Rencontre avec Agathe Bonitzer

 

Agathe Bonitzer et Arthur Dupont dans Au bout du conteElle est la nouvelle coqueluche du cinéma français. Voix douce sur teint de porcelaine rehaussé d’une chevelure de feu, Agathe Bonitzer a su, en l’espace de quelques années, se faire un prénom. Un début de carrière exigeant et des rôles forts qui ne sont pas sans rappeler une certaine Isabelle Huppert au même âge. Ca tombe bien, elle est un des modèles d’Agathe qui roule sa bille actuellement sur de nombreux projets, avec une insatiable soif d’apprendre. Elle nous livre quelques secrets de tournage du dernier Jaoui-Bacri, Au bout du conte, qui vient de sortir en DVD…

Ces deux dernières années, vous enchaînez les rôles marquants au cinéma. Avez-vous le sentiment d’être affranchie de votre célèbre patronyme ?

Oui, relativement. Je sais depuis quelques films et certains rôles, que ce métier est exactement ce qui me correspond. Si mon nom a pu m’aider, je ne pense pas, en tout cas, qu’il m’ancre dans une case.

Quel a été l’élément déclencheur, selon vous ?

Dès que j’ai commencé à tourner pour d’autres réalisateurs que pour mes parents [Pascal Bonitzer et Sophie Fillières, ndlr]. Je pense par exemple au Mariage à trois de Jacques Doillon, à Une bouteille à la mer de Thierry Binisti ou à A moi seule de Frédéric Videau, des rôles que j’ai obtenus après avoir passé des castings ou lorsque le réalisateur songeait directement à moi.

Et comment cela s’est-il déroulé pour Au bout du conte ?

Au bout du conte, d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre BacriJe voulais travailler depuis longtemps avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Quand j’étais plus jeune, je vouais un culte à On connaît la chanson. Leurs films sont très dialogués, très écrits, très précis. Pour Au bout du conte, j’ai passé trois castings en quatre mois. Ce fut long et douloureux car j’avais une telle envie de jouer dans ce film ! Je n’ai eu le scénario qu’au bout de deux castings et chacun a eu lieu en présence d’Agnès Jaoui. J’ai aussi fait des essais avec Arthur Dupont et d’autres comédiens. J’apprécie beaucoup ce genre de casting, car on travaille vraiment. Que l’on soit pris ou non, c’est toujours très enrichissant.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement enthousiasmée dans ce film ?

J’étais vraiment très heureuse lorsque j’ai su que j’étais prise ! Tout, dans le rôle de Laura, m’a séduit. J’ai su immédiatement que je l’aimerais. Le scénario était à la hauteur de mes espérances, avec beaucoup de personnages, des destins qui s’entrecroisent, des dialogues ciselés… Pour une fois, j’allais jouer la naïveté et non l’ironie, l’adolescente rebelle, ou le sarcasme comme j’ai déjà eu à le faire. C’était à la fois difficile et intéressant.

Arthur Dupont nous avait confiés avoir beaucoup répété avec Jean-Pierre Bacri, notamment pour avoir le même bégaiement que lui. Avez-vous, vous-même, également beaucoup répété en amont du tournage ?

Non, pas vraiment en ce qui me concerne. Pour ma préparation, il y a eu beaucoup de travail sur les costumes. J’étais tout de rouge vêtue, je devenais ainsi un chaperon rouge moderne, qui prenait toute son ampleur, sans qu’il y ait besoin d’en faire trop. Et nous avons surtout chorégraphié les scènes de groupe.

Pouvez-vous nous livrer quelques indiscrétions sur la manière de travailler du tandem Jaoui-Bacri ?

