Zulu, le polar du pardon

 

Affiche du film Zulu de Jérôme SalleAvant d’être un film, Zulu est un roman très noir signé Caryl Férey. L’histoire de deux policiers, Ali (Forest Whitaker) et Bryan (Orlando Bloom) qui, dans une Afrique du Sud hantée par l’apartheid, mènent une enquête musclée sur le meurtre d’une jeune adolescente.

De ce brillant polar, Jérôme Salle et son coscénariste Julien Rappeneau ont retenu un sens aigu du récit et des dialogues, un goût pour la crasse et la beauté d’une terre de contrastes et le charisme des personnages. Moins politique que le livre, Zulu, le film, choisit de procéder par touches. Violence, passé des héros, histoire du pays… Le réalisateur d’Anthony Zimmer et des Largo Winch réduit, au sens culinaire du terme, le roman de Férey et signe ici le plus personnel de ses films. Un western moderne âpre et haletant.

Et ses deux cow-boys se perdent dans les townships et les bars clandestins. Flics amis mais solitaires, ils sont à l’image de leur pays, doivent vivre avec le poids du passé, gérer culpabilité et rancœur. Au volant de leur bagnole, ils affrontent leurs démons. De cette enquête, ils reviendront changés. Evidemment.

« Le film est un mélange des genres qui joue sur les contrastes et les symboles. Beauté/Violence. Ville/Nature. Passé/Présent. J’étais obsédé par l’idée de raconter l’histoire. Il fallait que les plans fassent sens. Je voulais faire un film âpre et sans complaisance. Quelque chose de rude. »

Ces mots de Jérôme Salle comme une note d’intention. Celle du parti pris de son adaptation. L’occasion de commenter, avec lui, les photos du film et de son repérage pour dessiner les contours d’une oeuvre bien pensée et bien menée.
 

Repérage #1 // L’Afrique du Sud

Le jardin botanique de Capetown

Jérôme Salle : Mon premier séjour là-bas m’a convaincu qu’il fallait être fidèle au bouquin dans lequel l’Afrique du Sud est un personnage à part entière. Avec son passé, ce pays est une source inépuisable d’histoires. Les décors y sont incroyables et il y a une lumière sublime. C’est étrange mais elle me rappelle celle de Marseille en hiver. Une lumière très froide, un ciel très bleu balayé par le mistral.
Dans Zulu, il y a l’idée de tourner des scènes très dures dans des lieux magnifiques. Je voulais, par exemple, que le cadavre de la jeune fille soit retrouvé dans le splendide jardin botanique. Je voulais que le corps soit étalé au milieu des fleurs. Un cadre idyllique rend la violence encore plus insupportable. Elle surgit. Ce contraste est extrêmement symbolique du pays. Un lieu somptueux dans lequel la violence est constamment sous-jacente.
J’aime ce genre de mélanges. Une histoire glauque sous la pluie m’ennuie. La vie n’est pas comme ça. Elle est faite de contrastes. On peut vivre des choses horribles dans des endroits merveilleux. J’aime beaucoup Seven, mais dans cette histoire sordide, il pleut tout le temps. Du glauque dans du glauque. C’est ce que je n’aime pas dans le polar. J’adore Ellroy, mais si il y a un reproche à lui faire c’est qu’il ne fait jamais beau dans ses histoires. Ce n’est pas la vie.
 

Repérage #2 // Le Cap

Cape Town en Afrique du Sud

JS : Le film se passe au Cap. Ce qui est intéressant là-bas, c’est que cohabitent dans un espace extrêmement restreint des milieux sociaux contrastés. Les townships sont parfois à 500 mètres des villas luxueuses. C’est un résumé de la manière dont va le monde, de la mondialisation. Les plus riches côtoient les plus pauvres. Il existe des barrières mentales et matérielles. On vit côte à côte. D’un point de vue narratif, ça crée de la tension car il y a cette possibilité de bascule qui peut se produire en quelques minutes.
 

Repérage #3 // La Table Mountain

La Table Mountain à Cape Town

JS : Cape Town est très urbain, mais juste au-dessus, il y a la Table Mountain. La ville est accolée à cette falaise. J’ai essayé de l’intégrer au cadre le plus souvent possible. Il y a une forme de sauvagerie dans cet escarpement. Quelque chose de tragique. Ce mont au-dessus de la tête d’Ali et de Bryan symbolise le poids qu’ils portent en eux. Celui de leurs parents, de leur histoire, de l’histoire du pays. Et puis, ce Terre/Mer/Table Mountain. Une ville coincée entre deux espaces sauvages. Une ville étendue qui sort de ce couloir. Un pays qui tente d’avancer. A son rythme.
 

