Tale of Tales, de Matteo Garrone

 

C’era una volta…

Tale of Tales, Matteo GarroneAncré dans le ciment d’un réalisme pur et dur avec Gomorra, le cinéma de Matteo Garrone avait déjà initié son glissement au-delà des frontières du réel au fil de son conte réaliste Reality. Avec Tale of Tales (Il Racconto dei racconti), le réalisateur italien finit de s’enfoncer intégralement dans les méandres du cinéma fantastique, en adaptant le recueil de contes le Pentamerone, signé Giambattista Basile, poète, courtisan et écrivain napolitain du XVIIe siècle.

D’aucuns pourraient s’étonner de voir Garrone prendre ainsi à revers l’approche quasi documentaire adoptée par le cinéaste dans son adaptation du roman de Roberto Saviano. En effet, son portrait de la Camorra était d’une violence frontale, loin de toute incartade fantaisiste. A ceci près que, si Saviano s’évertuait dans son livre à démonter pas à pas les mécanismes de la puissante économie mafieuse, Garrone, lui, s’était davantage attaché à rendre compte de la violence animale de l’organisation. A en décrire ses formes, ses odeurs poisseuses, ses voix miséreuses. Offrant finalement aux spectateurs une vision un brin irréelle de la fureur camorriste. Une pointe d’irréel dans le réel…

De ce point de vue, Tale of Tales pourrait se placer en miroir à Gomorra. Sorte de double en négatif. Au travail de terrain de Saviano, Garrone oppose ici les récits fantasmagoriques de Giambattista Basile. A l’enquête journalistique, le conte. Ce genre littéraire populaire et séculaire à travers lequel, sous couvert d’histoires légendaires à destination des enfants, les auteurs s’évertuaient à dépeindre, en forçant le trait, les mœurs de leur époque et les sentiments de leurs contemporains. A exprimer le réel dans l’irréel…

Des cinquante contes qui composent le recueil de Giambattista Basile, Matteo Garrone a choisi d’en retenir trois. Trois récits au fantastique moyenâgeux, à la fois beaux et obscènes, merveilleux et horrifiques. Trois contes pour trois royaumes, trois parcours de femmes pour trois allégories autour d’un seul et même sentiment : le désir. Violent, irrépressible, destructeur. Une reine prête à mourir pour sentir la vie pousser en elle, une vieille lavandière hantée par son désir de jeunesse et enfin une adolescente et future reine avide d’aventure qui se retrouve violemment contrainte d’apprendre à grandir. A travers ce triple récit dont le cinéaste s’amuse à entrecroiser les lignes, Garrone révèle toutes les résonances modernes des textes originels de Basile. L’obsession de la beauté, de la jeunesse (Giambattista pointant déjà du doigt les méfaits dévastateurs de la chirurgie esthétique !), de la chair, de la maternité, la peur de vieillir, la brutalité du passage à l’âge adulte… Autant de thématiques profondément contemporaines, le tout enrobé d’une esthétique baroque freaks à souhait. Photographie tirée à quatre épingles et couleurs éclatantes. Palais Renaissance et silhouettes felliniennes. Et pour donner corps à l’improbable, on retrouve devant la caméra un casting pour le moins éclectique. De Vincent Cassel à Salma Hayek, en passant par John C. Reilly, Alba Rohrwacher et Toby Jones.

On pourrait malgré tout reprocher un certain classicisme de mise en scène à ce Tale of Tales. Un paradoxe, dans la mesure où le choix du fantastique offrait à son réalisateur une infinité de possibles. Mais pour autant, la force de ce film, au-delà de son visuel certes très séduisant, est d’être parvenu à se hisser à la hauteur de l’universalité inhérente au conte, à trouver l’équilibre entre poésie et burlesque, grâce et horreur, violence et tendresse. Un long-métrage qui vient donc finalement s’inscrire tout à fait logiquement dans l’œuvre de Matteo Garrone, dont l’inspiration se nourrit en permanence à la source tantôt du réel, tantôt de l’imaginaire. Et l’Italien de s’amuser, au gré de ses envies, à boire plus à l’une qu’à l’autre.

 
Tale of Tales (Il Racconto dei racconti) de Matteo Garrone, avec Salma Hayek, Vincent Cassel, John C. Reilly… Italie, Grande-Bretagne, 2015. Sortie le 1er juillet 2015.