Torso, de Sergio Martino

 

Torso, de Sergio MartinoOn a beau être fan de films déviants et sonder les profondeurs des cinémathèques et d’Internet en quête d’objets satisfaisants – une quête très personnelle de films chocs, étranges et généralement « autres » – il arrive qu’un grand classique du genre nous échappe. On se retrouve alors tel un néophyte devant une œuvre dont on ne sait rien mais qui est précédée d’une aura et d’un bouche-à-oreille certifié « culte ».

Ainsi fis-je un jour connaissance de Torso, en lisant des commentaires élogieux sur les réseaux sociaux, des dithyrambes de fans et de critiques, tout cela au sujet du DVD venant de paraître chez l’éditeur The Ecstasy Of Films. L’édition Blu-ray du film a d’ailleurs été rendue possible par un système de crowdfunding, preuve d’une base de fans importante et mobilisée.

Une telle dévotion, ajoutée au fait que le film est un « giallo »*, donc un thriller horrifique (et érotique) à l’italienne, genre popularisé entre autres par Dario Argento et Mario Bava, attise forcément l’intérêt du fanatique de films de genre. Ne voulant pas trop en savoir, j’ai attendu le DVD pour découvrir le film, sans lire trop de résumés ou de critiques auparavant.

Torso raconte l’histoire d’une bande d’étudiantes en histoire de l’art à l’université de Pérouse. Alors qu’une série de meurtres commence à choquer la ville et que certaines de leurs amies font partie des victimes, quatre d’entre elles se retirent dans une villa. Mais le tueur s’invite dans leur refuge.

On reconnaît immédiatement le schéma narratif classique du slasher américain dont ce film est précurseur. Le groupe de jeunes gens menacés par un tueur sadique est un des scénarios type, tout autant que le côté érotique, lié à l’époque, mais qui deviendra un des ressorts de base du film d’horreur : le sexe est toujours puni, l’acte sexuel appelle irrémédiablement la mort du personnage ayant « fauté ».

Découvrir Torso, c’est assister à la naissance d’un certain cinéma, c’est découvrir un classique. Comme tous les classiques, il peut paraître daté de nos jours mais il porte en lui un pan entier de l’histoire d’un genre. Et c’est là que le travail effectué sur cette édition est formidable : les bonus servent intégralement à raconter ce film de manière instructive et érudite, sans jamais ennuyer. Regarder les bonus de Torso, c’est apprendre à apprécier ce film pour ce qu’il est historiquement. Compte tenu du peu de considération offerte au cinéma de genre, un travail d’édition de grande qualité comme celui-ci est primordial et d’autant plus appréciable.

Le film séduit immédiatement. Le générique bizarre et érotique annonce clairement la couleur de ce qui va suivre à travers, notamment, un plan magnifiquement composé : une tête de poupée et un corps féminin.

Torso, de Sergio Martino

Deux visions du corps de la femme, l’un sensuel et charnel, chargé d’érotisme et l’autre désincarné et vide : mort. Des associations simples mais ancestrales qui reprennent leur force symbolique dans un genre où s’expriment des passions et surtout des pulsions primales. Ces différents aspects sont d’ailleurs abordés de manière passionnante dans l’interview de Jean-François Rauger.

Torso, de Sergio Martino

Il en est de même pour les autres aspects du film, que ce soit son décor atypique (l’université de Pérouse) dont parle le réalisateur Sergio Martino (un choix du producteur pour justifier la présence d’acteurs étrangers) ou une scène de meurtre sublime dans la boue dont est proposée une version alternative de jour – le film est ainsi décortiqué de manière vivante et intelligente et sa compréhension en devient naturelle. C‘est ainsi que le film se découvre ou se redécouvre car le support offre aux néophytes comme aux amoureux du film de quoi satisfaire leur curiosité : interview du réalisateur, séquence sur la présentation du film avec une introduction de Christophe Lemaire et un commentaire audio du réalisateur…

Torso, de Sergio Martino

Torso, de Sergio Martino

Torso, de Sergio Martino

Je me retrouve alors en fin de visionnage avec la certitude que Torso est un film essentiel. D’une part parce que c’est un classique dont les scènes de meurtres restent hautement dérangeantes et cruelles, parce que tout ce qu’il dit sur son époque est subtilement glissé dans un canevas de film de genre a priori basique mais surtout parce que Torso est un film excellent. Voilà un giallo dont certains choix de mise en scène gardent un impact très fort et qui mérite sa place aux côté des classiques « reconnus » et une place toute particulière dans le cœur des amateurs du genre. Torso a ce mérite qui reste la marque des grands dans le cinéma d’horreur : plus de trente ans après sa production, c’est un film qui met encore mal à l’aise.

Un film comme on les aime : un film qui fait mal.

Torso, de Sergio Martino


* Parmi les titres les plus connus du genre, on peut citer :
La Fille qui en savait trop (Mario Bava, 1963), L’Oiseau au plumage de cristal (Dario Argento, 1970), La Baie sanglante (Mario Bava, 1971), La Queue du scorpion (Sergio Martino, 1971), Le Tueur à l’orchidée (Umberto Lenzi, 1972), Bloody Bird (Michele Soavi, 1987).

 
Torso de Sergio Martino, avec Suzy Kendall, John Richardson, Luc Merenda, Tina Aumont… Italie, 1973. Edition DVD / Blu-ray de The Ecstasy of Films.