Prud’hommes, de Stéphane Goël

 

See you in court !

Affiche du film Prud'hommes de Stéphane GoëlLes Prud’hommes, on en rêve tous un jour. Certains y vont, d’autres pas, tout est question de choix. Mais pour les indécis et les curieux, Prud’hommes pousse la porte d’un tribunal parfois mythique. Visite guidée.

« Bon retour chez vous », dit le juge en fin d’audience. Plusieurs fois. Comme un rituel. Ca résonne comme le « Bonjour chez vous » qui a cours dans le Village du Prisonnier. Et sitôt les questions inoubliables « What do you want ? », « We want information, information, information », et autre « By hook or by crook, we will. » Bref. Un endroit aux abords accueillants, mais finalement totalitaire. Comme le monde du travail, peut-être ?

Pour la première fois, Stéphane Goël a reçu l’autorisation de planter ses caméras dans les salles d’audience du tribunal des Prud’hommes. On s’en rend compte très vite, grâce à ce petit accent chantant, c’est en Suisse. Les lois et fonctionnement du tribunal sont très proches du système français, à ceci près que le magistrat est professionnel et que les audiences ont lieu le soir, en dehors des heures de travail (faut pas déconner non plus). Le réalisateur laisse aussi traîner son regard en dehors des prétoires. Dans les couloirs, veillés par un huissier qui a l’air d’avoir 100 ans et de garder ces lieux depuis la nuit des temps. Loin des conflits qui s’y déroulent et s’y dénouent. Immuable.

Sans doute comme les inégalités qui se font jour dans ce tribunal. Les affaires que l’on suit concernent des travailleurs, souvent immigrés, ou jeunes, ou femmes, ou les deux voire les trois. Ils ont été exploités, impayés, virés. L’audience est orale. Et la parole se fait pouvoir. Il y a le juge, qui n’aime pas trop être interrompu. Mais il y a surtout l’avocat, toujours aux côtés de l’employeur, bien plus rarement à ceux de l’employé. Le cynique détestable. Le roublard perfide. Et pourtant, Stéphane Goël ne fait pas dans le manichéisme. Tous les patrons sont des salauds, tous les salariés des héros brimés. Ben pas forcément.

Et c’est finalement l’agréable surprise de Prud’hommes : toucher du doigt la complexité de ces affaires, où se mêlent réalisme économique, estime de soi, et finalement, aussi simplement que ça, relations humaines. Dans toute leur complexité. Certains viennent réclamer justice, d’autres de l’argent, mais la majorité se situe entre les deux. Ni la justice suprême, l’honneur lavé, la honte sur le méchant et sur ses descendants sur douze générations, ni le pognon à tout prix. Ce qui se joue entre ces quatre murs, après le pouvoir de la parole, c’est aussi celui de l’écoute. Ils veulent être entendus, pour être reconnus. Avoir l’occasion de s’expliquer, de s’exprimer. Dans un lieu neutre. Ce n’est pas toujours évident quand on est face à l’avocat décrit plus tôt, mais cela commence à l’Inspection du travail, au syndicat – qui parfois assiste en lieu et place de l’avocat le plaignant désavantagé -, premiers lieux d’expression de la souffrance au travail. Et le réalisateur nous met dans cette position. Recevoir les témoignages, parfois pathétiquement drôles, souvent douloureusement poignants. Sans autre jugement que le nôtre.

Avec ces plans fixes, ces intermèdes rituels de l’huissier, Stéphane Goël signe un film étonnamment calme. Laissant le sentiment que ces affaires ne font que passer, les unes après les autres. Jamais ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres. Sauf qu’elles n’ont rien d’un rêve. Elles décrivent une réalité du travail comme faisant partie de l’identité, de la construction de soi, et donc parfois de la déconstruction de soi. Sans qu’on ait l’impression que quoi que ce soit puisse remédier à ça, si ce n’est l’écoute et l’échange. Qui ne semblent pas compatibles avec le monde du travail, et la fameuse crise dont on parle tant, pourtant. Alors qu’entre 1984 et 2008, le contentieux prud’homal aura augmenté d’environ 10 %, il augmente encore de 18 % entre 2008 et 2010, indique le dossier de presse. Allez, bonjour chez vous.

Prud’hommes de Stéphane Goël. Suisse, 2010. Sortie le 8 juin 2011.

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