Festival d’Aubagne : rencontre avec Robin Foster

 

Rencontre avec Robin FosterLa 16e édition du Festival international du film d’Aubagne s’est tenue du 16 au 21 mars 2015. Le festival, faisant la part belle à la musique de film, a décerné 4 prix dont le prix honorant la meilleure musique originale. Cette année, 10 longs-métrages étaient en compétition. Grand Écart s’est entretenu avec l’un des membres du jury, Robin Foster, musicien et compositeur.

 
Robin Foster, vous faites partie cette année du jury pour la compétition long-métrage au Festival international du film d’Aubagne. Comment s’est déroulée cette semaine ?

La semaine s’est très bien passée, un très bon accueil, l’ambiance était superbe. Et surtout au niveau du jury, les rapports humains étaient excellents. Nous nous sommes assez vite compris, tout le monde était plus ou moins sur la même longueur d’ondes, ce qui n’est pas toujours le cas dans un jury.

Est-ce que la délibération a été difficile ?

L’ensemble de la sélection était varié. Il y a des films que nous avons aimés, d’autres qui nous ont un peu moins intéressés, mais lorsque c’était le cas, le choix était unanime pour tous. Le travail le plus difficile pour nous a été de juger les films qui nous ont plu. Il faut préciser que nous étions un nombre pair de jurés, deux filles, deux gars [Selma Mutal, Christine Gendre, Robin Coudert, alias Rob et Robin Foster, ndlr] et sans président, cela peut parfois être compliqué de se départager. Il y a eu des moments où nous nous sommes retrouvés à deux avis favorables contre deux, mais nous réussissions assez vite à rééquilibrer les choix grâce aux discussions, arrivant parfois à un accord unanime final. En tant que musicien et compositeur, j’ai tenté de faire attention à la musique. Dans trois ou quatre films, il y avait des thèmes musicaux qui se répétaient, leurs traitements étaient assez similaires. C’est dommage, mais c’est ce qui a aussi permis aux autres de sortir du lot.

Vous avez dû départager une dizaine de longs-métrages pour 4 prix : le Grand Prix de la Meilleure Musique originale, le Prix du Meilleur Film, le Prix du Meilleur Scénario et celui de la Meilleure Mise en scène. Selma, Rob et vous êtes compositeurs. Christine, responsable court-métrage chez UniFrance. Quel a été le regard de chacun des membres du jury ?

Les quatre membres du jury sont cinéphiles, chacun ayant son propre univers. Rob et moi étions assez proches, peut-être parce que nous sommes du même milieu musical, de la même génération. Néanmoins, nous n’approchons pas toujours les films de la même manière. Je ne regarde pas beaucoup de cinéma français, parce que ça me touche moins, pour un Anglais comme moi, ça peut vite être le bazar… J’ai peut-être un regard différent, réellement plus tendu vers la musique, dans les films que je regarde. Rob a peut-être plus les moyens de séparer les deux, le cinéma et la musique. Selma aussi, parce qu’elle travaille beaucoup pour le cinéma français, collaborant pour des documentaires. Christine, qui travaille avec beaucoup de réalisateurs français, s’est un peu plus éloignée de l’aspect musical et n’hésite pas à dire quand quelque chose la choque. Elle est à l’opposé de moi là-dessus, et c’est bien d’avoir son avis.

Aviez-vous des critères de sélection ? Qu’est-ce qui a fait la différence dans les films que vous avez sélectionnés ?

Felix et Meria, de Maxime GirouxDe façon basique, nous parlions à la fin de chaque projection du film que nous venions de voir. Nous laissions passer la nuit et nous en reparlions encore le lendemain. Pour le Prix du Meilleur Film [Felix et Meira de Maxime Giroux, actuellement en salle, ndlr], c’était à la fois simple et compliqué. C’est le premier film que nous avons vu, il était donc beaucoup plus présent dans nos esprits. C’est un film qui est un peu long à démarrer, j’avais un peu peur et finalement, c’est le film qui nous a le plus ému. C’est une histoire d’amour, très touchante, tous les membres du jury ont flashé. Et tous les jours, finalement, il revenait dans nos préférences. Il était quelque part notre point de repère pour la sélection. La barre était déjà mise très haute. On attendait de voir s’il n’y avait pas un autre film qui allait contrer notre opinion sur lui. Underdog était un peu similaire dans le thème des relations humaines et des amours interdits. Mais Felix et Meira restait pour nous très impressionnant. Sans faire de spoiler, le film parle d’une femme, issue d’une communauté juive hassidique au Canada, qui veut partir de son milieu. Plusieurs comédiens qui jouaient dans le film étaient eux-mêmes des anciens hassidiques. Nous l’avons su après, et ça rend le film alors plus authentique. C’est peut-être le film le plus classique dans sa forme narrative, l’histoire porte sur une rencontre amoureuse, mais le sujet qui est derrière est tabou, brûlant. On n’aborde pas souvent, dans le cinéma, la question des communautés hassidiques de cette manière. Le film ne dit pas si c’est bien ou pas de quitter un milieu religieux, mais rend plutôt compte des problèmes que cela génère, des blocages occasionnés. Et ce qui est bien, c’est que je ne m’attendais pas à être touché par ce genre de film, c’est une belle surprise.

