Miscellanée #13 : Mexican Standoff

 

Mexican standoffNon, un mexican standoff ou “impasse mexicaine” ne désigne pas une ruelle coupe-gorge à Tijuana, ni un spot prisé des vendeurs de burritos à emporter à San Cristobal de Las Casas. Non. On utilise l’expression d’”impasse mexicaine” ou de mexican standoff pour caractériser une confrontation sous haute tension à l’issue inextricable entre des adversaires à forces égales. L’exemple le plus fréquemment donné est celui de la crise des missiles de Cuba en 1962 pendant laquelle jamais la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS ne fut aussi chaude.

Récupéré et transposé au cinéma, le mexican standoff est devenu l’une des figures de style les plus jubilatoires du film d’action, donnant lieu à bon nombre de “rencontres” épineuses inoubliables. Du genre A qui menace B et C qui menace A. Ou A qui menace B qui menace C qui menace A. Et c’est là que D et E arrivent et… bref, vous avez compris. Trois étant le nombre de protagonistes minimum reconnu pour une bonne “impasse mexicaine” réglementaire. Mais ça peut marcher aussi à deux et, inversement, certains réalisateurs ne se sont pas privés pour gonfler les effectifs : ainsi dans le troisième volet de la trilogie Matrix, The Matrix Revolutions, les Wachowski nous avaient-ils concocté une joyeuse “impasse” impliquant plus d’une dizaine de personnages.

Pirates des Caraïbes : le secret du coffre maudit, Gore VerbinskiParmi les mexican standoffs à retenir, on pourrait citer la plupart des séries B, Tueurs nés d’Oliver Stone, Battle Royale de Kinji Fukasaku (dont l’intégralité du film pourrait être considérée comme une “impasse mexicaine”), Munich de Steven Spielberg ou plus récemment Pirates des Caraïbes : le secret du coffre maudit de Gore Verbinski et Transformers 3 : la face cachée de la Lune, signé Michael Bay.

Mais qui dit mexican standoff dit Sergio Leone bien sûr avec Le Bon, la Brute et le Truand. Blondin, Sentenza et Tuco, tous les trois réunis dans le cimetière de Sad Hill pour en découdre une bonne fois pour toutes dans un final éblouissant. La caméra titillant nos nerfs en passant d’un personnage à l’autre, en décortiquant chaque regard, chaque patte-d’oie plissée, chaque frémissement de narine, chaque tremblement de phalange. Le tout enrobé du lyrisme musical de Morricone. Toute la tension de cette séquence tient au fait que, contrairement au duel où le premier à dégainer a souvent l’avantage, la stratégie consiste plutôt ici à attendre de voir l’autre craquer et dévoiler son jeu. Une attente que Leone avait parfaitement su exploiter et transmettre au spectateur.

 
On pense également à Quentin Tarantino, chez qui le mexican standoff est devenu une véritable marque de fabrique. De Reservoir Dogs à Inglourious Basterds en passant par True Romance (réalisé par Tony Scott mais scénarisé par Tarantino) et Pulp Fiction.

 
Tarantino est passé maître dans la mise en scène de ces moments de nervosité extrême, prenant d’ailleurs souvent un malin plaisir à jouer sur les registres en habillant ses “impasses” avec quelques-unes de ses lignes de dialogues totalement improbables.

[Pulp Fiction – Séquence de la tentative de hold-up dans un restaurant : Jules (Samuel L. Jackson), d'un ton calme et maîtrisé, s'efforce de calmer Yolanda, aka Honey Bunny (Amanda Plummer). Pendant ce temps, Vincent (John Travolta) tient en joue Ringo, aka Pumpkin (Tim Roth) :]

Jules : Ecoute Yolanda, on va pas faire de bêtises, hein ?
Yolanda : Non, non le tue pas…
Jules : Personne ne tuera personne. On va se comporter tous les trois comme Fonzie… Et comment il est Fonzie ?
Yolanda :
Jules : Allez Yolanda, dis-moi comment il est Fonzie !
Yolanda : Il est cool.
Jules : J’ENTENDS PAS !
Yolanda : Cool…
Jules : Gracias mucho ! Alors on va faire tous les trois comme lui, on est super cool !

 
Dans Inglourious Basterds, Tarantino va même jusqu’à donner une définition par l’exemple de ce qu’est un mexican standoff à travers la bouche de l’un de ses personnages, le lieutenant Aldo Raine, incarné par Brad Pitt, qui s’efforce de passer un marché avec un soldat allemand :

“You got guns on us. You decide to shoot, we’re dead. Up top, they got grenades. They drop them down here, you’re dead. That’s a mexican standoff, and that was not the deal. No trust, no deal.”

(“Tu as des armes pointées sur nous. Tu décides de tirer, nous sommes morts. Là-haut, ils ont des grenades. Ils les balancent en bas, tu es mort. C’est une “impasse mexicaine” et ce n’était pas le marché. Pas de confiance, pas de marché.”)

Mais cette passion pour le mexican standoff, Quentin Tarantino la doit à un autre aficionado : l’inévitable John Woo. Avec The Killer, son chef-d’œuvre, Une balle dans la tête ou encore A toute épreuve, le réalisateur chinois fait office de référence absolue en matière de gunfight. A tel point qu’on parle parfois de John Woo standoff.