Les super-zéros
Mes dernières expériences de films de super-héros furent plutôt malheureuses : Thor, Captain America et l’horrible Green Lantern. Alors quand j’ai entendu parler de Super, le dernier film de James Gunn, je me suis jeté dessus pour conjurer le sort. Et ce fut une bonne idée : enfin un réalisateur qui a compris la richesse du super-héros, et qui ne le voit pas simplement comme un moyen d’exploiter encore un peu plus le filon jusqu’à épuisement. Du coup, j’ai eu envie de parler de James Gunn, le metteur en scène, et de Super, son film. Mais comme Super m’a fait penser à Kick-Ass, qui me fait lui-même penser à Watchmen, qui me fait penser à Batman, je me suis dit que j’allais plutôt parler des super-héros et de leur univers quasi illimité.
De son existence de cuistot loser, Frank d’Arbo (Rainn Wilson) conserve deux souvenirs précieux : le jour de son mariage avec Sarah (Liv Tyler) et le jour où il a dénoncé un malfrat à un policier. Deux moments qui l’aident à croire en son bonheur. Mais quand Sarah file avec son dealer Jock (Kevin Bacon), Frank sombre dans la dépression. Il décide alors de récupérer sa femme et de combattre le crime, façon super-héros…
Voilà pour le pitch de Super. Avouez qu’il est bien plus cool que celui de Thor, non ? (1)
Les films de super-héros pullulent. A court d’idées, les producteurs hollywoodiens se servent goulûment dans le patrimoine de DC Comics ou Marvel et offrent leur long-métrage poussif à tous les super-héros de comics. Les derniers en date, les suscités Thor, Green Lantern et Captain America, reflétant ce qui peut se faire de pire en termes d’adaptation (j’en entends déjà rigoler : oui, il y a bien quelques idées potables dans ces films, mais ça ne change pas grand-chose au rendu final). Si ces bandes dessinées ne constituaient déjà pas le fleuron du genre, au moins elles couchaient sur papier des héros charismatiques et des dessins léchés. En passant au cinéma, les personnages ont conservé leur plastique, mais ont perdu leur âme : il n’y a qu’à voir l’inexpressif Chris Hemsworth, interprète de Thor, pour s’en convaincre. Quant aux images… quiconque comparera la 3D trop sombre de Thor ou les plans hideux de Green Lantern avec les comics originaux passera son chemin.
Heureusement, au milieu de cette pléthore d’histoires et de héros médiocres, sort de temps en temps une œuvre qui réinvente les codes du genre et transcende la fonction du super-héros. A l’origine, lorsque le personnage de Superman voit le jour en BD à la fin des années 1930, il rencontre un succès inouï parce qu’il remonte le moral des Américains en pleine crise financière, puis botte même le cul d’Adolf Hitler en 1940. Le super-héros devient le fantasme d’une nation entière, évitant les catastrophes, capturant les despotes, faisant du monde un endroit rêvé. Le mythe est né. Les autres lui emboîtent le pas, modifiant déjà les codes : Batman, super-héros sans superpouvoirs mais doué d’une volonté aiguë et d’un portefeuille bien rempli, inscrit le super-héros dans la réalité. Sa qualité d’homme « ordinaire » en fait un personnage tiraillé, partagé entre la justice et la façon d’y parvenir. Sans doute le super-héros le plus intéressant jamais créé, auquel Frank Miller a achevé de donner ses lettres de noblesse en publiant, en 1986, The Dark Knight Returns, comics noir et sans concession sur les dernières années du Chevalier noir.
Comme Miller, le scénariste Alan Moore réinvente la mythologie des super-héros et offre aux comics un renouveau salutaire à la fin des années 1980 : Watchmen – adapté au cinéma en 2009 par Zack Snyder – mêle à d’authentiques super-héros (l’omnipotent Dr Manhattan) des vigilante, gens ordinaires le jour, justiciers de quartier la nuit, et pragmatise une cosmogonie divine. Pour la première fois on aperçoit l’humanité des vengeurs masqués. Leurs faiblesses font surface, elles les rendent aussi proches d’un public adulte que les X-Men le sont des prépubères. Moore, Miller : les deux chefs de file du comic book depuis le début des années 1980, désormais talonnés par Mark Millar (en termes de succès, d’adaptations et… de talent). Largement influencé par l’œuvre de ses pères, Mark Millar introduit la notion de choix dans ses récits : tantôt ses héros se découvrent des superpouvoirs qu’ils ne sont pas sûrs de vouloir (Wanted), tantôt leurs choix politiques mènent à la catastrophe (Superman : Red Son) tantôt encore ils n’ont aucun superpouvoir mais ont lu bien trop de comics (Kick-Ass).