Repérage #4 // L’appartement d’Ali

Photo de repérage pour le film Zulu de Jérôme Salle

JS : J’ai eu beaucoup de mal à trouver cet appartement. Je voulais quelque chose de très urbain car Ali est le symbole d’une forme de réussite noire en Afrique du Sud. Un type qui a intégré la philosophie du pardon de Mandela, qui a une réussite professionnelle et sociale. Son appartement devait être le plus occidental possible. Mais en même temps, je voulais une forme d’anonymat parce qu’Ali est un personnage secret. Il fallait que cet espace fasse penser à un appartement témoin. Quelque chose de neutre avec un tapis de course qui ressorte. Symbole de sa fuite en avant, de ce besoin qu’il a de courir qui date de son enfance. Enfin, je ne voulais pas que ce lieu domine la ville. Les buildings sont à sa hauteur. Il est au cœur de la ville, enfermé.
 

Repérage #5 // Multicultures

Tournage du film Zulu de Jérôme Salle

JS : Etant français, j’ai hésité à faire ce film. Je ne pensais pas avoir la légitimité pour cela. Mais quand nous sommes partis en repérage, j’ai pris conscience qu’être étranger était un avantage. J’étais neutre aux yeux de tous. L’acteur Conrad Kemp, qui incarne le collègue d’Ali et Bryan, et qui est sud-africain, me parlait souvent de la culpabilité qu’il trimbale. Il me disait qu’il avait du mal à dire non à un Noir qui lui demande quelque chose, car même s’il n’a pas connu l’apartheid, il choisit d’en porter le poids. Et c’est ainsi dans tous les rapports humains de ce pays, il y a quelque chose d’implicite qui circule.
 

Repérages #6 // Les townships et les Cape Flats

Les townships de Cape Town

JS : Les townships possèdent une esthétique. C’était presque trop joli pour les scènes qu’on devait tourner. Et même sociologiquement faux. Nous sommes donc partis tourner dans les Cape Flats. Ces quartiers de gangs sont totalement différents. Visuellement, c’est The Wire. Des bâtiments en dur construits pendant l’apartheid, aujourd’hui délabrés. C’était les quartiers des Coloured – les plus favorisés par le régime, car ils étaient des contremaîtres. Les Coloured viennent de partout et n’ont rien qui les relie. Ils n’ont pas de langue commune. Ils n’ont que l’afrikaans, la langue du colon mélangée à de l’argot des gangs. Ce sont des populations disparates. Il y a des fusillades partout. La dope y est le seul moyen de gagner de l’argent.
 

Repérages #7 // La plage

Plage de Cape Town en Afrique du Sud

JS : Cette plage existe dans le livre de Caryl. Je n’ai pas du tout fui le côté carte postale, parce que l’histoire était suffisamment âpre pour me le permettre. Là aussi le contraste m’intéressait. Des plages paradisiaques, des grands rouleaux, des étendues époustouflantes, un décor balnéaire idéal… Et le danger qui surgit. Un décor et une ambiance qui n’annoncent en rien ce qui va arriver. Un lieu où les choses peuvent déraper lentement. Cela rend la violence encore plus terrible et insoutenable.
 

Repérage #8 // Le désert de Namibie

Le désert de Namibie, repérages du film Zulu

JS : C’était assez cher d’aller tourner en Namibie. Pendant la préparation on m’a demandé pourquoi on ne tournerait pas la fin du film dans une villa. J’ai clos le débat en disant que je réalisais ce film pour cette scène finale dans le désert que j’avais lue dans le livre. C’est à ce moment que le film glisse du réalisme vers un onirisme total. Le désert s’impose comme une image mentale. Les dix dernières minutes du film, il doit y avoir deux répliques. Il n’y a plus que l’homme face à lui-même, qui marche inexorablement vers sa vengeance. Il n’y a que dans le désert qu’on pouvait faire ressentir ça. Ce type marche, ne court même pas. Il fallait sentir cette conviction chez lui qu’il s’était égaré.
 

Photo du film // Le pardon

Zulu de Jérôme Salle

JS : La grande option que j’ai prise – qui était plus sous-jacente dans le bouquin – est celle du pardon. Comme le dit Desmond Tutu : « Pas d’avenir sans pardon. » L’Afrique du Sud est le pays idéal pour traiter du pardon. A la fin de l’apartheid, le gouvernement a mis en place des « commissions vérité et réconciliation » afin d’éviter l’engrenage de la vengeance et de permettre aux bourreaux de demander pardon à leurs victimes. Et d’être ensuite amnistiés, pardonnés.
Le film traite de la difficulté et de la nécessité de pardonner pour aller de l’avant. Que ce soit pour un être humain, une communauté ou un pays. C’est rare dans un polar. On parle davantage de la vengeance. Aux Etats-Unis, c’est même un genre à part entière : le Revenge Movie. Le Comte de Monte Cristo est l’un des livres les plus connus là-bas, mais la lecture qu’ils en font n’est pas la bonne. Ce n’est pas un livre sur la vengeance mais sur l’inanité de la vengeance. Son absurdité.