Qu’est-ce ce qui vous a personnellement touché, en tant que compositeur, cette année ?

Dans l’ensemble, les propositions étaient plutôt classiques pour moi. Il y a certains passages dans We Are Young We Are Strong de Burhan Qurbani dans lesquels la musique était vraiment bien, en particulier un moment avec un jeu de contrebasse et des claps assez original. Mais il y a des films où l’on entendait et reconnaissait des sons semblables, un son en particulier, retrouvé dans trois films. Avec Rob, on devinait même les logiciels utilisés. On est un peu geek là-dessus… Un film intéressant, c’était Underdog, parce que les sons étaient réellement joués. Autant dans les autres films, nous avons reconnu des samples, des sons de claviers de logiciels que Rob et moi utilisons et connaissons très bien, autant pour Underdog, nous avons été surpris parce que les sons étaient joués. Donc si on le compare aux autres, il y a presque la même tonalité, presque les mêmes notes et finalement, c’est presque le même son, sauf qu’ici, c’est du vrai. Il y a un véritable travail sonore dans ce film. C’est Brooklyn qui a finalement remporté le Prix de la Meilleure Musique originale parce qu’il y avait cela, mais aussi toute une gamme acoustique. Le film évolue dans l’univers du rap, de la parole, du chant… Donc c’est un film qui parle de musique, elle est intégrale au film, mais extrêmement bien dosée. Il y a un passage où l’on entend un violoncelle dans un supermarché, ça apporte quelque chose de vraiment singulier. C’est ce qui a fait la différence. Alors que dans les autres films, la musique avait peut-être plus un rôle d’accompagnement, sans vraiment de thèmes musicaux particuliers, à part pour Underdog et Più buio di mezzanotte, ici nous avions affaire à un film avec une véritable identité musicale. C’est dur à expliquer, mais il faut savoir se demander : est-ce que le film avait besoin de cette musique ? On n’est pas en train de juger si c’est bien ou pas, on a surtout envie de féliciter celui qui sort du lot. Il n’y a pas eu de mauvaise musique dans l’ensemble, à aucun moment on a mis un casque pendant la projection !

Vous avez composé la musique du film Metro Manila de Sean Ellis, présenté au Festival de Sundance 2013, où il a remporté le Prix du Public international. Avez-vous de nouveaux projets de composition ?

Oui, plusieurs projets sont en cours. Toute cette semaine à Aubagne, je travaillais sur la composition musicale d’une publicité de Issey Miyake. J’avais jusqu’à jeudi pour finaliser la composition, c’était rude ! J’y travaillais après les séances de cinéma, jusqu’à 3 heures du matin, mais heureusement, les journées commençaient assez tard sur le festival. Je travaille aussi sur la composition musicale du prochain film de Sean Ellis, Antropoid, un film sur la Deuxième Guerre mondiale, basé sur une histoire vraie, l’opération Antropoid, avec Jamie Dornan [50 Shades of Grey, ndlr], et Cillian Murphy. Le tournage devrait commencer en juillet. J’ai lu le scénario, je me suis beaucoup renseigné sur le sujet, j’ai regardé pas mal de films de guerre. J’ai envie de proposer quelque chose de différent dans le genre, et plus encore après cette semaine passée au festival, cela m’a aidé à réfléchir et à me rendre compte que l’on peut très vite tomber dans le convenu, le déjà-vu. Quand tu travailles sur un film, le réalisateur t’envoie souvent un thème, des références qu’il aime, et tu es censé t’en inspirer parce que tu dois quand même coller aux aspirations du réalisateur. Et ce qui était génial dans le travail avec Cartier [Robin a réalisé la composition musicale de The proposal de Cartier, ndlr], c’est qu’on m’a laissé le choix des thèmes. On m’a expliqué l’ambiance et on a réussi à faire une espèce de mélodie qu’on a pu utiliser, petit à petit, directement pendant le tournage et l’editing. Ça, c’est le rêve. We Are Bodies, l'albumC’est ce que faisait Sergio Leone et Ennio Morricone dans Il était une fois dans l’Ouest. La musique était jouée au tournage, notamment pendant le face-à-face entre Henry Fonda et Charles Bronson. C’est une manière de travailler qui me plaît parce que ça peut faire évoluer le film, aider les comédiens à rentrer dans une atmosphère. Et j’aimerais travailler de cette manière plus souvent.

We Are Bodies, le premier album du duo éponyme Robin Foster et Dave Pen, est sorti le 24 mars 2015.