Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin

 

Trois souvenirs de ma jeunesse, d'Arnaud DesplechinEsther assise sur un banc comme une sirène sur son rocher, les cheveux dénoués lui tombant jusqu’aux reins. Elle porte des jeans serrés et sort avec des vieux de 20 ans. C’est la reine du lycée. Paul, étudiant beau gosse, yeux verts et pas nonchalant, vient tenter sa chance.
« Attention, je suis exceptionnelle, sourit-elle, l’œil moqueur.
- C’est vrai. Je ne sais même pas quoi te dire, tu vois. Moi c’est Paul, Paul Dédalus. Tu ne voudrais pas venir chez moi faire une partie de jeu de go ? »

Trois étapes d’une maturation lente sous la peau fraîche d’un jeune homme, dans le cadre austère du Roubaix des années 1980. Numéro un : une inquiétante dispute nocturne entre Paul enfant et la mère qu’il déteste. Numéro deux : une escapade à Minsk en pleine guerre froide, pour une mission risquée d’adolescents tentant la corde raide. Et surtout, numéro trois : Esther et l’amour fou pour sa blondeur, sa vanité, la grâce qu’elle imite si bien. Elle doit passer son bac dans le Nord, il étudie l’anthropologie à Paris. Leurs lettres sont pressantes et démesurées. Il erre de foyer en dortoir, un sac de toile sur l’épaule, attendant la prochaine fois qu’il pourra s’offrir le train. Elle reste avec une bande d’amis qu’elle méprise un peu, en princesse qu’elle n’oublie jamais d’être.

Roubaix leur offre un refuge de brique et de suie où les pièces sont étroites et tapissées de vieilles fleurs. Dehors les rues sont vides, éclairées seulement d’un soleil froid quand les amoureux se lèvent au terme d’une nuit blanche.

S’agit-il de trois souvenirs personnels ? Arnaud Desplechin dément, malgré ses origines roubaisiennes et le lien fort entre la ville et sa filmographie (Un conte de Noël notamment). Il s’agirait plutôt d’une nouvelle variation sur ses thèmes habituels, les conflits familiaux, les femmes fatales et les amours compliquées, revigorée par la fraîcheur de deux très jeunes acteurs.

Un prequel, alors ? Vingt ans après Comment je me suis disputée… (ma vie sexuelle), le film révèle la jeunesse de son héros Paul Dédalus, racontée par Mathieu Amalric qui tenait le rôle en 1994, et jouée par Quentin Dolmaire. Les deux acteurs partagent un teint pâle, des yeux fendus, un jeu mêlant la distance et le don de soi. Mais la ressemblance s’arrête là. Si Amalric rappelait le chat, Dolmaire évoque la panthère, cognant, persiflant, conférant à Dédalus une tension inédite.

C’est à l’image du film. Trois souvenirs de ma jeunesse est un Desplechin plus rapide et rythmé que les précédents, où la fleur du mystère humain chère au réalisateur s’épanouit dans des flaques de jeune sang et des rayons de lumière pâle.

 
Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin, avec Quentin Dolmaire, Lou Roy-Lecollinet, Mathieu Amalric, Olivier Rabourdin… France, 2015. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2015. Sortie le 20 mai 2015.