L’interview ratée de Dario Argento

 

Dario ArgentoRendez-vous à midi au salon de l’hôtel. Une place nous avait été réservée dans le point presse du jour. A notre tour, nous nous installons face à un homme au visage fané et à l’allure froissée, englouti par son élégante monture de mousse et d’étoffe. En préambule, nous lui dévoilons nos intentions et lui adressons quelques amabilités opportunes : « L’entretien sera court, léger et surtout ludique, nous éviterons les questions et les thèmes convenus. Souhaitez-vous faire l’interview en italien ? Vous préférez en français… Sans problème. »

 

TC in 0:00:00 ◘ REC

Plus que quelques jours avant le 21 décembre 2012. Cette apocalypse programmée est-elle l’œuvre de Dieu ou du diable ? Le visage de cire s’anime. L’œil droit s’allume, la babine se retrousse telle la musaraigne affamée… La voix s’échappe enfin, marmoréenne :

Mà… Non, non… Je ne crois pas à tout ça ! Puis, déjà agacé : Non, non… il ne se passera rien !

 
Rassurez-vous, nous n’y croyons pas non plus. C’est juste un jeu, une vue de l’esprit… Alors admettons que tout ça arrive, Armageddon, la fin du monde… Les cavaliers de l’Apocalypse viennent vous chercher, comment les accueillez-vous ? Le rictus de musaraigne disparaît. Place maintenant au regard de rapace qui n’aurait qu’une envie : nous dépecer. Bain de sang au programme !

J’ai dit non. Tout ça c’est n’importe quoi ! C’est bon pour la publicité et Internet. C’est pour faire de l’argent. Ça ne m’intéresse pas !

 
Alors, rendez-vous en enfer ou au paradis ?

… Non, non, j’ai dit qu’il n’y a pas ça…

 
Aïe, aïe, aïe ! Et le diable, vous l’avez déjà rencontré ?

Il n’existe pas. J’ai rencontré des gens mauvais, voilà…

 
En plein délire masochiste, on insiste. Mais si ça arrivait, qu’est-ce que vous feriez juste avant que sonnent les trompettes (de l’Apocalypse) ? Une chouette ! Mais oui, c’est une chouette ! Fixité du corps, rotation fluide et autonome de la cagoule… Et puis, c’est cruel, une chouette. Ça joue avec sa proie avant de l’abandonner dans la boue, les tripes à l’air…

Je ne ferais rien de spécial, comme dans Melancholia, j’attendrais…. Mais arrêtez avec ça, je vous ai dit que je crois pas à ça !

 
Ah oui, vous avez aimé Melancholia ? Là, on flaire l’ouverture…

Oui, c’est bien… Silence… et grand moment de solitude.

 
Abandonnons nos excentricités et revenons à du tradi, sans danger : sa vie, son œuvre, ses projets de « grand créateur » : Quels sont vos projets de cinéma ? La chouette ferme un œil…

Non, non, rien. J’ai fait Dracula 3D (quelle drôle d’idée, quand on y pense) et ça va comme ça… Silence.

 
Continuons et affirmons nos connaissances. Ça devrait l’intéresser : S’il y avait une quatrième « mère », dans quelle ville serait-elle ? Y aura-t-il une quatrième « mère » ? Noble référence à sa trilogie des « mères » : Suspiria (Fribourg), Inferno (New York), La terza madre (Rome).

Non, non, c’est fini ! Il n’y aura pas… Je ne sais pas… C’est fini… Ok, c’est bien… Merci… Au revoir ! D’un geste définitif, Dario Argento nous congédie. Puis, les yeux mi-clos, il se détourne de notre regard par une belle rotation de la cagoule. Replions-nous.

TC out 00:04:59 ■ STOP

(06:66 ç’aurait été parfait… Mais non, même pas.)

 
Voilà, Dario n’a pas voulu jouer avec nous. Pas de punchlines vachardes, zéro esprit aiguisé comme la machette de Jason… Dommage, on en était pourtant fan du Dario, sa vie, son œuvre, sa fille… Il aura suffi de cinq petites et poussives minutes pour que le pape de l’horreur baroque, le pervers pépère du giallo, l’expert en diablerie se transforme en chouette… empaillée. Quelle tristesse ! Le maestro est tombé de son piédestal, et on n’est pas près de remettre les DVD de Suspiria, des Frissons de l’angoisse ou d’Inferno dans le lecteur…

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