Reality, de Matteo Garrone

 

RealityAprès Gomorra, la captivante immersion de Matteo Garrone dans les arcanes miséreuses de la Camorra, la puissante mafia napolitaine, le réalisateur aborde dans Reality un monde tout aussi ancré dans le quotidien italien mais un brin plus institutionnel, celui de la téléréalité. Luciano, hâbleur goguenard, est un véritable boute-en-train dans son quartier où il harangue son auditoire du haut de l’estrade de sa poissonnerie. Quelques brefs moments de gloire dont il se délecte avant de s’en retourner à ses magouilles. Un savant trafic de robots ménagers mis au point avec la complicité de sa femme qui leur permet de maintenir à flot les finances familiales. Mais poussé par son clan, Luciano se retrouve à participer au casting de Il Grande Fratello, l’équivalent du Loft Story français. A partir de là, sa vie bascule. Il se met à rêver célébrité, argent et carrière. Un rêve qui tourne à l’obsession. Autour de lui, plus rien n’a alors d’importance.

On s’attendait à un film à charge contre l’éloge de la célébrité, contre cette dérive culturelle généralisée que figure la prolifération de ce genre de programme. Mais c’est dans une tout autre direction que Matteo Garrone a choisi de nous emmener, son film se rapprochant davantage du conte réaliste et bienveillant que de la diatribe violente et frontale. Le cinéaste transalpin dresse le portrait d’une Italie populaire toute peinturlurée où l’on s’invective, on chante, on s’embrasse pour mieux s’engueuler ensuite, on blasphème même parfois. Cette Italie exubérante, extravagante. Celle des Monstres de Dino Risi ou des Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola. L’Italie de la démesure et du baroque fellinien. C’est un peu de tout cela que Garrone a souhaité invoquer dans son film. A l’image de la scène d’ouverture : un plan-séquence aérien où la caméra commence par balayer la ville de Naples pour plonger ensuite sur un carrosse aux dorures éclatantes et au cocher emperruqué, filant tout droit vers un château. Celui où deux jeunes mariés ont choisi de fêter leur union et où les attendent famille et amis, drapés de leurs plus beaux atours. Bleu, rouge, orange, rose, doré. Ca pique un peu les yeux !

On s’émerveille de la virtuosité et de la poésie avec laquelle Garrone glisse d’un personnage à l’autre dans une succession de plans-séquences à la légèreté onirique, nous faisant pénétrer dans l’intimité familiale de chacun d’eux. Une poésie féerique qui vient illustrer par ailleurs cet état d’entre-deux dans lequel se trouve le héros, entre réel et imaginaire. Et son incapacité à distinguer l’un et l’autre. On s’émerveille également devant le travail d’interprétation offert par Aniello Arena qui insuffle à ce Luciano l’innocence et la candeur d’un Pinocchio qui débarque au Pays des jouets. Un comédien que Matteo Garrone est allé trouver à la maison d’arrêt de Volterra (dans la province de Pise) où Arena a rejoint en 2001 la Compagnia della fortezza. Reality est donc loin d’être dénué d’intérêt. Mais il lui manque malgré tout cette impertinence, cette acidité, cette audace avec lesquelles Risi, Escola ou Fellini avaient osé rire du malheur des plus démunis comme de ceux qui croient tout avoir. Garrone, lui, a opté pour un registre compatissant et philanthrope là où l’on aurait souhaité voir le cinéaste écorcher son discours. Il y a bien ce travelling qui court le long de la file d’attente des candidats pour finir sur l’enseigne autrefois glorieuse des studios de la Cinecittà. Une triste reconversion pour ce qui fut l’un des plus grands temples du cinéma mondial mais qui, dans les années 1970, prit le virage de la production d’émissions télévisées, de séries ou de téléfilms, sonnant le glas des salles obscures transalpines. Il y a bien également cette manière de filmer la fascination et la convoitise dans l’entourage de Luciano. Mais guère plus. Il semble évident que l’intention du réalisateur n’était pas de condamner une émission, une idée de la culture ou encore moins un système de valeurs mais plus de capter avec empathie les ravages que génère cette illusion de célébrité. Mais on était peut-être en droit d’attendre davantage d’un film en compétition du Festival de Cannes.

 
Reality de Matteo Garrone avec Aniello Arena, Loredana Simioli, Nando Paone… Italie, 2012. Grand Prix du 65e Festival de Cannes. Sortie le 22 août 2012.

» Retrouvez tout notre dossier dédié au 65e Festival de Cannes

Mots-clés : , ,