Agnès est très présente sur la mise en scène et Jean-Pierre est toujours sur le plateau, même quand il ne tourne pas. Il donne des indications sur le jeu, parfois uniquement d’un geste ou d’un regard. On n’a pas du tout l’impression d’être dirigés. C’est le propre des grands réalisateurs. On ressent aussi beaucoup d’amour de leur part pour les acteurs. Etre eux-mêmes comédiens leur apporte plus d’attention, plus d’écoute, ils se mettent à notre place. Ils n’ont pas besoin de parler pour se comprendre et c’était très émouvant à voir. En fait, c’est Sartre et Beauvoir, mais en plus sexy ! Agnès était à la fois le metteur en scène et ma partenaire, ce qui était assez particulier pour moi, car c’était la première fois que j’étais dirigée par une réalisatrice également comédienne. Et quand elle joue, Jean-Pierre est encore plus présent, derrière ou devant la caméra. Mais c’est elle qui dit « Action » ou « Coupez ». Une chose est certaine, comme dans le film, Agnès est une bonne fée marraine…

Laura, votre personnage, est celui pour qui le conte se termine le moins bien…

Arthur Dupont et Agathe BonitzerJe ne suis pas tout à fait d’accord. Laura a un destin, un vrai trajet, un peu comme dans un jeu de l’oie. C’est un récit d’initiation, comme dans les contes, avec des embûches, des obstacles. Certes pour elle, le désenchantement est à la clé, mais il va lui rendre service. Elle va maintenant pouvoir vivre dans la réalité, ne plus croire au prince charmant. Il y a en somme une moralité : il faut vivre ses histoires d’amour, simplement. C’est un personnage qui a beaucoup de nuances et c’est ce qui m’a plu. Au début, avec le personnage d’Arthur Dupont, elle est très romantique, mais dès qu’elle tombe sur celui de Benjamin Biolay, le grand méchant loup, elle devient plus sensuelle, plus cynique, aussi.

Quels contes ont le plus marqué votre enfance ?

Je me souviens avoir trouvé Boucle d’Or et les trois ours très sensoriel, même si ce n’est pas un conte très profond, dans la manière dont Boucle d’Or goûte aux plats des ours ou dort dans leurs lits. Mais pour préparer le film, j’ai lu les contes de Perrault. Ils sont vraiment effrayants, en particulier Barbe Bleue. Et je vous recommande aussi la version de Cendrillon de Joël Pommerat au théâtre, c’est exceptionnel.

Pensez-vous que le cinéma soit un bois peuplé de loups aux aguets ?

Non, c’est le monde qui l’est ! Au cinéma, c’est le contraire. On vend du rêve, du faux. On gagne sa vie en faisant ce que l’on aime et on fait sérieusement un métier qui ne l’est pas.

Vous qui vouliez tellement faire partie d’un film estampillé Bacri-Jaoui, qu’avez-vous pensé du résultat ?

Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, j’étais très stressée, mais j’ai été emportée par le film tout de suite, ce qui ne m’arrive pas à chaque fois ! J’ai ri à gorge déployée et j’ai pu découvrir toutes les scènes que les autres ont tournées sans moi. Je me suis vraiment sentie spectatrice, ce n’était pas du tout une souffrance de me voir et je n’avais pas l’obsession de scruter mes imperfections. Il faut savoir se regarder quand on est acteur, pour pouvoir progresser. Je suis toujours un peu étonnée par ceux qui ne le font pas.

Dans La Religieuse de Guillaume Nicloux, vous jouez avec Isabelle Huppert, une des actrices qui vous fascinent. Comment s’est déroulée cette rencontre ?

Agnès Jaoui dans Au bout du conteJ’avais déjà travaillé avec des comédiens impressionnants, comme Reda Kateb sur A moi seule, qui est pour moi un grand acteur français. Mais Isabelle Huppert, c’est le Graal ! Jouer avec elle, c’était incroyable. J’étais tétanisée, alors que j’ai rarement le trac sur un plateau. Tout en jouant avec elle, j’étais à la fois spectatrice et actrice. Son interprétation est tellement personnelle et profonde… C’est un monstre de technique, ce dont je suis encore incapable pour le moment. C’est ce qui est formidable dans ce métier : on n’a jamais terminé d’apprendre.

Vos parents sont tous deux réalisateurs. Avez-vous également une velléité, un jour, de mettre en scène ?

Non, je n’aimerais pas devenir réalisatrice. En revanche, écrire un scénario, ça oui, pourquoi pas. Mais diriger, ce n’est mon truc. Je préfère être dirigée.

 
Agathe Bonitzer est à l’affiche de Au bout du conte de et avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, avec aussi Arthur Dupont, Benjamin Biolay, Dominique Valadié… Sortie en DVD le 6 juillet 2013.

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