Rencontre avec Jeremy Saulnier

 

Nazi Punks Fuck Off

Green room, de Jeremy SaulnierCa casse du néonazi dans le nouveau film de Jeremy Saulnier. Une trachée déchiquetée, un avant-bras qui pendouille à moitié, un crâne qui explose, un autre planté… On n’a pas tout compté. Green Room succède à Blue Ruin. Un huis clos bordélique et violent succède à une course à la vengeance en plein air. Points communs ? La même liberté de jouer avec les genres et les registres, la même utilisation par touches du gore, les mêmes personnages transformés malgré eux en combattants, la même envie de coller à la réalité. Rencontre avec un ancien punk qui rend hommage aux années 1990 dans un film qui envoie du pâté, mais pas que…

Votre film aurait-il pu s’intituler Nazi Punks Fuck Off ?

Oui, ca aurait pu mais « fuck » dans le titre aurait limité l’exploitation commerciale du film…

Faut-il voir Green Room comme une réponse à la montée des mouvements extrémistes ?

Il y avait une forte présence de skinheads dans le mouvement punk quand j’en faisais partie dans les années 1990. A Washington, on les voyait traîner dans les rues. Il y avait des bastons, de la violence quotidienne. C’est un souvenir très fort pour moi et j’ai voulu revenir placer cela dans le film. D’autant plus quand on sait que depuis l’accession au pouvoir par Obama, il y a un retour des extrêmes, de la suprématie blanche. Notamment dans le nord-ouest, près de Portland où nous avons tourné le film. On y trouve plusieurs groupes néonazis davantage dans l’ombre que dans les années 1990, mais bien là.

L’objectif était de fracasser du néonazi ? Est-ce que ça vous a fait du bien ?

Les nazis sont des méchants faciles dans les films. Dans Green Room, il n’y a pas de discussion sur l’idéologie. Il s’agit davantage de montrer qu’il s’agit d’un système à la tête duquel il y a toujours quelqu’un qui dirige et qui a des motivations très claires. Motivations qui sont souvent économiques et non idéologiques. Mais tous ces soldats et mercenaires qui font le sale boulot croient en l’idéologie et commettent des crimes et des actes monstrueux au nom de cette dernière. Contre leur propre intérêt. Je voulais aussi analyser la façon dont le message se dissémine dans la population, alors qu’initialement cela ne sert qu’un individu. Je voulais humaniser ces nazillons, leur enlever leur idéologie, leur filiation et leur symbole. Les ramener à l’état de simples humains. Dans ce film, ne peuvent survivre que ceux qui redeviennent eux-mêmes : cela concerne aussi bien les néonazis que le groupe de musique punk ou que les pitbulls.

Les pitbulls ?

Oui, même les pitbulls. J’ai examiné leur nature profonde. On leur apprend à se battre et à être des monstres mais leur nature première, c’est d’être amicaux.

Vous avez une vision plutôt positive de l’humanité…

Je ne sais où commence et où finit le cycle de la haine, mais c’est réconfortant de penser que tout le monde a un bon noyau. Que tout le monde peut être aussi bon que mauvais, même si c’est difficile de désapprendre la haine.

Vous aimez vraiment réaliser des films barrés, non ?

Jeremy SaulnierVous devriez voir mon premier court-métrage. C’est une comédie mélancolique. Un film te définit jusqu’à ce que tu en fasses un autre. Je suis fan des films de genre parce qu’ayant une très belle femme et des filles adorables, je n’ai pas besoin de voir des films sur des Américains célibataires qui boivent de la bière dans leur appartement et ont des problèmes de cœur. J’ai besoin de plus. Je veux des grosses claques dans la figure. Je veux des frissons. Je veux une réponse physique. Je veux aller à l’extrême. Mais je veux aussi que ce soit humain et pas artificiel. C’est pour ça que mes films vont loin, mais toujours avec des personnages très humains auxquels le public peut s’identifier.

Connaissez-vous déjà la couleur de votre prochain film ?

