieurs foyers pour en connaître davantage avant de rencontrer Destin. Quand on en a finalement parlé ensemble, j’en savais assez pour discuter avec lui, pour lui exprimer mes sentiments à ce sujet. Et il s’est avéré qu’on avait des vues assez similaires sur le sujet et donc ça s’est fait assez naturellement.

Votre immersion dans ces foyers a–t-elle participé à faire évoluer le personnage de Grace par rapport à ce qu’il était dans le scénario que vous avez lu la première fois ?

Non. C’est quelque chose d’assez étonnant d’ailleurs, parce que beaucoup de gens me demandent maintenant si le personnage de Grace a été écrit pour moi ou si Destin et moi l’avons créé ensemble. Mais ce n’est pas le cas, c’est une de ces rencontres magiques. Destin avait écrit ce personnage très complexe, très réel et cela me parlait. Je ne sais pas si en lisant le script vous ressentiriez la même chose que moi. Mais pour moi c’était une évidence. Destin et moi ne nous connaissions pas, ce n’est que maintenant qu’on apprend vraiment à se connaître. Et pourtant, sur le tournage, on n’avait même pas besoin de se parler.

Avoir fait l’expérience de ces foyers, cela vous a-t-il mis une pression en tant qu’actrice ou au contraire cela vous a-t-il donné de la force ?

Il y avait de la pression « naturellement » parce que c’était la première fois que j’avais le rôle principal, parce que nous n’avions que vingt jours de tournage, parce que moi je voulais montrer de manière honnête ce que c’est d’être un meneur d’équipe, mais c’était assez proche de ce que vit Grace dans le film, donc c’est une pression que j’ai accueillie, dont je me suis nourrie. Dans ce genre de métier, je pense qu’on devient vite accro aux émotions, même la douleur devient quelque chose à explorer, cela vous donne de bons outils pour travailler.

Quelle était la part d’improvisation pendant le tournage ?

Brie Larson et John Gallagher Jr dans States of GraceTout était écrit. Mais Destin restait ouvert à l’improvisation, pourtant, ce qu’on a tous constaté, c’est qu’on n’avait pas besoin de s’éloigner du scénario. On faisait comme c’était écrit et puis après on voyait s’il manquait quelque chose. La seule scène qui a « posé problème », c’est lorsque Grace se confie pour la première fois sur son passé à Jaden. C’est la première fois que Destin et moi avons eu une conversation, parce qu’on sentait ça ne marchait pas comme c’était écrit. On en a discuté pendant un certain temps, à en devenir dingue, et puis on s’est dit, on va juste essayer, pour voir. Et la première prise fut la bonne. Finalement toute notre discussion n’avait pas lieu d’être. Il faut le sentir et se lancer. C’est trop abstrait d’en parler. On avait rendu tout beaucoup plus compliqué que ça ne l’était.

En fait, c’est moi qui complique tout quand je vous pose toute ces questions !

Oui, on théorise tout maintenant, mais à l’époque on ne se rendait pas vraiment compte de ce qu’on faisait. Ça fait sens aujourd’hui !

En parlant de tout compliquer : pensez-vous que Grace est une femme qui refuse de grandir ou une enfant qui s’accroche à son passé ?

J’aime les mythes, les allégories, les archétypes… Je pense que c’est très similaire tout ça, c’est un peu la Femme qui prend en charge quand l’Enfant ne peut plus suivre pour enfin se laisser aller. Il y a quelque chose de très métaphorique avec ces enfants, à chaque fois qu’elle veut les soigner, s’éloigner d’elle, ils sont comme un reflet d’elle : même rires, même douleurs, même rêves… Et je pense que ça fait partie du fait de grandir.

Le film traite des rapports humains, de gens qui essayent de se comprendre, d’entrer en contact. Comment avez-vous travaillé sur l’intimité ? Avez-vous tenté de créer un environnement propice à cela lors du tournage ?

States of Grace, de Destin CrettonDestin m’a beaucoup appris à ce sujet. Il travaillait énormément pour recréer un environnement propre à refléter l’esprit de la scène. Comme lors de la scène où on fait le débriefe avec tous les enfants. L’idée c’était que ce soit le plus naturel possible pour que cette atmosphère soit palpable pour tout le monde. Et il s’est avéré que la meilleure façon d’obtenir ça, c’était d’avoir le plus de membres possible de l’équipe technique dans la pièce avec nous. Le chef-opérateur avec sa caméra juste à côté, pareil pour le preneur de son, cette proximité a renforcé l’idée qu’on était ensemble, un groupe. En revanche lors des scènes intimistes avec Jaden, Destin a posé la caméra dans une autre pièce et utilisé une courte focale. On ne voyait personne, on avait l’impression d’être seuls, donc l’intimité venait d’elle-même. Et c’est rare, parce qu’en général, les réalisateurs cherchent à obtenir « le plan », et non à créer des conditions favorables à l’émergence de l’émotion.

Y a-t-il eu une scène plus difficile à jouer que les autres ?

La scène de rupture entre Grace et son ami nous a donné à tous du fil à retordre. J’ai mis un an avant de comprendre pourquoi j’ai eu du mal avec cette scène. A force de passer douze heures par jour à interpréter un personnage, c’est très intense et j’avais eu des journées difficiles auparavant, très éprouvantes. J’étais dans une mauvaise disposition, Grace n’allait pas se faire emmerder par qui que ce soit ! Donc je ne trouvais pas de connexion émotionnelle pour jouer cette scène avec John qui joue Mason, j’étais trop en colère, ça ne marchait pas. Mais je ne m’en rendais pas compte, j’étais prête à casser quelque chose ! Il a fallu qu’on tourne une autre scène pour que je me défoule et soit enfin prête, plus équilibrée.

 
States of Grace (Short Term 12) de Destin Cretton, avec Brie Larson, John Gallagher Jr., Kaitlyn Dever… Etats-Unis, 2013. Sortie le 23 avril 2014.