Le Fils de Saül, de László Nemes

 

Le Fils de SaulEn choisissant de filmer Auschwitz-Birkenau dans son organisation quotidienne avec pour seul point de vue celui de Saul, membre du Sonderkommando (groupe de prisonniers juifs isolés du reste du camp et forcés d’assister les nazis dans leur plan d’extermination), Laszlo Nemes montre la mécanique huilée d’une usine à chairs et à cendres.

Un exercice périlleux qui ravive les discussions sur la représentation de la Shoah à l’écran. Comment ne pas en faire un spectacle ? Le réalisateur hongrois évite toute stylisation excessive ou dérive vers l’horreur. Flous, gros plans, angles de vue tronqués par une porte à demi ouverte, un rideau, une foule compacte : le camp de l’horreur n’est jamais montré dans son ensemble, mais à travers les yeux d’un homme qui, lésé de son humanité, frôle les murs, baisse ou détourne le regard, exécute machinalement les tâches abjectes qui lui sont confiées, sans jamais se retourner.

La nuque, le visage impassible et les épaules de Saul ne quitteront quasiment jamais le cadre. Résulte de ce parti pris une plongée sensorielle, et notamment sonore dans les coulisses du mal ; la partie fictionnelle, d’un père en quête de sens désireux d’enterrer un enfant qu’il pense être son fils, s’imposant alors comme un outil narratif efficace, prétexte pour triturer les entrailles sombres du camp de la mort.

Un film conceptuel, donc, qui interroge la construction de notre regard (abîmé ? habitué ?) confronté à la mise en images de cette période obscure de l’histoire. Ici, pas de noir et blanc ou de sépia, pas de distanciation historique. Que du factuel. On pourrait débattre longtemps de l’impossible filiation image fabriquée/horreur de la réalité, mais difficile de ne pas respecter un film qui propose de s’enfoncer ainsi dans la barbarie. Qui n’essaie pas de nommer l’innommable mais tente juste de palper l’impalpable.

 
Le Fils de Saül (Saul fia) de László Nemes, avec Géza Röhrig, Molnar Levente, Urs Rechn… Hongrie, 2015. Prix Fipresci et prix François Chalais du 68e Festival de Cannes. Sortie le 4 novembre 2015.