Je ne sais pas. Ce sera très différent. Mais les films de genre sont définitivement la façon la plus facile de se faire connaître aux Etats-Unis. Pas besoin de grands acteurs. On peut juste avoir de la folie, du gore et de l’horreur. Et ça passe très bien.

Il y a beaucoup de gore, le film est très violent. Pourtant vous en usez avec parcimonie. Pourquoi ?

L’usage du gore est très stratégique dans la narration. Il faut qu’il y ait un élément émotionnel qui lui soit associé. Si je ne faisais que du gore sans histoire, ce serait possible de faire des plans de dix secondes sur des plaies béantes. Aujourd’hui, notre regard est habitué à la violence, on a tous vu des choses plus choquantes dans la vraie vie, des vidéos terribles dans les médias. Donc, mes films ne peuvent pas être juste gore. Je voulais que le public puisse partager toutes les souffrances du film, y compris celle des nazis. Il ne faut pas célébrer le gore. Il faut l’utiliser avec parcimonie et lui ajouter des émotions pour rendre le gore dix fois plus extrême en en montrant dix fois moins.

Vos personnages ne sont pas des combattants, ils le deviennent malgré eux…

Oui, c’est un thème que j’explore. J’en ai assez de regarder les bons vieux films d’action avec des héros experts en tout, intelligents, drôles, avec toujours un revolver caché quelque part. Je veux voir des gens qui sont un peu paresseux et intuitifs. Qui ne sont pas stupides, mais juste pas faits pour le combat. Sans expérience de la situation. Quand je vois des situations où les citoyens lambda doivent faire face à la violence, leur réaction me surprend toujours. C’est pas du tout comme dans les films. Même des policiers expérimentés qui arrivent sur une scène de crime pour arrêter une personne… Ils finissent parfois par en buter dix. J’essaie de traquer les petits détails qui n’iraient pas dans un film d’action, même si ça fait des détours dans l’histoire et que mes personnages prennent des chemins débiles. S’ils tentent de sortir et que, pas de chance, c’est verrouillé, ce n’est pas le film qui va leur donner une solution, ils n’ont qu’à se démerder.

Vouliez-vous offrir un futur aux punks dans ce film ?

C’est un film sur la nature flottante du punk. Qui est punk ? Qui ne l’est pas ? Il y a vingt ans, j’étais un punk. Je portais treillis, bottes, coupe de cheveux de folie. Désormais, je suis là avec une chemise de papa et les cheveux bien coiffés. Je peux plus jouer ce rôle-là. Il y a quelque chose de physique pour incarner un punk. Il faut écouter de la musique un peu merdique. C’est un spectacle, une expérience live. C’est fini pour moi, mais je serai toujours nostalgique de cette période de ma vie, de cette culture… Désormais, je mets toute cette énergie dans mes films de genre pour célébrer cette partie de ma vie. Je ne vais plus à des concerts et quand je le fais je me sens comme un imposteur. Je ne suis pas l’un des leurs même si je les respecte. Je suis content d’avoir archivé cette partie de ma vie dans ce film-là. C’est une partie importante de la vie, mais faut avancer.

Et si comme dans Green Room, je vous demande de sauver un groupe et un album avant de partir sur une île déserte ?

Black Sabbath, peut-être… Un album, c’est trop difficile. Celui qu’ils ont fait en hommage aux Talking Heads, Start Making Sense ? Pour trouver l’album, il faudrait que je vous rappelle dans un mois. Je suis un réalisateur, je ne prends pas de décision. En tout cas, ce film m’a donné envie de réécouter de la musique.

Et un seul film ?
Les films que j’ai le plus vus : Les Aventuriers de l’Arche perdue et No Country For Old Men. Oui, si je dois en garder un, c’est celui-ci.

 
Green Room de Jeremy Saulnier, avec Anton Yelchin, Imogen Poots, Patrick Stewart… Etats-Unis, 2015. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2015 et au 41e Festival de Deauville.

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