Rencontre avec Vincent Garenq

 

Vincent Garenq - Tournage L'EnquêteAvec Présumé coupable sur l’affaire Outreau et aujourd’hui L’Enquête qui revient sur l’affaire Clearstream, Vincent Garenq semble s’être spécialisé dans la mise en scène de faits divers réels qui ont eu un retentissement sans pareil. Rencontre avec un réalisateur engagé qui aimerait que la société change. Il n’est pas le seul…

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à cette affaire Clearstream qui n’avait encore jamais été abordée en fiction ?

Je voulais changer d’univers et j’ai commencé à lire des livres sur la finance pour un film que j’avais en tête. Mais j’ai trouvé ça assez ennuyeux. Surtout, je ne voulais pas réaliser un énième film sur les traders. C’est alors que j’ai découvert le travail de Denis Robert qui écrit vraiment très bien et que je me suis intéressé à ce qu’il avait fait auparavant, aux affaires qu’il traitait quand il était à Libération, jusqu’à cette fameuse affaire Clearstream. Je le voyais comme un personnage de fiction. Certes, l’affaire Clearstream m’intéressait, mais c’est lui surtout qui m’interpellait, ainsi que le juge Van Ruymbeke et toutes les difficultés qu’ils ont rencontrées pour faire remonter la vérité.

On imagine le travail titanesque de documentation que cela a dû engendrer…

Il y avait beaucoup de matière en effet, notamment à travers tous les livres qu’a écrits Denis Robert. Et je me suis documenté en parallèle sur cette affaire et tous ses protagonistes. C’est là que je me suis rendu compte que c’était un puzzle composé de plusieurs affaires, comme celle des frégates. Cette enquête revêtait un sens plus profond que prévu, avec des rebondissements étonnants comme les falsifications absurdes d’Imad Lahoud [à l’origine des faux noms rajoutés dans les listings des personnes censées détenir un compte chez Clearstream, ndlr].

N’avez-vous pas l’impression que cette affaire a toujours une résonance de nos jours ?

Oui. Le film est sorti à une période où de nombreux scandales financiers s’enchaînent. L’Enquête est limite avant-gardiste ! En ce moment, je trouve qu’on franchit les limites avec toutes ces multinationales, comme Apple, qui ne veulent pas payer d’impôts ou le minimum, plaçant leur argent dans des paradis fiscaux, sans que les politiques, mous et impuissants, n’interviennent. C’est hallucinant ! Il faut faire quelque chose ! Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de commission européenne sur ce sujet ? Je suis révolté, il faut prendre le taureau par les cornes ! Denis Robert disait que « le paradis fiscal est un droit de l’homme riche » et il a raison. C’est un écho de ce qui se passe de nos jours et ça fait bien trop longtemps que ça dure. Tout le monde utilise les paradis fiscaux, même les sociétés nationalisées. C’est devenu malheureusement banal, alors que des citoyens lambda paient leurs impôts plein pot… Il faut que les règles soient les mêmes pour tout le monde… J’ai tourné ce film comme une vieille histoire, le système est tellement bien huilé désormais… On se fait son petit tas d’or car c’est la crise, au détriment de la population et au final, c’est du fric qui ne sert à rien. Ce film sort à une période où tout saute, mais dans une non-réaction générale.

Vous n’avez pas rencontré de difficultés comme en a eu Denis Robert à l’époque ?

Affiche L'Enquête - Vincent GarenqNon. Faire ce film a été un travail que j’ai adoré faire, c’était devenu presque ludique ! Tout ce que je voulais, c’était montrer une vision juste et la moins objective possible sur ce qui s’est passé, en dégageant l’immoralité de tout ça… Je n’ai pas eu de pression particulière. Même le Luxembourg nous a aidés, en finançant une partie du film et je trouve ça bien qu’il sorte au moment où d’autres affaires financières surgissent là-bas, grâce à des personnes qui en ont eu marre, comme Denis Robert en son temps. Même les citoyens luxembourgeois commencent à s’interroger. C’est tout de même le pays le plus riche du monde par habitant et ça devient un problème moral pour ceux qui y vivent et qui eux sont ponctionnés à 30 % par l’Etat.

Et avez-vous eu des réactions des protagonistes de cette affaire ?

Aucune ! Je n’ai eu de souci avec personne. Je sais qu’ils l’ont vu, ou ont au moins lu le scénario. Je ne me suis pas permis trop de liberté avec ce qui s’est passé, car c’était de ma responsabilité envers le public. Denis Robert a été lâché par tout le monde à l’époque, ne pouvant plus se défendre. Il était passé de journaliste à la mode à journaliste décrédibilisé. Il est content que ce film rétablisse sa bonne foi.

Comment vous a-t-il aidé sur ce film ?

Denis a été consultant et nous avons essayé ensemble de synthétiser tout ce qu’il avait écrit sur cette affaire Clearstream. Au final, le film est devenu un petit portrait de la France et de la mondialisation de cette époque et du cynisme qui en découle.

On est étonné du choix de Gilles Lellouche dans le rôle de Denis Robert…

J’avais envie de travailler avec lui, car il représentait un journaliste différent, un peu voyou, un peu coquin. Gilles a beaucoup de charisme, une manière de rendre le personnage héroïque. Je crois l’avoir amené à quelque chose de plus humain que ce qu’il a déjà interprété. Quant à Charles Berling, c’est étonnant, il s’est totalement fondu dans son personnage. Des magistrats l’ont reconnu en Van Ruymbeke, alors qu’il n’a rien fait de spécial pour lui ressembler !

Après Présumé coupable sur l’affaire Outreau et Kalinka que vous venez de terminer, on a l’impression que vous vous spécialisez dans les affaires judiciaires à grand retentissement…

L'Enquête - Vincent GarenqJe m’intéresse avant tout à des personnages, pas à des faits divers. Pour Présumé coupable, je me passionnais avant tout sur la trajectoire de cet homme face à cette terrible erreur judiciaire. Il en est de même pour Kalinka que je viens de tourner avec Daniel Auteuil [sur la fameuse affaire Krombach, ndlr]. Les gens se sont intéressés à cette histoire, car ils avaient en eux, comme André Bamberski [le père de Kalinka, ndlr], une volonté de justice.

La French, L’affaire SK1, La prochaine fois je viserai le cœur… On a l’impression qu’il y a un retour aux films tirés de faits divers. A quoi est-ce dû selon vous qui vous inscrivez également dans cette mouvance ?

Ce type de film a toujours existé. Tous les réalisateurs se sont, à un moment donné, inspirés du réel. Même si en France, ce n’est pas tendance et plutôt un genre méprisé car associé à la télévision, ce qui n’est pas le cas outre-Manche. Mais je ne pense pas refaire de film comme ça. Kalinka est le dernier volet de ma trilogie judiciaire avec Présumé coupable et L’Enquête. Je n’ai pas de problème avec la justice, mais un désir de justice. Je ne voulais d’ailleurs pas tourner Kalinka, mais l’histoire était trop incroyable pour ne pas être racontée. Je ne le regrette pas. Et avec Daniel Auteuil, ça va donner quelque chose !

 
L’Enquête de Vincent Garenq, avec Gilles Lellouche, Charles Berling, Laurent Capelluto… France, Belgique, Luxembourg, 2013. Sortie le 11 février 2015.

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