Les libertés de Millar avec le mythe du super-héros, qu’il parodie à souhait dans Kick-Ass, auraient pu constituer un sacrilège ; au lieu de ça, des millions d’ados bercés aux comics mais suffisamment clairvoyants pour savoir qu’ils n’ont rien d’un Wolverine ou d’un Spiderman se sont jetés sur les aventures de Dave Lizewski, teenager décidé à éradiquer le crime de son quartier la nuit après l’école. Avec Kick-Ass, le statut de super-héros se trouve à portée de main.
Lorsque Millar écrit Kick-Ass, en 2008, James Gunn est déjà sur le scénario de Super (oui, oui, on arrive enfin au film). Les deux histoires ont beaucoup en commun, à commencer par le héros qui en a assez de se faire marcher dessus. Mais alors que Mark Millar pense à sa cible (les millions d’Américains fans de comics) et livre un récit relativement convenu, James Gunn fait dans le trash. Le Frank d’Arbo aka Crimson Bolt de Super est un fou illuminé, un brin facho, dont la justice expéditive n’a qu’une vitesse. Le justicier masqué traite de la même manière un dealer que le resquilleur d’une file d’attente au cinéma – pour notre plus grand plaisir : qui n’a jamais rêvé d’écraser la tête de celui qui double alors qu’on attend sagement notre tour ?
Scénariste pour Troma (Tromeo & Juliet), James Gunn rend hommage à la maison de production de séries Z et à son super-héros emblématique : The Toxic Avenger, un autre super-raté qui croit agir pour le bien de l’humanité. Comme lui, le héros de Super est motivé par l’amour. Mais le rate quand il se présente, cf. une scène de sexe comme on en fait peu entre Crimson Bolt et son sidekick Bolty (la déjantée Ellen Page), séquence sans seins à l’air mais à faire rougir les parents. Comme Millar, Gunn tord le mythe du super-héros pour mieux le dépoussiérer. Entre le Frank d’Arbo ignare qui erre dans les rayons de comics à la recherche de l’inspiration (« Avez-vous des BD de super-héros sans superpouvoirs ?”), et le Ryan Reynolds aka Green Lantern bêtement ébahi devant ses nouvelles facultés, l’observation du premier est bien plus jouissive. Et rappelle – le mauvais goût et l’humour en plus – Bruce Willis dans Incassable, qui découvrait les lois qui régissent les surhommes en même temps que ses pouvoirs.
Gunn pousse le vice à désamorcer la tension dès qu’elle s’installe : comme preuve la fameuse scène de sexe ou la séquence de la révélation, durant laquelle Dieu touche littéralement le cerveau de Frank, qui prend sa source dans l’imagerie du hentai japonais (2). Comme pour mieux répondre à la question suivante : finalement, les super-héros ne sont-ils pas juste des types comme nous, avec des gros fantasmes et un sacré complexe d’infériorité ? Des types qui perdent pied, comme le suggérait Moore avec le personnage de Rorschach dans Watchmen.
Super n’est pas une adaptation. C’est une histoire originale, entièrement sortie de l’imagination de James Gunn, mais elle mérite de figurer au panthéon des comics. Jugé trop violent, le film sort directement en DVD chez nous (3) ; rater ça pour avoir droit à Thor, ça donnerait presque envie d’enfiler un collant, un slip par-dessus, d’emprunter une bonne vieille clé à molette au garage d’à côté et d’attendre qu’un responsable de la Fox pointe le bout de son nez…
(1) « Au royaume d’Asgard, Thor est un guerrier aussi puissant qu’arrogant dont les actes téméraires déclenchent une guerre ancestrale. Banni et envoyé sur Terre, par son père Odin, il est condamné à vivre parmi les humains. Mais lorsque les forces du mal de son royaume s’apprêtent à se déchaîner sur la Terre, Thor va apprendre à se comporter en véritable héros… »
(2) Littéralement “transformation” ou “perversion”, le hentai désigne les mangas et films d’animation japonais à caractère pornographique.
(3) Super de James Gunn, réalisé en 2010. Sortie française directement en DVD le 1er décembre 2011.
J’ai adoré le film !!! Et que dire que la promo disponible dans les bonus du dvd si ma mémoire est bonne. Le comédien en costume de super héros faisant un micro trottoir. Un sujet maîtrisé et assumé jusqu’au bout.
Du bonheur clé en mains !!!