Rencontre avec Bill Plympton

 

Les Amants électriques, de Bill PlymptonBill Plympton est un personnage atypique dans l’animation américaine. Il défend un cinéma artisanal d’animation pour adultes, drôle, parfois violent, toujours plus ou moins sexuel. En tout cas plus qu’un Tim Burton. Quand on le rencontre, dans la cuisine de son fidèle distributeur français, on le trouve en short, heureux comme un gamin des premiers rayons du soleil printanier, impatient de faire découvrir son dernier film, Les Amants électriques, des dizaines de dessins originaux sous le bras pour montrer l’étendue de ses talents.

Les Amants électriques, comme tous les films de Bill Plympton, se distingue dès la première image. On y reconnaît le coup de crayon de l’auteur, son sens des perspectives parfois exagéré, sa poésie aussi, si particulière. Avec Bill Plympton, on navigue entre le cru et l’imaginaire avec une facilité déconcertante. Les personnages eux aussi oscillent entre leurs désirs primaires et leurs émotions. Ici, on suit la rencontre entre Jake et Ella, leur amour naissant, puis la jalousie et le désir de revanche.

 
C’est la première fois que votre personnage principal est une femme. En quoi est-ce différent pour vous ?

Je me suis inspiré de ce que j’ai vécu avec une femme, il y a quinze ans. C’était très romantique, très passionné. Quand ça a a commencé à aller mal, il y avait des moments où je voulais la tuer et d’autres où elle voulait me tuer. Mais on était toujours attirés l’un par l’autre. C’est cette dualité, entre amour et haine, qui m’a persuadé que ça devait être un film avec un personnage féminin. Son amour pour son mari. Elle l’aime tellement qu’elle est prête à le laisser coucher avec d’autres femmes, du moment qu’elle est là d’une certaine manière. Ce qu’elle veut, c’est être avec lui. Qu’importe ce qu’il fait. Elle semblait vraiment être au cœur de l’histoire. Et puis j’aime dessiner les femmes, plus que les hommes. Il y a des courbes, les visages, les cheveux… Il y a du mouvement. Et le type, Jake, c’est un peu un idiot, pas très sensible. Un genre de Marlon Brando, assez animal. Elle est plus sensible, plus futée que lui. J’aime dessiner les femmes, tout simplement !

C’est un film à la fois très romantique et assez déprimant sur les relations amoureuses…

Les Amants électriques, de Bill PlymptonIl y a beaucoup de rejet, de haine, de disputes. Mais c’est le lot d’une relation passionnelle. Il y a forcément ce genre de conflit. Mais ces batailles sont tellement folles qu’elle sont drôles. C’est comme ça que fonctionne le film, c’est presque un opéra. C’est pour ça que j’ai choisi cette musique. De grandes actions et émotions et des personnages passionnés. Comme un opéra comique. Le côté pessimiste, c’est que la romance parfaite comporte toujours ces disputes, ces batailles. C’est comme ça que sont les êtres humains, ils ne sont pas parfaits.

Vous vous êtes plus attaché à l’intrigue que pour vos précédents films…

On a beaucoup critiqué mes films parce que l’histoire n’était pas très bonne. Et je répondais que certains de mes films favoris n’ont pas d’histoire : les Marx Brothers, WC Fields… Dans ces comédies, c’est l’humour et les personnalités qui portent le film. Les comédies musicales n’ont pas non plus d’histoires très fortes. Donc c’est un reproche que je trouve injuste parce que ce n’est pas ce que je voulais faire. Je voulais faire rire les gens, les amuser. Mais ce film a une meilleure histoire. J’espère que ça montrera à ceux qui me critiquaient que je peux faire des histoires.

Le choix de ne pas avoir de dialogue, c’est une manière d’impliquer le spectateur, de lui laisser s’approprier le film?

Les Amants électriques, de Bill PlymptonIl y a trois raisons pour lesquelles il n’y a pas de dialogue. La première, c’est que ça prend beaucoup de temps d’écrire et de dessiner les mouvements des lèvres. Ensuite, c’est plus facile de distribuer le film à l’étranger. Et enfin, je trouve que le film est plus poétique. Raconter une histoire de manière visuelle, par les émotions, c’est unique. C’est parfois plus puissant qu’avec des mots. C’est la deuxième fois que je procède comme ça. C’était déjà le cas pour Des idiots et des anges, et si je fais un autre film, je pense que je le referai.

Des idiots et des anges a marqué un tournant pour vous ?

Oui, c’était un test. Je voulais voir si je pouvais écrire une histoire sans dialogue, si ça fonctionnait bien. Et je crois que c’est réussi.

Des idiots et des anges était aussi plus sombre, plus intime.

Avec ce film-ci, je voulais m’éloigner de l’humour. Même s’il y en a, et aussi du sexe et de la violence. Je voulais faire un film plus émotionnel, plus porté par les personnages. Et je retournerai peut-être à l’humour et à la violence débridée plus tard, mais je voulais essayer quelque chose de différent, des émotions plus profondes, plus de psychologie.

Votre signature, ce sont aussi des perspectives et des personnages exagérés, dans la tradition du cartoon…

Les Amants électriques, de Bill PlymptonJ’aime l’animation parce qu’on peut faire ce qu’on veut. Il n’y a pas de règles, pas de limites. J’aime en profiter, proposer des angles différents, des perspectives différentes, des focales différentes, comme une fish eye lense ou une longue focale. Ca rend le film divertissant à regarder et aussi divertissant à dessiner. Ca me donne du plaisir de tordre la réalité et d’utiliser d’autres perspectives. J’adore ça.

C’est pour ça que vous avez choisi le dessin ?

Je dessine depuis que j’ai deux ans, et quand j’ai vu les films de Disney, j’ai su immédiatement que c’est ce que je voulais faire. Ce n’est pas une question de liberté formelle, je dessine parce que j’adore dessiner.

On pense beaucoup à Tex Avery avec Les Amants électriques

Oui, Tex Avery a été une grande influence pour moi. Lui et Bob Clark. La plus grande après Disney. Il y a un hommage à Tex Avery d’ailleurs dans le film. Une scène de course-poursuite qui déborde des bandes du film pour atterrir dans la salle de cinéma dans laquelle se trouve, avec un peu de chance, le spectateur, puis rentre dans les bandes. C’est typiquement un gag de Tex Avery que j’ai étendu un peu en le faisant revenir de l’autre côté.

Ce qui est aussi spécifique dans vos films, c’est la texture des dessins, leur côté artisanal revendiqué.

Les Amants électriques, de Bill PlymptonJ’ai fait tous les dessins du film, il y en a à peu près 20 000. D’abord, c’est moins cher. Ca coûterait cent fois plus cher de faire un film par ordinateur qu’à la main. Et puis, j’aime le sentiment que procurent ces dessins faits à la main. Quand on regarde un Pixar ou un Dreamworks, ça se voit que tout a été fait par une machine : les cercles sont parfaits, les lignes sont droites. Dans Les Amants électriques, il y a plein d’erreurs, et j’aime les erreurs. C’est plus chaleureux. Et puis, les erreurs, ça peut ouvrir vers des découvertes.

Vous avez utilisé l’informatique et Photoshop pour la première fois. Qu’est-ce que ça change ?

Pour Des idiots et des anges, c’était à peu près la même technique. La seule différence, c’est que la couleur a été faite avec After Effects. Pour les aquarelles, ça ressemble à la technique que j’utilisais en illustration, avec de vraies aquarelles. C’était mon style, ma signature. Et ils ont trouvé un moyen de le faire par ordinateur, donc je suis tombé amoureux d’After Effects. Mais ça prenait beaucoup de temps, et de l’argent bien sûr. A la moitié du film, je me suis retrouvé à court d’argent. Il nous restait cinq mois de travail. On a donc décidé d’avoir recours à Kickstarter. On a demandé 75 000 dollars et au final on a eu 100 000 dollars, donc ça a très bien marché. Les types qui se sont chargés de la campagne Kickstarter ont été les premiers surpris du fait qu’on ait tellement de gens d’Europe. Parce que Kickstarter est surtout une plateforme utilisée par les Américains. Donc ça montrait l’étendue de mon public, partout dans le monde, j’ai adoré ça.

Quelle est votre place dans l’animation américaine ?

J’aime Pixar, Disney, j’aime Raiponce, Dragons,… Ils font des bons films, et je les soutiens. J’aime les regarder. Cependant, ce n’est pas le genre de films que je fais. D’abord, je ne peux pas concourir dans la même catégorie, je n’ai pas leur argent. Ils ont les meilleurs scénaristes du monde, les meilleurs artistes. Donc j’ai décidé de ne pas essayer de faire ce genre de films. Je voulais faire mes films à moi, qui seraient différents. Ils ne sont pas faits par ordinateur, et ils ne sont pas pour les enfants. Et c’est le problème pour les distributeurs américains. Je bataille toujours contre les stéréotypes sur ce que doit être l’animation. Et j’espère que ce film va aider. Tim Burton arrive très bien à faire des films qui ne sont pas par ordinateur. Mais les miens sont dessinés à la main et il y a du sexe. Tim Burton n’a jamais de sexe dans ses films – et il ne donne pas non plus dans la violence.

Voyez-vous un avenir à l’animation pour adultes ?

Les Amants électriques, de Bill PlymptonJ’espère. Je sais qu’en Europe il y en a un. Aux Etats-Unis, je pense qu’ils commencent à se réveiller et à réaliser qu’il y a un public. Je vois les films de Tarantino : en fait, ce sont des cartoons avec des acteurs. Donc si Tarantino a un public, je pense que j’ai un public.

Avez-vous cette impression qu’on ne considère pas l’animation comme du cinéma ?

Oui, ça m’embête vraiment parce que si on regarde le box-office américain, quatre des dix premiers films sont des films d’animation, et Gravity doit comporter 5 % d’animation. Ces films rapportent beaucoup d’argent mais Hollywood ne croit toujours pas à l’animation, et ne le comprend pas : où sont les stars ? Où est le directeur photo ? Où est le scripte ? Où est le maquillage ? Les costumes ? Ils ne savent pas gérer, ils ne savent pas comment le vendre. Donc il y a un préjugé contre l’animation, en particulier l’animation indépendante.

 
Les Amants électriques (Cheatin’) de Bill Plympton. Etats-Unis, 2013. Sortie le 23 avril 2014.